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Câline et sévère», si Mélissa Theuriau, journaliste française et épouse de Jamel Debouzze, est qualifiée de mère modèle par les médias suite à son témoignage sur l’éducation de ses enfants, alors les mères helvétiques n’ont rien à lui envier. Du dressage répressif à l’abandon éducatif, des parents tout-puissants à ceux qui séduisent leur progéniture pour s’en faire aimer à tout prix, l’équilibre semble trouvé au pays du bon sens et du pragmatisme. Autorité sans étouffer, rigueur bienveillante, sévérité de bon aloi, les témoignages se succèdent.

«Pour moi, une maman sévère crie et ne laisse rien passer. Je ne le suis pas, mais je suis un peu tigre, avec des principes, des règles à appliquer», dit Séverine, Fribourgeoise de 37 ans, trois enfants de 7 à 13 ans, résidant à La Chaux-sur-Cossonay. Politesse, respect, manières, horaires de sommeil: «Ils sont pénibles quand ils dorment peu». Quant à la télé: «Il faut des limites sinon c’est non-stop!» A Begnins, Alexia, Valaisanne de 35 ans, trois enfants de 5 à 11 ans, «n’accepte pas que tout tombe du ciel. On ne peut pas tout avoir sur le moment. Il faut obéir sur certains points, respecter les adultes, manger ce qu’on nous donne». Valérie, 30 ans, Vaudoise habitant le canton de Fribourg, «laisse sa fille de 19 mois faire ses expériences mais sera très sévère sur la politesse, l’obéissance, l’alimentation, la télé, le respect des gens dans leur diversité». Lena, Française de 34 ans installée à Gland, une fillette de 11 mois, analyse: «Laisser faire l’enfant à sa guise et puis on verra, non! Appliquer un minimum de règles établies dès le départ, ça facilite les choses, ça évite des confusions chez l’enfant».

Besoin de limites

Et toutes de réprouver de concert les excès permissifs qu’elles observent autour d’elles. «Il y a des mamans qui laissent tout faire, tous les caprices sont acceptés», déplore Séverine. «La télé dès le matin, les couchers très tardifs quand on mange chez des amis», des attitudes que regrette Valérie qui remarque, néanmoins, «parmi mes amies, on est joliment toutes assez strictes». La Family, site d’information aux parents avec plus de 10 000 visites par jour, confirme nettement la tendance. «D’après mails et rencontres, je peux dire que les jeunes parents recherchent une meilleure façon de poser des limites dans l’éducation et de faire grandir leurs enfants dans un cadre, affirme la directrice Isabelle Henzi de Boissoudy. Ce n’est pas un retour à l’autorité avec des claques mais une vraie recherche de savoir comment dire non, poser des limites, restaurer la valeur des parents et de la famille».

Propos avérés chez les praticiens. Anne Jeger, psychologue clinicienne à Lausanne note: «Depuis quelques années, la question de poser des limites à ses enfants est à nouveau au cœur de la réflexion des jeunes parents, et c’est un bien. Pourquoi? Quand? Comment? On sait combien des limites claires et cohérentes dans le respect de l’enfant le cadrent et le sécurisent».

La culpabilité: non merci

Car elles sont sévères sans complexes, ces mères d’aujourd’hui, et donnent moins de prise à la culpabilité, sournois compagnon des parents. «Sévère, c’est pour leur bien, témoigne Séverine. Si les parents n’enseignent pas qu’on ne peut pas obtenir tout ce qu’on veut, les enfants sont perdus et abattus». Mamans modestes, elles sont aussi convaincues que la mère parfaite n’existe pas. «Je fais au plus pratique», déclare Muriel de Puplinge, 35 ans, une fille de 3 ans, «Suisse pur sucre» dit-elle. «J’évite de me culpabiliser quand je sais que je n’agis pas en super-maman. Donner des explications sur tout, ce n’est pas toujours utile. Ils ont plus besoin de connaître les limites de ce qui est OK ou non». Une apologie des limites civilisatrices… mais sans virulence, car lorsqu’elle est donnée, la punition reste classique: le coin, les privations, et parfois, le dérapage, une fessée qui tombe, avec des regrets mais assez peu d’états d’âme.

«On évite, on tente de régler les conflits autrement», avoue Valérie. Alexia, elle, admet: «Ils en reçoivent quelques-unes». «Si on peut l’éviter tant mieux»,glisse Lena. Pour sa part, Alexandre, Genevois de 28 ans, une petite fille de 2 mois, précise: «Moi je n’ai jamais eu de fessée et il me semble que ce n’est pas la règle en Suisse. Le grand classique, c’est plutôt privé de sorties, de télé…». De la retenue donc, car si «les enfants de parents autoritaires s’en sortent mieux que ceux de parents cools, attention aux enfants qui ont peur des parents, prévient le psychiatre Gérard Salem, de l’École des parents de Lausanne. Les enfants doivent continuer à avoir confiance en nous. Est-ce que nous sommes fiables pour eux?» Sur ce point, «se donner le droit d’être parfois plus souple ne discrédite pas son rôle de parent», remarque Anne Jeger, tandis qu’Isabelle Henzi de Boissoudy, 50 ans et trois grands enfants, enchaîne: «Nous, on avait très peur de nos parents, on dissimulait, on ne parlait de rien avec eux. La grande différence aujourd’hui, c’est le rapport de confiance institué».

Eloge de la continuité

Mais chez les 25-35 ans, pas de rupture ouvertement revendiquée avec la génération précédente et l’éducation reçue, plutôt une continuité réfléchie et réajustée au besoin. «Nous étions très libres, vite indépendants, raconte Muriel. Nous allions tous seuls à pied à l’école, nous pouvions jouer dehors tard le soir». Elle confirme qu’elle est plus stricte, mais sans exagération: «Je suis certainement moins cool. Les temps ont changé…».

«J’ai eu une éducation assez sévère, avec la transmission de valeurs», ajoute Valérie, appuyée par Séverine «plutôt élevée à la dure» et que son fils appelle «Maman vieux jeu»…«On était gâté mais mes parents étaient sévères sur le respect de ce qu’on reçoit, manger ce qu’on nous donne, la chance de pouvoir partir en vacances», termine Alexia.

Moins entourés, mieux informés

Ainsi, plutôt que des règlements de comptes ou des réactions radicales par rapport à leur propre vécu, les jeunes parents semblent privilégier deux voies: l’information et l’instinct. «Il y a une vraie recherche pour se former, signale Isabelle Henzi de Boissoudy, nos ateliers sont pleins. Les interdits, les conflits à table, le coucher... Ils lisent, prennent conseil, se remettent en question». Et à l’appui, les mamans de citer telles lectures éclairantes, «Je m’inspire plus du livre d’Elisabeth Badinter Le Conflit que de Dolto», dit Muriel.

Mieux informés donc, mais pourquoi? «Parce que plus fragiles peut-être, moins entourés, avance Isabelle Henzi de Boissoudy, avec une cellule familiale un peu dispersée, moins dense». Et des enjeux nouveaux qu’analyse Alexia: «Par rapport aux générations précédentes, beaucoup de femmes travaillent, ça ajoute du stress, on les speede plus. A l’époque, on restait à la maison, et il y avait beaucoup de famille autour». Sans compter les cartes familiales constamment rebattues avec le taux élevé de divorce, et des enfants ballottés d’un modèle à l’autre entre le père et la mère. «Elevé entre un père laxiste et une mère sévère, j’ai été un ado réfractaire à l’autorité», dit Alexandre, qui avoue pourtant avoir épousé une «chère et tendre» au profil plutôt sévère… «Les mamans ont des enfants de plus en plus tard et ça joue dans l’éducation, la conscience du rôle de parents, la transmission, la gestion de carrière. Quand on a 20 ans on démarre dans la vie, c’est très différent d’être une mère à 40 ans», complète Olivia de Coppet.

Le juste milieu

Dépassés donc les clivages autorité versus démission, fouettards contre laxistes? Peut-être, car tous de se montrer partisans des entre-deux et des compromis empiriques: «Je ne m’estime pas laxiste mais il faut choisir ses batailles: un biscuit oui, le vélo avant le devoir de math non, et toujours le mot magique», indique Christina de Lausanne. «Je prends les choses comme elles viennent, note Alexandre, les grands principes arriveront avec le temps. Comme il faut toujours un gentil et un méchant, je m’adapterai pour faire le contrepoids…». Et la psychologue clinicienne Anne Jeger de conclure: «Il y a de tout, mais surtout des mères nuancées dans leur manière d’éduquer leurs enfants».

«Les parents ne sont ni laxistes ni je-m’en-foutiste, ça m’agace beaucoup d’entendre ça, s’énerve Isabelle Henzi de Boissoudy. Ils sont sans arrêt stigmatisés, or, en règle générale, ils adorent leurs enfants, font le maximum pour bien s’en occuper et sont tous persuadés que ce qu’ils font est bien pour eux».

Adrienne Barman
1 / 2© DR
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