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Interview

«Ceci est notre post-partum», le livre qui libère la parole des mères

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«La société exige que nos expériences et le temps ne marquent pas nos corps, mais c’est impossible! On nous enjoint à devenir mère, mais on refuse le corps qui résulte de cette injonction, en invisibilisant les saignements, les vergetures, le ventre encore arrondi», martèle Illana Weizman dans son livre, paru le 20 janvier 2021 aux Editions Marabout.

© Yoanna Blikman

FEMINA Qu’est-ce qui avait déclenché votre colère, au moment de créer le hashtag #MonPostPartum, il y a presque une année?
Illana Weizman
C’était à la fin du mois de février 2020. Je venais de tomber sur un article de presse qui évoquait la censure d’une publicité pour des produits post-partum, accusée de montrer des images trop graphiques. J’imaginais que le spot avait mis en scène des choses visuellement choquantes, mais il s’agissait en réalité d’une vidéo très courte et très douce, montrant une version réaliste mais édulcorée de cette période. Cette publicité m’avait beaucoup émue, car c’était la première fois que je voyais un corps post-partum à la télévision. Le fait qu’elle ait été censurée m’a emplie de colère. Alors que ma propre période post-partum, vécue très difficilement, était derrière moi, j’étais encore très sensible à ce sujet.

Ce moment a donc représenté une sorte de déclic.
J’ai réalisé que la société tendait à invisibiliser cette période. Peu importe la manière par laquelle le post-partum aurait été mis en scène dans la publicité, cela aurait été considéré comme choquant, puisqu’il s’agit d’un tabou. En effaçant et en floutant cette réalité, on empêche les femmes de vivre cette phase sereinement, on les empêche d’avoir des modèles auxquels se raccrocher, quand elles ne reconnaissent pas leur reflet dans le miroir, en sortant de la maternité. J’ai alors compris que c’était à cause de cela que j’avais aussi mal vécu cette période, et non pas parce que j’étais faible! En colère, j’ai posté des photos de moi datant d’après mon accouchement, sur mon compte Instagram. J’y porte une couche pour incontinence, car je n’avais pas le matériel adapté à disposition. En voyant que mes photos suscitaient beaucoup de réactions, j’ai compris que nous avions soulevé quelque chose qu’il fallait absolument creuser. Avec trois amies militantes, j’ai donc lancé le hashtag #monpostpartum.

Vous attendiez-vous à un tel buzz?
On ne pensait pas du tout que le hashtag prendrait une telle ampleur! Une dizaine de milliers de tweets ont été postés en très peu de temps. Quelques semaines après la création du mouvement, j’ai reçu une proposition éditoriale. J'étais ravie, car le temps du hashtag et de la prise de parole en ligne est important, bien sûr, mais cet ouvrage m’a permis de faire des recherches, de prolonger le mouvement et de l’élargir, afin d’ouvrir la voie à des réponses concrètes.

Ce mouvement a-t-il eu un effet thérapeutique pour vous?
Au moment de lancer le hashtag, je sortais un peu la tête de l’eau: mon fils avait deux ans et je dirais que mon post-partum a duré jusqu’à ce moment-là. Je vivais donc une sorte de tournant, et le hashtag a eu un effet complètement thérapeutique, c’est vrai. Avec mes trois amies, on passait des heures à lire tous les tweets, et à pleurer. Nous étions toutes jeunes mamans, l’une d’entre nous avait un bébé de quatre mois. C’était un moment très puissant. En lisant ces témoignages, j’avais même des flashbacks de choses qui m’étaient arrivées durant mon post-partum et que j’avais occultées. Quand on ne dispose pas des informations et des représentations nécessaires, on est comme déconnectées de notre propre expérience, on ne conscientise pas ce qu’il se passe. Et c’est en écoutant les autres, qui deviennent le miroir de ce qu’on a vécu, qu’on reprend possession de ces sentiments. En resurgissant, tous ces souvenirs m’ont libérée de quelque chose. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être grandie.

Vous écrivez que «Le corps post-partum est une offense à toutes les injonctions qui accablent les femmes». Est-ce l’une des sources du tabou?
Oui, le corps est une grande partie du tabou. Dans le système patriarcal, les femmes doivent répondre à certains critères physiques très définis et figés dans le temps. La société exige que nos expériences et le temps ne marquent pas notre corps, mais c’est impossible! On nous enjoint à devenir mère, mais on refuse le corps qui résulte de cette injonction, en invisibilisant les saignements, les vergetures, le ventre encore arrondi… On nous persuade qu’en sortant d’un accouchement, tout doit être comme avant. Nous voyons des images de célébrités affichant un corps presque inchangé, juste après avoir donné la vie. Mais dans la réalité, cela ne se déroule pas ainsi. J’ai pleuré longtemps devant mon corps post-partum. Et durant ces moments-là, nous avons déjà tant de choses à gérer que l’apparence devrait être le cadet de nos soucis. L'une des premières choses qu'on m'a dites, après mon accouchement, c'était «Oh mais tu as déjà beaucoup maigri!». Mais ce n'est pas sur cet aspect-là qu'on devrait se focaliser.

La société tend à cacher ces corps, alors qu’on devrait les célébrer! Alors qu'ils ont besoin d’autant de soins que nos enfants.

Et face à la joie de la maternité, ces difficultés tendent à être considérées comme illégitimes...
Quand on prend un peut de hauteur pour considérer le système patriarcal, on voit que l’assignation ultime de la femme est d’enfanter. Si on a eu la chance d’enfanter, on n’a pas le droit d'être autre chose qu'heureuse. On n'a pas le droit d’exprimer cette souffrance, alors que la maternité inclut bien sûr de la joie et de l'exaltation, mais aussi des difficultés. Devenir mère représente un ébranlement identitaire total, surtout dans les premiers temps! Or, lorsqu’on parle des épreuves qu'on traverse, on peut être considérées comme de mauvaises mères, puisque les mamans se doivent forcément d'être des personnes héroïques, très fortes, résilientes, naturellement faites pour cela. Nous avons incorporé et intégré ces idées-là. Ainsi, lorsqu'on vit difficilement le post-partum, on finit par se dire que le problème vient de nous… Grâce aux conversations constantes que j'entretiens aujourd’hui, au travers du hashtag et du livre, je réalise qu’en vérité, nous sommes nombreuses à vivre la même chose et qu'il s’agit de la norme. C’est incroyablement libérateur.

© Liran Ozery

Dans votre livre, vous soulignez que le savoir, c’est le pouvoir. Qu’auriez-vous aimé savoir, au moment de vivre votre post-partum?
J’aurais aimé savoir, de manière globale, ce qui pouvait m’arriver, en termes de symptômes. Car découvrir leur existence au moment où ils surgissent, c’est affreux. C’est tellement infantilisant de partir du principe que les femmes «découvriront tout cela sur le moment»! Cela dit, chaque femme est différente et il ne faut évidemment pas s’inquiéter en réfléchissant à tous les scénarios catastrophes possibles et imaginables. Mais j’aurais aimé disposer d'une boîte à outils, de savoir par exemple que je pourrais vivre des contractions post-accouchement: en ressentant la douleur, j’ai eu tellement peur que je suis allée aux urgences.

J’aurais voulu réaliser, durant cette période, que je ne suis pas défaillante individuellement, que je ne suis pas une mauvaise mère.

Vous dédiez votre ouvrage à votre grand-mère. Pourquoi?
Elle était une personne très importante dans ma vie, la racine de mon féminisme. Elle était très libre dans sa tête, mais n’a jamais pu exercer cette liberté. Sur son lit de mort, elle m’a dit: «Je n’ai pas profité de ma vie, je me suis toujours sacrifiée.» Cela m’a énormément marquée. L’idée de la femme sacrificielle est présente dans la tradition, mais je ne blâme absolument pas nos aïeules: elles ont été éduquées comme cela et ont rempli le rôle qu’on leur avait assigné, durant toute leur vie. À nouveau, rien de tout cela n'est la faute des femmes! Mais en écoutant ma grand-mère, je me suis dit que moi, je ne voulais pas être sacrifiée. Cela a fondé mon féminisme. Par ailleurs, ma grand-mère a perdu un bébé mort-né, à l’âge de 40 ans, et n’a jamais parlé de ses émotions. C’est terrible de vivre des événements traumatisants et de cacher sa douleur, par dignité, parce qu’on attend de nous qu’on garde le silence.

Comment brise-t-on un tabou, aujourd’hui?
Il ne s’agit pas d’un travail de quelques années, puisque ces idées sont ancrées dans notre société depuis des siècles. Mais on peut lutter à différents niveaux: d’abord de façon individuelle, grâce à la prise de parole, qui fait doucement bouger les choses. Puis, cette prise de parole se transforme en un collectif. Mais ensuite, la majorité des changements doit émerger de plus haut, grâce à des décisions politiques.

Qu’avez-vous ressenti en terminant l’écriture de ce livre?
Un sentiment d’accomplissement personnel. Je suis allée au bout de ce projet, qui a commencé avec une simple photo publiée sur Instagram. Je me suis dit que si mon ouvrage pouvait toucher et aider dix personnes, je serais contente! J’espère qu’il pourra libérer un maximum de femmes et de mères. Souvent, je reçois des messages de jeunes filles, pas forcément enceintes, qui m’apprennent qu’elles ont prêté le livre à des amies ou qu’il les a poussées à interroger leurs mamans quant à leur propre post-partum. Cela crée des liens et ouvre des discussions dans des cercles familiaux. Si le livre peut encourager des déclics ou des prises de parole, je serai la plus heureuse.

Ceci est notre post-partum: Défaire les mythes et les tabous pour s'émanciper, Illana Weizman, Editions Marabout, 224 pages

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