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Affaire Depp-Heard: l'importance de continuer à libérer la parole

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«Il me paraît presque impossible qu’on revienne à l’avant-MeToo. Les femmes sont bien plus sensibilisées qu'avant.» - Adèle Zufferey, psychologue FSP.

© JIM WATSON/GETTY IMAGES

Le mercredi 1er juin 2022, le jury a donné son verdict, après seulement treize heures de délibérations. Alors que le monde tendait l'oreille, à l'affût de l'épisode final de ce thriller politique taille réelle, leur sentence est tombée vers quinze heures: Amber Heard et Johnny Depp sont tous deux condamnés pour diffamation. Or, la défaite revient à la seconde, sachant que l'actrice de 36 ans a été reconnue coupable de trois propos diffamatoires différents à l'encontre de son ex-époux, auquel elle devra verser dix millions de dollars de compensation. S'y sont ajoutés 5 millions de dommages punitifs, finalement abaissés à 350'000 dollars selon la loi en vigueur dans l'Etat de Virginie. De son côté, Johnny Depp, reconnu coupable d'une seule des allégations (les propos tenus par l'un de ses avocats) ne devra verser que 2 millions de dommages et intérêts. Ces deux montants paraissent bien insignifiants, comparés aux sommes initialement exigées (50 millions pour Johnny Depp, 100 millions pour Amber Heard). Or, les enjeux du procès dépassaient de loin les questions d'argent.

L'objet principal, soit la tribune publiée par Amber Heard dans le Washington Post en 2018, a donc été reconnu comme étant de la diffamation à l'encontre du comédien de 58 ans. Peu après le verdict, celui-ci a diffusé une réaction officielle sur ses réseaux sociaux: «Depuis le tout début, l'objectif de cette affaire était de révéler la vérité, peu importe le résultat, a-t-il écrit. Je devais cette vérité à mes enfants et à toutes les personnes qui m'ont continuellement soutenu. Je me sens serein d'y être finalement parvenu.»

Amber Heard, dans sa propre déclaration, affirme que sa déception est indicible: «Je suis encore plus déçue de ce que ce verdict signifie pour les autres femmes. Il s'agit d'un revers. Ce verdict nous ramène au temps où une femme qui s'exprimait pouvait se retrouver publiquement pointée du doigt et humiliée. Il remet en question l'idée que la violence à l'encontre des femmes doit être prise au sérieux.»

Un revers pour MeToo?

Au moment d'entendre le jury, dans la rues américaines, des dizaines de personnes affirmaient leur soutien à l'un ou l'autre des opposants, au moyen de pancartes brandies avec passion. Sur les réseaux sociaux, commentaires, mèmes et stories défilent depuis des semaines, avec une recrudescence notable depuis le premier juin. Excessivement débattues et surmédiatisées, l'affaire et l'issue finale dépassent désormais le cas de ces deux seules personnes. Et bien qu'il s'agisse officiellement d'un procès en diffamation, c'est des violences conjugales dont il est avant tout question: comment ce verdict impactera-t-il la libération de la parole des femmes? Sachant qu'Amber Heard a été fustigée pour plusieurs mensonges prouvés, devant le tribunal, la voix des personnes victimes de violences sera-t-elle décrédibilisée? Ce procès découragera-t-il ces personnes à porter plaine?

Le 2 juin 2022, l'activiste et autrice française Illana Weizman partageait ces mots sur son compte Instagram: «Je pense aux victimes de violences domestiques et au message que ces dernières semaines leur ont envoyé. On lâchera rien.»

«J’ai l’impression que le problème le plus visible concerne les réseaux sociaux, analyse la psychologue FSP Adèle Zufferey. Amber Heard fait l’objet de tant de mèmes et de blagues qu’il s’agit presque de lynchage ou de moquerie publique. Certains mèmes sont extrêmement forts, avec un discours violent ou railleur à l’encontre des femmes victimes de violences.»

Aussi observe-t-elle, en réaction au procès, des discours anti-MeToo, avec une remise en question de la parole des femmes ayant osé s’exprimer quant aux violences ou agressions subies: «Je pense que ce phénomène prend surtout racine dans des groupuscules masculinistes qui se servent du procès pour nourrir leur rhétorique machiste, poursuit l'experte. On retrouve souvent, chez ces groupes, la notion de “feminazi”, l’idée selon laquelle les féministes sont trop extrêmes. Il s’agit d’un mécanisme utilisé dans le but de conserver la domination patriarcale en place. Ces personnes craignent que les choses changent et estiment qu’il serait bien plus confortable de revenir à un état stationnaire pour les hommes, en se disant que les femmes mentent.»

Cependant, même si le cas d'Amber Heard et Johnny Depp risque d'être continuellement utilisé comme exemple lorsqu'il s'agira de nourrir ces discours, Adèle Zufferey ne pense pas qu'il amènera un réel retour dans le temps: «Il me paraît presque impossible qu’on revienne à l’avant-MeToo, estime-t-elle.

Les femmes sont bien plus sensibilisées, même au sein des écoles, où les cours d’éducation sexuelle approfondissent vraiment la question du consentement.»

Continuer à libérer la parole

Malgré cela, et sans prendre parti pour Johnny Depp ou Amber Heard, de nombreuses femmes appellent désormais à «ne rien lâcher». Indépendamment des faits vécus par les deux stars, les craintes exprimées concernent la libération de la parole. En effet, ainsi que le souligne Liz Plank, chroniqueuse pour le média américain MSNBC, les fausses accusations de violences sont extrêmement rares, alors que la majorité des agressions ne sont pas dénoncées: «Mais cette mythologie qui entoure les fausses accusations peuvent empêcher certain-e-s survivant-e-s d'obtenir justice. Des personnes innocentes sont rarement accusé-e-s d'abus, mais le cas de Depp pourrait fournir au public davantage de raisons de croire le contraire.»

Pour cette raison, Adèle Zufferey insiste sur l'importance de continuer à en parler, de continuer à combattre ces violences, «pour que les personnes concernées puissent s'exprimer, sans craindre de ne pas être crues. Beaucoup de ressources existent en Suisse [voir ci-dessous, ndlr], ainsi que des groupes d’entraide, fondamentaux dans la possibilité de se reconstruire.»

Béatrice Cortellini, directrice de l'organisation AVVEC (Aide aux victimes de violences en couple), souligne également l'importance de demander de l'aide et de dénoncer les actes subis: «Les raisons pour lesquelles les personnes victimes de violences ne font pas toujours appel à la justice sont très diverses et complexes. Parmi elles, on retrouve notamment le manque d'informations ou des fausses croyances, dont la peur de ne pas être cru-e, la honte, la crainte des conséquences, ou encore celle de perdre la garde des enfants... Si le procès a pu réactiver certaines choses, ces questions et ces doutes sont malheureusement déjà bien présents dans la tête des personnes concernées. L'affaire Depp-Heard constitue un élément supplémentaire, mais, de manière générale, il n'est jamais facile de dénoncer ce type de situation.»

Que faire, si l'on est victime de violences?

Aux personnes ayant subi des violences et pour lesquelles la médiatisation du procès et les débats qui en découlent constituent un trigger (déclencheur), Adèle Zufferey recommande de bien s'entourer: «Si quelqu'un nous accuse de “faire une Amber Heard”, je conseille de réfléchir à prendre ses distances avec ces personnes qui minimisent le vécu. Pour se protéger et se sentir soutenu-e, il convient d’être entouré-e de personnes bienveillantes qui connaissent notre histoire. De se construire une forme d’armure face à certaines situations ou contenus, en limitant le temps passé sur les réseaux sociaux si nécessaire, et en acceptant qu’il est impossible de débattre avec certaines personnes.»

Et pour les personnes qui craignent de dénoncer les violences qu'elles-ils vivent ou ont vécues , Béatrice Cortellini souligne l'importance d'aller chercher les ressources nécessaires, afin de mieux comprendre la procédure et les solutions possibles: «Plus on sort de l'isolement, en se renseignant et en s'appuyant sur le soutien d'un réseau de professionnel-le-s, plus on fera des choix pertinents pour notre situation.»

Aussi la directrice d'AVVEC rappelle-t-elle le phénomène de perte de confiance et d'impuissance acquise que peuvent présenter les personnes victimes de violences: menée par la psychologue américaine Leonore Walker en 1993, cette recherche démontre qu'elles intériorisent l'idée qu'il ne sert à rien de demander de l'aide. Que la seule option s'offrant à elles est d'attendre que cela passe. «Il convient de montrer qu'on a le pouvoir de se protéger, rien qu'au travers d'actes simples comme demander de l'aide, appuie Béatrice Cortellini. Cette démarche est très importante. Pour oser prendre la parole et aller jusqu'au bout de la démarche. Et surtout, pour aller de l'avant.»

Ressources pour les personnes victimes de violences, en Suisse

LAVI, le dispositif d’aide aux victimes d'infractions, recueille les témoignages, conseille et met les personnes en contact avec des professionnel-e-s et des psychothérapeutes. En cas d'absence d'assurance complémentaire pour la prise en charge de la psychothérapie, au moins 10 séances sont payées par la LAVI. Chaque canton dispose d'un centre de consultation.

Plus d'informations

AVVEC - Aide aux victimes de violences en couple, à Genève - propose des consultations, une permanence téléphonique sans rendez-vous, ainsi qu'un hébergement d'urgence.

Plus d'informations

Violence, que faire? dispense également des informations, du soutien et des aides importantes.

Plus d'informations

Plusieurs foyers destinés aux personnes victimes de violences, telles que le foyer au Cœur des Grottes ou le foyer Le Pertuis, à Genève.

La Fédération Solidarité des femmes de Suisse et du Liechtenstein permet de trouver un hébergement d'urgence.

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