Contraception définitive
Sans enfants, elles choisissent la stérilisation
«Au bout du troisième refus, je me suis dit que c’était foutu. Et puis le visage du gynécologue en face de moi s’est éclairé, il a souri et m’a dit qu’il comprenait, que ma demande était légitime. Il allait m’aider à me faire stériliser», confie Nadia*, la petite trentaine. Déterminée à ne pas vouloir devenir mère et lasse de devoir toujours s’en expliquer, la jeune femme mène depuis trois ans un véritable parcours du combattant pour trouver le médecin qui acceptera de lui ligaturer les trompes. «À chaque fois, on me disait que j’étais trop jeune, que je regretterai mon choix, que j’allais changer d’avis le jour où je trouverai l’homme idéal… Ce gynécologue providentiel m’a orientée vers une consultation dans un hôpital romand, et j’ai pu avoir des informations sur la procédure, son coût, ce qu’elle implique et quand je vais pouvoir faire l’opération, enfin!»
Contrairement à ce que pourrait laisser croire les refus opposés à la jeune femme, son âge n’est pas un problème en Suisse pour procéder à une stérilisation volontaire, soit la suppression délibérée de la fécondité sans atteinte des autres fonctions sexuelles et endocrines. Un point important que souligne le Dr. Jean Dubuisson, médecin au service de chirurgie gynécologique aux HUG: «L’âge n’est pas une barrière et il n’y a pas d’interdiction juridique de faire cette contraception définitive. Néanmoins, certaines femmes reçoivent parfois des refus catégoriques, et nous les encourageons à venir dans les consultations dédiées, que ce soit aux HUG ou au CHUV par exemple. Ce sont parfois aussi les gynécologues privés qui nous envoient ces patientes.»
Des demandes en augmentation
Si en Suisse le nombre de jeunes femmes qui renoncent à une grossesse a tendance à augmenter, avec 9,7% des femmes de 20 à 29 ans qui ne souhaitaient pas d’enfants en 2018, seul 5% des femmes en âge de procréer opteraient pour la stérilisation à visée contraceptive selon l’Office fédéral de la statistique. De fait, sur le terrain, les demandes sont en augmentation. Légère, mais perceptible, et en tous les cas symptomatique d’une réflexion profonde de la part de nullipares qui ne se voient pas devenir maman, ne supportent plus leur moyen de contraception hormonale et en ont ras les ovaires d’en porter la charge ou jugent égoïste de mettre un enfant au monde avec les bouleversements écologiques et climatiques que la planète subit. Une tendance observée par le Pr. Patrice Mathevet, chef du service de gynécologie du CHUV: «C’est clair qu’il y a un changement des mœurs et des habitudes de fonctionnement. Nous recevons des demandes de contraception définitive de la part de très jeunes femmes de 22-23 ans qui nous disent «de toute façon, dans ce monde, je ne veux pas faire d’enfant, je n’en aurai jamais, faites-moi une ligature de trompes».»
Une augmentation que nuance tout de même le spécialiste: «Il y a dix ans, on avait zéro demande dans ce cadre-là, actuellement on en a deux ou trois par an, qui peuvent n’être que des requêtes d’information.» Même constat du côté des HUG, avec des demandes certes croissantes mais qui restent minoritaires, selon le Dr. Dubuisson: «On a noté depuis environ deux ans une augmentation des demandes d’information autour de la contraception définitive chez les femmes sans enfants. Cette procédure concerne entre cinq et dix femmes par an aux HUG.»
Économiser pour se faire stériliser
Des chiffres d’interventions chirurgicales de ligature des trompes qui ne sont certes pas en augmentation fulgurante, mais il n’empêche que la question agite de plus en plus de jeunes femmes. Or qui dit questionnement ne veut pas forcément dire passage à l’acte. Pour certaines, à l’instar de Gaëlle*, 23 ans, c’est la question du coût de l’intervention qui la freine dans son élan, sans altérer sa motivation première qui est celle de ne pas devenir mère: «Mon gynécologue m’a présenté un devis, qui s’élevait à environ 2500 francs. Du coup, j’ai commencé à économiser pour me payer ma stérilisation dès que mes finances me le permettent.» Un facteur financier qui dissuaderait un certain nombre de candidates à la stérilisation, pas prêtes à économiser comme l’est Gaëlle avec son budget serré. «C’est un acte qui n’est pas remboursé par la LAMal, certaines renoncent en effet pour des raisons financières», souligne le Pr. Mathevet.
C’est irréversible, pas de regret?
Dans son cabinet lausannois, le gynécologue Pierre Kovaliv reçoit quelques demandes de patientes, qui pour beaucoup sont effectivement freinées par l’aspect économique de l’opération, mais il aborde – et tempère – la question de la contraception définitive sous un autre angle lors de ses consultations: «Chez les femmes qui n’ont jamais eu d’enfant et qui veulent à tout prix une stérilisation, j’essaie toujours de voir dans quelle mesure une autre contraception à long terme, par exemple un stérilet, ne peut pas être envisagée, car dans ma pratique, j’ai souvent vu des femmes pourtant déterminées regretter leur geste.» Résolue dans son choix depuis des années, Nadia a entendu plusieurs fois un discours similaire de la part des gynécologues auprès desquels elle a consulté, et elle ne le comprend pas: «Pourquoi est-ce que je devrais argumenter sur mon droit à disposer de mon corps et sur mon désir de maternité? Si je le regrette un jour, ça sera mon problème. Cette décision ne concerne que moi. Est-ce que je dois subir une contraception hormonale toute ma vie alors que je suis prête à me faire ligaturer les trompes en toute conscience de ce que cela implique?» Car là où ça coince généralement, c’est quand on évoque le caractère irréversible de la stérilisation. «C’est une problématique qui est toujours un peu compliquée, car le geste est irréversible. On peut certes reperméabiliser les trompes, mais ce n’est pas si facile et c’est un acte chirurgical plus compliqué que la ligature elle-même, avec des chances de succès qui ne sont pas garanties. Une autre option est d’avoir recours à la technique de procréation médicalement assistée», explique Patrice Mathevet. Mais ce n’est pas le but initial pour Gaëlle, Nadia et Sofia.
En finir avec la peur de tomber enceinte
Hors des cabinets gynécologiques – et des groupes childfree sur les réseaux sociaux – il existe des lieux où la question fait aussi sa timide apparition. «Les discussions autour de la ligature des trompes restent relativement rares, confie Alain Pfammatter, responsable psychosocial et conseiller en santé sexuelle à PROFA. Quand elles en parlent, les femmes évoquent surtout le fait qu’elles ne se reconnaissent pas dans le rôle de devenir mère, à qui on a jeté à la figure le fait que c’est parce qu’elles sont encore jeunes, que ça va venir, qu’elles auront du regret. On les met en stand-by, elles ne sont pas entendues et vivent avec cette crainte de tomber enceinte.»
C’est le cas de Gaëlle, qui a opté pour un stérilet «faute de mieux», en attendant la délivrance: ne plus avoir à se soucier du risque d’une grossesse non désirée. «Pour moi, ce n’est pas être égoïste de ne pas vouloir d’enfant, c’est plutôt être égoïste d’en mettre un au monde vu l’évolution de la planète. Je ne veux pas être mère, et c’est mon dernier mot», conclut la jeune femme qui ajoute des raisons écologiques à son choix. Selon Alain Pfammatter, ces discussions soulèvent la question primordiale de la parentalité en 2022: «Il faudrait obtenir une cohérence dans la société pour qu’au final qu’on soit femme, homme ou qu’on s’identifie autrement, le projet de devenir parent puisse être accessible à ceux qui le souhaitent et que ceux qui n’ont pas envie d’entrer dans ce projet-là soient respectés. La loi permet à une femme de faire une interruption de grossesse sans qu’elle ait besoin de se justifier, pourquoi ne pas permettre d’accéder plus facilement à une méthode de contraception qui est irréversible?» Pour Gaëlle, Nadia, Sofia et les autres, c’est prêcher des convaincues.
*Prénoms d’emprunt
Sofia, 49 ans: «J’aurais dû le faire avant, c’était un tel soulagement»
«Je n’ai jamais voulu avoir d’enfants, ça a toujours été quelque chose de très clair pour moi. C’est vers la trentaine que j’ai commencé à penser à l’option de la stérilisation. Ma plus grande crainte a toujours été de tomber enceinte sans m’en rendre compte et que je m’en aperçoive trop tard. Je prenais la pilule, mais c’est si facile de l’oublier… Je ne voulais tellement pas tomber enceinte qu’il me fallait quelque chose de définitif. C’est à ce moment-là que j’en ai parlé à mon gynécologue, qui a été très ouvert à la discussion et compréhensif, mais qui m’a plutôt encouragée à opter pour un stérilet. Il me disait que j’étais encore jeune et que j’allais peut-être changer d’avis. On en a souvent discuté avec mon gynécologue, mais je n’ai jamais mis la pression sur cette opération. Pour moi, ça se ferait quand ça se ferait, ce n’était pas un besoin impérieux, et le stérilet me donnait déjà une fenêtre de cinq ans durant laquelle je ne me posais pas trop de questions. Sauf qu’au bout d’un moment, ces méthodes de contraception hormonale, ça commençait à suffire.
C’est quand mon deuxième stérilet est arrivé au bout, quand j’avais 41 ans, qu’il m’a dit que cette fois on pouvait faire l’opération. Ça faisait tellement longtemps qu’on en parlait et que j’attendais! Face à ma détermination à ne pas avoir d’enfant qui n’avait jamais faibli durant toutes ces années, c’était le bon moment. Je me rappelle m’être dit, avant de le faire, que c’était la première fois que je prenais une décision qui allait influer sur tout le futur, car là je ne pourrai pas revenir en arrière, mais c’était vraiment ce qu’il fallait que je fasse. Je pense que c’est le côté irréversible de cette opération qui m’a retenue de pousser mon gynécologue à le faire plus tôt. J’avais une possibilité que je n’utiliserai jamais, mais elle était là… Il m’a opérée, et je n’ai eu aucun effet secondaire. C’était une délivrance. Je n’avais plus cette crainte de tomber enceinte qui existait toujours avec les autres moyens de contraception. Je me suis dit que j’aurais dû le faire avant, c’était un tel soulagement.»
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