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Hatha, Ashtanga, Bikram, Anusara… Qu’importe le nom, pourvu qu’on ait l’ivresse du yoga! Depuis quelques années, la tradition indienne connaît une irrésistible ascension dans les pays occidentaux. Et la Suisse ne fait pas exception. Au contraire, elle semble jouer dans ce domaine les chefs de file.

«Quand j’ai commencé le yoga à Fribourg en 2000, je n’ai trouvé que deux ou trois endroits où prendre des cours. Aujourd’hui? Ils sont des dizaines!» Psychologue clinicienne, Olga Abramova a, depuis, ajouté son nom à la liste des 477 enseignants membres professionnels de l’association Yoga Suisse. «Avec, en moyenne, un professeur pour quinze élèves, cela nous fait plus de 7000 pratiquants. Mais, la profession n’étant pas protégée, ce chiffre ne comprend qu’une infime minorité des enseignants que l’on peut trouver dans notre pays!»

Pour prendre la mesure de ce succès chez nous, il faut aussi aller voir au loin, là où nombre de retraites et d’écoles attirent les pratiquants suisses: en Inde, en Indonésie, en Thaïlande… Ainsi de cette formation en mai dernier dans l’île de Koh Samui, par exemple, dans un centre d’Asthanga internationalement reconnu : elle réunissait vingt-huit élèves venus du monde entier. Et parmi eux, neuf Suisses!

Le dernier des besoins

Pourquoi cet engouement sous nos latitudes? Olga Abramova évoque d’abord notre confort de vie. «Faire du yoga, c’est répondre au besoin de réalisation de soi, d’épanouissement personnel et spirituel.» Et la psychologue de faire référence à la pyramide de Maslow, laquelle établit une hiérarchie des besoins humains réclamant satisfaction: besoins physiologiques d’abord, puis de sécurité, d’appartenance et, pour finir, de réalisation de soi : «Ce besoin d’épanouissement arrive donc en dernier, une fois tous les autres satisfaits. C’est pourquoi en Inde, paradoxalement, peu de gens s’adonnent au yoga. Une bonne qualité de vie rend disponible pour aller plus loin dans la recherche de développement personnel. Or, la majorité des Suisses ont la chance – et le sentiment – de bénéficier d’un bon confort de vie.»

Du cadavre à la tortue

S’il est surtout connu pour ses postures aux noms incongrus (de la «montagne» au «cadavre» en passant par la «tortue» et le «lotus»), le yoga est bien plus qu’une activité physique: c’est une philosophie, développée dans des textes vieux de plus de 2500 ans, qui fournit des règles pour mieux vivre avec soi, avec les autres et avec le monde, dans un esprit d’harmonie ou d’«union» (l’une des traductions du mot yoga). Cette approche holistique ne pouvait que séduire des Suisses traditionnellement ouverts aux médecines alternatives. «Si cela marche autant, poursuit Maya Burger, professeure en études indiennes à l’Université de Lausanne, c’est parce que ça fait du bien. Au corps d’abord – et c’est ce qui motive les gens avant tout, qu’ils cherchent à apaiser des douleurs chroniques ou simplement à être plus en forme. Mais aussi du bien à l’esprit: cela nourrit le calme, la détente, la concentration…»

Une quête de tranquillité qui correspond bien aux aspirations des Suisses en général. Quant à l’aspect traditionnel et philosophique, cette spécialiste de l’Inde suppose qu’il peut également contribuer à son succès: «S’il est enseigné dans la fidélité à ses fondements, le yoga peut donner des lignes directrices pour la vie. Dans un monde en mouvement comme le nôtre, manquant de repères stables d’un point de vue éthique et spirituel, cela peut en effet intéresser beaucoup de gens, chez nous comme ailleurs.»

Vague et vogue américaines

La professeure avance une autre raison, historique cette fois: côté influences indiennes, la Suisse a joué les avant-gardistes. «Le pays a cette particularité d’avoir hébergé l’un des précurseurs de l’introduction du yoga en Europe, Selvarajan Yesudian. Originaire de l’Inde du Sud, cet homme a entamé son instruction en Hongrie, avant de venir s’établir en Suisse dès 1947.» Dans les années 50, son école zurichoise connaissait un tel succès que des gens venaient d’Allemagne et d’un peu partout en Europe pour assister à ses cours. Il avait aussi fondé une école de yoga d’été au Tessin. Une formule qui a d’ailleurs ouvert la voie aux stages ou aux retraites que l’on trouve aujourd’hui.

Pendant plusieurs décennies, toutefois, la pratique est demeurée très discrète, freinée notamment par les milieux chrétiens. Pour la voir se populariser, il faut attendre les années 2000 et une nouvelle vague yogique: celle qui déferle des Etats-Unis, cette fois. C’est alors l’apparition d’une variété d’écoles qui insistent principalement sur l’aspect physique et antistress. Et n’ont, pour nombre d’entre elles, plus grand lien avec l’Inde.

Pratiquer pour soi est une chose: mais pourquoi tant de Suisses enseignent-ils? D’abord parce que la volonté de transmettre et de partager est dans la logique même du yoga. «Quand j’en ai mesuré les bienfaits, j’ai naturellement eu envie d’en parler autour de moi, d’en faire profiter mes amis, les amis de mes amis… et c’est comme ça que je me suis retrouvée dans la peau d’une prof», raconte Stéphanie, 30 ans, assistante de direction en semaine et enseignante le week-end. Surtout, un yogi (ou une yogini) a à cœur d’approfondir sa pratique et sa connaissance dans cette voie. Ce qui passe presque inévitablement par des formations à vocation professionnelle où toutes les dimensions du yoga sont abordées plus en profondeur que lors de «banales» retraites.

N’est pas maître qui veut

A ces démarches légitimes s’ajoutent celles de tant d’autres qui, désireux de changer de vie à peu de frais et/ou attirés par un marché en pleine ascension, profitent de la non-régulation de ce métier pour se former en quelques semaines, en Suisse ou ailleurs. Car les formations rapides, pas toujours sérieuses, se sont multipliées en même temps que la discipline se popularisait. «D’où la nécessité de bien s’informer sur le parcours de l’enseignant avant de choisir telle ou telle classe», insiste Olga Abramova. Les certifications qui s’appuient sur le programme de l’Union européenne de yoga (telles que Yoga Suisse), ou celles qui sont reconnues par Yoga Alliance, son équivalent américain, garantissent une certaine qualité… mais ne suffisent pas forcément: les maîtres suivis, l’assiduité de la pratique personnelle ou encore le sens de la pédagogie sont d’autres critères essentiels dont il faut tenir compte pour choisir (ou non) un enseignant. Ne pas hésiter à prendre des cours d’essai auprès de plusieurs d’entre eux, à interroger chacun sur sa conception du yoga, à comparer les approches et les prix sont d’autres conseils délivrés par Brigitte Knobel, sociologue et directrice du Centre d’information sur les croyances (www.cic-info.ch).

Yoga yoga pas

«Au final, il s’agit surtout de choisir son prof avec le cœur, complète Olga Abramova, un prof qui nous met à l’aise, qui nous inspire confiance et dont l’enseignement nous fait du bien.» Développer cette attention et cette écoute de soi? Non seulement cela permettra d’éviter d’éventuelles blessures, mais c’est déjà pratiquer le yoga.

«L’idée que nous fassions tous du yoga un jour ne me semble pas folle, imagine Maya Burger, car cette discipline sait s’adapter à tous les corps, tous les besoins et toutes les personnalités.» D’où la large palette d’approches présentes sur le marché, des plus douces aux plus dynamiques, des plus spirituelles aux plus physiques. «La question est quand même de savoir si tous ces styles proposés sous l’appellation «yoga» en sont encore! Pour séduire le plus grand nombre, beaucoup ont totalement rompu avec les origines. Et puis ce mot est mis à toutes les sauces. Sans trop de sens, souvent.»

Victime de son succès, le yoga? Mis au défi, en tout cas. Car l’esprit marchand est aux antipodes de cette philosophie qui compte, parmi ses principes fondateurs, le désintéressement et la non-convoitise.

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