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Sexe, séduction, amour: les ados sont-ils vraiment si différents qu'auparavant?

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«La vie virtuelle des jeunes ne se distingue absolument pas de leur vie réelle, dans la mesure où le smartphone représente simplement une prolongation de leur réalité. Les outils numériques peuvent permettre des échanges certes plus osés, mais les processus restent les mêmes.» - Yara Barrense-Dias

© Eliott Reyna

On les dit sous l’influence précoce du porno, obsédés par leur image ou encore fossoyeurs du romantisme. Toutefois, les relations amoureuses des adolescents, telles qu’elles sont dépeintes par les enquêtes et les médias, correspondent-elles à la réalité? Le fantasme d’une jeunesse qui aurait basculé dans la luxure généralisée ne tient en effet pas longtemps devant les faits.

«La grande majorité des jeunes qui consomment des contenus pornographiques déclarent ne pas se sentir influencés par ce qu’ils voient, avance Fabienne Reinhardt, adjointe pédagogique à la fondation PROFA, active dans les questions liées à l’intimité. Les influences, les injonctions, les pressions viennent plutôt de leurs pairs et des interactions entre eux.» Si la frontière entre sexe et sentiments tend à mieux se dessiner, même chez les filles, et si les rituels de séduction online peuvent être débridés, la plupart des 14-18 ans ont encore et toujours l’amour dans leur viseur. Ainsi, plus que les envies, ce sont surtout les outils de drague et de promotion qui ont évolué. Étape par étape, décodage du monde (pas si) mystérieux des ados connectés.

A la recherche du corps parfait

«Mets-toi un peu plus de côté, penche-toi encore en avant…» Luana et Zélie, 15 ans, se livrent à un shooting improvisé dans le train, alors que le Lavaux défile derrière les fenêtres. Adressant un regard songeur au lac, la première prend la pose tandis que son amie se la joue David Bailey depuis son natel. Une mise en scène des plus soignées pour cette photo qui ira garnir une story sur Instagram et Snapchat. L’image définitive retenue synthétise tous les critères des canons de beauté en vigueur chez les adolescentes.

«T’es belle sur celle-ci, ça te fait un gros cul et une taille fine en même temps», décrypte Zélie.

Un gros cul est-il le must-have de la panoplie de la fille désirable chez les jeunes? «Les 14-18 ans tendent à se focaliser sur les formes féminines, confirme Fabienne Reinhardt. Les discours sur la minceur en elle-même sont peu fréquents, ce sont surtout les caractères sexuels secondaires qui priment, les seins, les fesses. Je n’ai d’ailleurs jamais entendu de garçon de cet âge dire qu’il attendait d’une fille qu’elle soit mince.»

Image de soi: les retouches photo des ados font froid dans le dos

A l’ère du body positive, des réglementations de plus en plus contraignantes sur le poids des mannequins haute couture et surtout des posts Instagram de célébrités valorisant leurs courbes, l’obsession de la brindille est peut-être passée de mode, même chez les ados. «Évidemment, une certaine quête de la minceur demeure, mais on n’est plus dans la recherche de la silhouette fil de fer comme dans le passé», note le docteur Laurent Holzer, directeur du secteur de psychiatrie et psychothérapie pour enfants et adolescents du Réseau fribourgeois de santé mentale. Pour une fille, le corps de rêve conjugue ainsi avec subtilité formes bien présentes et finesse à des endroits stratégiques de l’anatomie, «comme le thigh gap, cet espace entre les cuisses censé être un des attributs du physique parfait», mentionne Laurent Holzer.

«Les références véhiculées par les médias sont prises comme modèles idéaux et ce phénomène n’épargne pas les adolescents, explique Myrian Carbajal, professeure à la Haute École de travail social de Fribourg (HETS-FR) et coauteure de l’étude Sexe, relations… et toi? Les réseaux sociaux servent ensuite beaucoup à adapter, à s’approprier et à incarner ces normes. Pour les ados, c’est un espace fondamental de leur quotidien, un moyen de faire valider par les autres qu’on est conforme aux représentations de ce qui est désirable.»


© iStock

Obtenir la validation de ses pairs, avant de passer à l’action

Sur Snapchat, Instagram et aussi Tik Tok, les trois applis au centre de l’écosystème numérique des ados, les filles multiplient selfies et stories valorisant leurs formes, parfois sur un mode pouvant être interprété comme très aguicheur par les adultes. Poses suggestives, mimiques explicites, mini-short moulant les fesses, top ajusté qui galbe la poitrine et révèle le nombril…

«Il ne faut pas se méprendre sur la nature de ces publications qui sont destinées à être vues par un large public, fait remarquer Myrian Carbajal. Elles ne visent pas à provoquer ou à allumer, mais s’intègrent dans un processus de recherche identitaire. Si les adolescentes se mettent en scène ainsi, c’est d’abord pour attirer le regard et être rassurées, acceptées par leur groupe de référence. Leur perception au quotidien du désir et de la sexualité n’en est pas pour autant sulfureuse.»

Et ce ne sont pas seulement les yeux de partenaires potentiels qui sont concernés. Les filles regardent les autres filles, se commentent, se complimentent. «T’es trop bonne», écrit l’une d’elles sur Snapchat. «Merci!» répond l’utilisatrice concernée. Sans qu’aucun sous-entendu sexuel ne vienne à l’esprit.

«Certaines filles ont des groupes WhatsApp privés où elles s’envoient des photos d’elles dénudées, raconte Clémentine, 16 ans. Cela permet d’alimenter des discussions sur leur physique, sur leurs complexes, les détails qui clochent ou dont elles sont fières. Elles se rendent ainsi compte à quel point elles correspondent aux idéaux de beauté en général.»

De l’avis de Fabienne Reinhardt, cette génération pourrait même faire charnière dans sa liberté de ton inédite en matière de désir et de sexualité, les filles étant de plus en plus expressives sur le sujet.

Et les garçons..?

Reste que les garçons n’échappent pas au phénomène. Ils sont également de plus en plus nombreux à investir leur corps comme un territoire à la fois de séduction et de socialisation. Marque de cette préoccupation grandissante, la fréquentation des salles de fitness par les jeunes garçons a bondi au cours de cette décennie. «On attend d‘eux qu’ils développent force, virilité, performance», constate Myrian Carbajal. Même si cette injonction masculine a toujours existé, elle s’est accentuée et répandue récemment chez les plus jeunes.

«Je connais des enfants de 12 ans qui soulèvent déjà des poids parce qu’ils se trouvent trop fins et veulent se muscler!» Et cette course aux pectoraux, aux épaules et aux biceps peut rapidement s’accélérer, comme en témoigne Grégory, 17 ans à peine: «J’entendais souvent les filles se plaindre que tel mec ou tel autre était trop mince à leur goût. Je me classais dans cette catégorie et depuis un an je vais au fitness entre trois et quatre fois par semaine. Maintenant, je suis mieux bâti, je me sens mieux armé pour séduire les filles.»

Selon une enquête britannique, un jeune sur cinq considère d’ailleurs son corps comme une source d’insatisfaction permanente. «Pour un garçon hétéro, être trop mince, c’est le risque d’être qualifié de trop féminin, dans une époque où les codes traditionnels de genres se réaffirment via les corps et invitent à une différenciation nette», analyse la professeure de la HETS-FR. Toutefois, même avec la plus admirable des enveloppes corporelles, l’étape du premier pas demeure et «elle n’a pas changé dans sa logique», relève Fabienne Reinhardt.

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Initier le dialogue (virtuel)

Plus besoin de trébucher dans les bras d’un charmant camarade ou de manquer de se faire écraser par un camion («Comme je suis maladroite!») pour initier le dialogue. Désolé Anastasia Steele (50 nuances de Grey) et Bella Swann (Twilight), votre méthode est démodée! En 2019, Snapchat et Instagram font office d’entremetteurs et facilitent drôlement la vie des adolescents:

«Les approches en live sont de plus en plus rares, constate Élise, 16 ans. On communique surtout via les réseaux sociaux pour commencer. Et sur ces applications, les mecs ne passent pas par quatre chemins: «Salut, tu fais quoi, tu es jolie, tu as un copain?» Parfois, ce sont de parfaits inconnus qui s’adressent à moi. Il m’est déjà arrivé d’être abordée en face-à-face, mais c’est vraiment très rare.»

Une aubaine pour les timides, craignant de rougir ou de se pétrifier face à l’élu(e) de leur cœur? Pas toujours, puisqu’il faut aussi du courage pour appuyer sur envoyer après avoir rédigé la missive! Toutefois, le smartphone augmente effectivement les possibilités: «Cet outil permet aux jeunes de dire des choses qu’ils n’auraient peut-être pas osé exprimer face à la personne qui les intéresse et de rester en contact lorsqu’ils n’ont pas la permission de quitter le domicile familial, explique Yara Barrense-Dias, chercheuse au Groupe de recherche sur la santé des adolescents d’Unisanté, le pôle vaudois de santé publique. En termes de séduction, comme dans la vie réelle, leur communication évolue souvent par paliers: on commence par s’envoyer des messages textes, puis on entre dans un jeu de séduction. Les messages deviennent plus explicites, puis on s’envoie éventuellement des photos suggestives ou même des vidéos.»

Au fur et à mesure que la relation progresse, l’utilisation des émojis et leur signification peuvent aussi connaître une gradation: «On passe des clins d’œil et des petits cœurs aux aubergines ou aux pêches, qui sont connotées sexuellement», indique l’experte.

S’ils facilitent les prises de contact, les smartphones incluent également leur lot de contraintes supplémentaires: «On vérifie sans cesse si tel ou tel garçon a ouvert notre Snap, on panique lorsqu’il l’a lu sans répondre, on s’énerve s’il like les photos d’une autre fille, poursuit Élise, un tantinet agacée. Parfois, c’est insupportable!»

Ces nouvelles problématiques peuvent d’ailleurs provoquer des effets non négligeables sur «l’estime de soi et l’importance de la validation des pairs», ainsi que l’observe Yara Barrense-Dias. En effet, l’utilisation d’une interface numérique ne prive pas les échanges de leur importance: «La vie virtuelle des jeunes ne se distingue absolument pas de leur vie réelle, dans la mesure où le smartphone représente simplement une prolongation de leur réalité. Les outils numériques peuvent permettre des échanges certes plus osés, car l’interface nous donne l’impression que personne ne peut nous voir et que nous gérons les échanges, mais les processus restent les mêmes.»


© iStock

Se mettre en couple, ou «en bail»

Les ados sont-ils plus réfractaires à la notion de couple? Pas forcément! Certains semblent toutefois plus précautionneux quant au choix du partenaire, préférant imposer des phases test aux candidats potentiels. «Je connais pas mal de couples de mon âge, mais ils ne restent jamais ensemble plus de trois semaines, explique Sarah, 17 ans. C’est une logique d’expérimentation, je pense; on vit plusieurs enchaînements de courte durée. Quand on commence à se rapprocher d’une personne sans être vraiment en couple, on dit qu’on est en bail avec quelqu’un. C’est une sorte de phase d’essai qui mène parfois à de faux espoirs: les garçons peuvent faire tout un tas de promesses au début, afin d’accélérer les choses, et dès qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, ils arrêtent tout. Des fois, c’est un peu une arnaque.»

Un phénomène que constate également la Dre Martine Jacot-Guillarmod, gynécologue de l’enfant et de l’adolescente, au Département femme-mère-enfant du CHUV: «On observe effectivement l’existence de deux statuts relationnels différents, l’un officiel et l’autre non, bien que l’expression sex friends soit de moins en moins utilisée. Le statut non officiel ne signifie pas que les personnes concernées sont inactives sexuellement, mais se différencie du couple officiel sur un plan essentiellement émotionnel. Il s’agit de vivre des expériences ensemble, sans s’engager ou se rendre vulnérable à la douleur engendrée, par exemple, par une rupture. J’ai le sentiment qu’il y a peut-être une forme de mécanisme de défense, là derrière.»

Victime de nombreux stéréotypes, la jeunesse connectée est pourtant loin d’avoir oublié le romantisme:

«Ils sont généralement très à l’aise lorsqu’il s’agit d’ouvrir le dialogue à propos de leur sexualité, mais ne la banalisent pas pour autant, rappelle notre experte. Je retrouve clairement l’importance donnée aux notions de fidélité et d’engagement, durant mes consultations.»

L’explosion de Snapchat ne couve donc pas une génération d’adultes insensibles. Au mieux, les adolescents d’aujourd’hui sont plus informés quant aux enjeux médicaux et émotionnels d’une vie sexuelle. Toutefois, cela ne les empêche pas d’entrer dans une phase d’exploration et de chercher leurs limites, comme ils l’ont toujours fait. «Le sentiment d’invulnérabilité et la prise de risque liés à cette phase de la vie restent les mêmes», ajoute la Dre Jacot-Guillarmod, avant d’indiquer qu’on observe une stabilité dans le nombre des grossesses non-désirées.

La série Sex Education, l’un des derniers succès de Netflix, brosse d’ailleurs un portrait plutôt réaliste de cette jeunesse bombardée d’informations et d’outils, qui cherche à tâtons son chemin, à l’instar de toutes les générations précédentes. «À mon avis, la chose qui, fondamentalement, a changé est la gestion des réseaux sociaux avec, notamment, la pratique du sexting, l’immédiateté des interactions et la possibilité de s’envoyer des photos, résume la gynécologue. En d’autres termes, une sexualité plus affichée qui peut mettre à mal les personnes ciblées ou témoins, selon les situations rencontrées.» Les mêmes problématiques subsistent donc, avec toutefois quelques nouveaux risques à découvrir, à mesurer ou à tester, mais après tout, l’adolescence n’est-elle pas faite pour ça?

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