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Dans son salon, à côté de clichés de sa femme, de sa fille et de son cousin décédé, José a posé un joli cadre mettant en valeur les photos de ses trois chiennes. Les urnes contenant leurs cendres sont gardées dans un buffet. Le septuagénaire n’a pas voulu les répandre, «comme ça, elles sont toujours avec moi.» Ses toutous étaient des membres de la famille. Et José les pleure comme il pleurerait un de ses proches. Peut-être même un peu plus. Comme lui, de plus en plus de maîtres considèrent leur chien non comme un simple compagnon, mais presque comme un égal. Signe qui ne trompe pas, selon une enquête menée sur Internet, les noms les plus donnés aux toutous en 2011 en France étaient notamment Roxane, Max, Tina, Sam et Sally. Aux Etats-Unis, la même année, on a vu fleurir les Molly, Lucy, Maggie, Sophie, Chloe, Charlie ou Jake. Des prénoms «humains».

Sans tomber dans la caricature des chaînes de TV, des déguisements, des poussettes ou des mariages pour canidés, force est de constater que nos compagnons à quatre pattes, en entrant dans la sphère familiale, ont fini par avoir droit aux mêmes égards et services que les hommes. En Occident, ils ont leurs propres garderies et pensions de vacances, leurs avocats spécialisés, leurs assurances-maladie et accident, leurs traitements médicaux (chimio et radiothérapie, prothèses, ostéo, acupuncture, détartrage…), leurs vétérinaires de garde, leurs pompes funèbres. Il existe même des croquettes et pâtées bio ou light, proposées par une industrie de l’alimentation animale pesant pas moins de 63 milliards de francs au niveau mondial – et en constante progression. De quoi s’interroger sur la place qu’occupe désormais cet animal, dont l’évolution suit la nôtre depuis environ quinze mille ans, dans nos sociétés. Le «meilleur ami de l’homme» serait-il devenu une personne?

Prêts à tout pour toutou

«C’est très simpliste de se focaliser sur le cliché de la grand-mère qui bêtifie avec son toutou, explique Valérie Grin, médecin vétérinaire à Lausanne. Une grande partie des propriétaires sont conscients qu’un chien reste un chien. Mais les structures familiale et sociale ont évolué. Avant, le père était le membre le plus important de la famille et les autres membres s’organisaient autour de lui. Aujourd’hui, chacun a une place à part entière dans ce cercle et on organise la vie de famille en fonction de chaque individu qui la compose. Cela vaut aussi pour les animaux de compagnie, puisqu’ils vivent avec nous et non plus autour de nous. Si la place du chien a changé au sein de la famille, c’est donc parce que la structure de la famille n’est plus la même. A cela s’ajoutent la conjoncture économique – faire un enfant, cela revient cher – et le manque de rapports sociaux avec la disparition de la vie de quartier, des bals, des lotos… Beaucoup d’êtres humains souffrent de solitude.»

Dans son deuxième rapport sur la protection des animaux, rendu public le 3 octobre, l’Office vétérinaire fédéral (OVF) confirme cet attachement au chien: sur la totalité des participants à cette enquête, «92% affirment aimer leur animal, et seuls 6% le placeraient ailleurs s’ils en avaient la possibilité». Face à cette nouvelle donne, la société a adapté sa philosophie aux rapports homme-chien, estime Valérie Grin. Désormais, de même qu’on fait garder un enfant, on fait garder son animal. Ces dernières années, se sont développés en Suisse les services de dog-sitting. Ce système de crèche pour canidés, très populaire aux Etats-Unis, rencontre un réel succès dans notre pays. Le cabinet de la vétérinaire le propose depuis 2009 et la «garderie» affiche «quasi complet» en permanence, souligne Valérie Grin. Et ce, malgré son coût conséquent: 1000 francs par mois, pour une prise en charge cinq jours par semaine, du matin jusqu’à 17 heures au plus tard, repas non compris. Dans le même esprit, on n’euthanasie plus d’office un animal sous prétexte qu’il est malade; on fait d’abord tout son possible pour le soigner.

Il ne meurt plus, il décède

En conséquence, les caisses maladie proposent des assurances couvrant spécifiquement les animaux domestiques. A l’heure actuelle, 10% des 500 000 chiens et des 1,35 million de chats recensés en Suisse sont assurés par leurs maîtres. Vétéran du secteur (sa création remonte à 1901), Epona, à Lausanne, enregistre une croissance d’environ 10% par an. «La place de l’animal dans les mentalités a évolué de manière spectaculaire, explique Stéphanie Imobersteg, responsable des polices et du marketing. Le lien affectif entre les maîtres et leur chien est beaucoup plus fort qu’avant. Certains de nos clients n’hésitent pas, pour nous présenter leur nouveau compagnon, à nous envoyer sa photo.» Autre détail parlant: en majorité, les clients d’Epona choisissent l’option à remboursement illimité.

Jusque dans la mort, le chien est traité avec les mêmes égards que les humains. Ne serait-ce que dans le langage: on parle désormais de son décès et on donne ses condoléances. L’entreprise Funeradog, à Pampigny (VD), propose un service d’accompagnement semblable aux pompes funèbres classiques. Depuis sa création en 2010, sa fondatrice Micaëla Gsponer a été sollicitée par plusieurs centaines de clients. «Au début, je pensais que ce seraient surtout des personnes âgées et seules. Mais il y a aussi des jeunes couples et des familles avec enfants. Toutes ces personnes ont envie de faire quelque chose pour leur animal. C’est une suite logique. Il arrive que des clients me demandent de respecter certains rites en accord avec leur religion, comme le fait d’attendre trois jours avant l’incinération afin que l’âme de leur compagnon ait quitté le corps. Ils peuvent aussi déposer avec l’animal des objets symbolisant leurs croyances, comme un collier de perles en bois ou, plus couramment, un bouquet de fleurs ou une lettre. C’est une demande que l’on respecte, pour autant que ce ne soit pas un objet métallique. Le deuil d’un animal n’est pas différent du deuil d’un humain. Il passe par les mêmes phases et devrait être plus reconnu par la société. Quand on perd le compagnon avec qui on a passé dix ou quinze ans, on ne devrait plus s’entendre dire: «Ce n’est qu’un chien.»

En Suisse, ni cercueils, ni convois mortuaires comme en France ou en Espagne. «Il faut rester sobre», estime Micaëla Gsponer. Enterrer son chien n’étant autorisé que sur des terrains privés et pour les animaux de moins de 10 kilos, bon nombre de maîtres optent pour une crémation. Laisser la dépouille partir à l’équarrissage (où elle sera incinérée avec les déchets carnés) est souvent ressenti comme indigne. «C’est la moindre des choses que de les faire partir autrement que comme un bout de viande, affirme Semaja, propriétaire de deux lévriers. Un chien n’est pas une côtelette qu’on jette à la poubelle après avoir mangé.» A Lausanne, le crématoire animalier de Vidy, créé en 2010, traite les animaux domestiques. Les maîtres peuvent récupérer les cendres – la dispersion est autorisée – ou non. Les cendres non réclamées rejoignent le jardin du souvenir du refuge Sainte-Catherine, au Chalet-à-Gobet (VD). Il existe d’autres crématoires dans les cantons de Neuchâtel etd ’Argovie.

Divorce et «garde alternée»

«Mes chiennes représentent bien plus que de simples bébêtes de compagnie, elles font partie de la famille, confirme Semaja. J’ai toujours dit en rigolant que Lana et Selma étaient mes «filles». Elles partagent tout avec nous, notre quotidien comme nos vacances. Je leur dois beaucoup car elles ont été un véritable stimulus pour mon fils né avec un handicap. Sans Lana et Selma, il ne marcherait pas aussi bien aujourd’hui. Pour moi, un chien n’est pas un humain, mais il a la valeur d’une vie. De ce point de vue, je lui dois le même respect et traitement qu’à une personne.» Et ce même si cela implique des sacrifices, comme le confie Fred, propriétaire de deux bouledogues. Pour ne pas avoir à se séparer de Bubble et Georgette, il a renoncé aux vacances. «Je ne veux pas les placer n’importe où, confie ce Lausannois. Et après deux semaines, elles me manqueraient.» Il avoue même s’être privé de manger pour pouvoir nourrir ses «bébés». «Je préfère que ce soit moi qui saute un repas plutôt qu’elles.»

Comme il le ferait avec un enfant, Fred a réfléchi à ce que deviendraient ses chiennes s’il lui arrivait malheur. «C’est mon ex qui les prendra. Et vice versa, puisque lui aussi possède des animaux.» Dans les tribunaux, il n’est plus rare de statuer sur la garde de toutous. «Tout le monde est bien conscient de la place émotionnelle du chien, aussi les juges sont compréhensifs», explique Sébastien. Ce Lausannois a fixé le sort de ses deux toutous dans sa convention de divorce. «Avec mon ex-femme, nous nous sommes séparés à l’amiable, mais on ne sait jamais comment les choses peuvent tourner. Nous avons convenu d’une sorte de garde alternée: pas plus de 7 jours consécutifs, 15 jours par mois maximum. Formellement, on ne détermine pas qui a l’autorité parentale, comme pour les enfants, mais qui a la propriété du chien. Puis on décide d’un droit d’usage et non d’un droit de visite.»

«Dans la législation, les animaux ne sont pas considérés comme des personnes», rappelle Nathalie Rochat, porte-parole de l’OVF. Cette dernière renvoie au Code civil qui stipule que «les animaux ne sont pas des choses» mais précise, au point 2, que «sauf disposition contraire, les dispositions s’appliquant aux choses sont également valables pour les animaux.» En clair, si on maltraite un chien intentionnellement, on encourt une peine pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. On est aussi amendable si on ne suit pas les cours d’éducation canine obligatoires. Mais pour les autres cas, qui ne tombent pas sous le coup de la Loi sur la protection des animaux, le chien reste une chose. Ainsi, si l’on acquiert son toutou à l’étranger, on doit payer la TVA sur le prix d’achat. Comme s’il s’agissait d’une voiture.

Une vie de chien

Malgré ces contradictions légales, le chien a trouvé sa place au sein de la société. Certains EMS accueillent des résidants accompagnés de leur animal de compagnie. C’est le cas du home médicalisé Les Arbres, à La Chaux-de-Fonds. L’établissement n’a plus hébergé de chiens depuis plusieurs années, mais son règlement autorise toujours leur présence – également pour ceux du personnel – pour autant que leurs propriétaires soient aptes à s’en occuper, tout du moins à leur arrivée en institution. «L’entrée en EMS se faisant de plus en plus tard, ce n’est plus si fréquent, explique le directeur Claude-Alain Roy. Nos pensionnaires sont de moins en moins autonomes lorsqu’ils arrivent chez nous, aussi ils ont déjà réglé la question de la garde du chien avec leurs proches. L’animal vient en visite. La famille le prend avec, comme un membre de la famille à part entière.»

«Le chien n’est pas une personne, confirme la comportementaliste Evelyne Teroni, auteure de Vie privée, vie sociale des chiens. Mais les relations qu’on entretient avec lui peuvent être comparées à celles que nous avons avec d’autres humains. Comme nous, le chien est un animal social. Il est très attentif à nos faits et gestes, il nous observe beaucoup. Il fixe le visage des humains, ce que le loup, son ancêtre, ne fait jamais. En fait, il nous connaît beaucoup mieux que nous le connaissons.» Mais peut-être devrions-nous nous interroger sur les conséquences de cette proximité. «Le fait qu’on lui attribue des pensées et des comportements humains peut générer beaucoup de problèmes, poursuit la spécialiste. On a beaucoup idéalisé le chien; aujourd’hui, on fait le chemin inverse en mettant en avant le nombre de ses morsures. Avec la nouvelle loi de 2008, on ne le laisse plus vivre sa vie de chien. Avant, on acceptait qu’il soit un animal et qu’il réagisse en tant que tel. S’il mordait, on n’en faisait pas toute une histoire. Il faut relativiser l’agressivité de l’animal. Aux Etats-Unis, une étude a démontré que, chaque année, le bétail fait plus de morts que les chiens. Oui, en Suisse, un enfant a été tué par un chien, et c’est terrible. Mais combien ont été tués volontairement par leurs parents?»

Animalia, salon de l’animal de compagnie, les 20 et 21 octobre 2012 au Palais de Beaulieu, à Lausanne, de 9 h à 18 h. www.animalia.ch

373 millions

C’est, en dollars, la fortune de Gunther IV. Ce berger allemand est devenu le chien le plus riche du monde en héritant de son père, Gunther III, qui lui-même était devenu riche à la mort de sa propriétaire, la comtesse allemande Karlotta Libenstein. Le club des toutous en or compte aussi le bichon Trouble, qui a reçu 2 millions de dollars au décès de la milliardaire Leona Helmsley. Quant à Conchita, une chihuahua, elle a hérité, en 2010, 3 millions de dollars de sa maîtresse.

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