culture
«Notre-Dame-des-Plantes»: Gilles Clément dans le jardin du bien et du mal
FEMINA Comment guidez-vous votre inspiration pour la conception d’un jardin?
Gilles Clément Je prends en considération le lieu, l’émotion qu’il dégage, le contexte, le paysage, son passé. C’est d’abord un point de vue émotionnel. Après ça, il faut regarder les paramètres de faisabilité tels que la qualité du sol, le climat, le mode de vie des habitants. Pour résumer, on ajuste un rêve par rapport à ces différents facteurs.
Dans votre dernier ouvrage, vous proposez, un peu à la manière d’une utopie d’artiste, une reconstruction de Notre-Dame faisant la part belle au végétal. Pourquoi aller vers les plantes alors que ce monument semble trouver son sens et son identité dans sa dimension minérale?
Végétaliser Notre-Dame, ce serait offrir une option possible de la réinterprétation de cet édifice qui, au cours de son histoire, n’a cessé de changer de forme. C’est aussi donner une place au vivant non humain, en ces temps où le changement climatique et la manière de vivre par la névrose de la consommation nous obligent à changer nos modes de vie. J’imagine notamment son toit comme un vaste vitrage qui fonctionnerait comme une serre.
J’y placerais également des plantes exotiques présentes dans nos jardins depuis longtemps, mais choisies pour leur symbolique faisant écho à des mythes religieux, parmi lesquels l’épine du Christ et la passiflore, qui rappelle la Passion. Sur le parvis, qui servit jadis à brûler les huguenots et fut un lieu de souffrance, j’installerais un verger de pommiers, dont le nom latin, malus, fait référence à ce qui nous est néfaste.
Vous avez fréquemment recours à des essences dites non indigènes dans vos créations. Votre approche apparaît toutefois à contre-courant d’un certain bon sens actuel voulant privilégier les espèces locales, notamment dans l’espace public urbain, où on replante de plus en plus des arbres de la région environnante.
Notre société valorise désormais une gestion des plantes en rapport avec l’équilibre écologique, sans trop d’assistance démesurée en eau ou engrais. C’est une bonne chose, sauf que cette tendance nous entraîne dans un débat incroyable entre des espèces considérées comme natives, quasi sacralisées, perçues comme légitimes, et des espèces nouvelles, qui seraient chez nous par erreur et représenteraient une menace pour la flore indigène au point de devoir les bannir.
Evidemment, il existe des biomes, autrement dit de vastes ensembles liés à une géographie par le climat, qu’il soit tropical, tempéré… mais en dehors de ça, les plantes se moquent des pays et des continents.
Pourtant, les espèces exotiques n’ont pas toujours été considérées comme indésirables, la preuve avec les tulipiers de Virginie plantés dans le domaine du château de Versailles sous Louis XVI…
En effet, dans le passé, entre le XVIIe et le début du XXe siècle, on valorisait beaucoup les espèces venues d’ailleurs. On aimait les installer dans les jardins chics, un peu démonstratifs. Ça démontrait, à ces époques, un intérêt à la fois scientifique et philosophique pour l’altérité.
Mais on ne peut quand même nier le fait que certaines espèces peuvent devenir problématiques en concurrençant la flore locale?
Quelques-unes se révèlent certes gênantes, à l’image de la renouée du Japon, qui colonise beaucoup les bords des rivières. Bien sûr, il faut protéger la biodiversité, mais ça ne doit pas se faire en fixant le mécanisme de la vie. Aujourd’hui, on regarde beaucoup d’espèces non indigènes de travers, car on craint que certaines puissent devenir envahissantes. Sauf que ce qualificatif d’invasif est un terme péjoratif qui n’a pas de réalité du point de vue scientifique et qui témoigne d’une ignorance des mécanismes de l’évolution.
Il y a aussi des espèces invasives ici qu’on ne voit plus comme telles, car on s’y est habitué. Le chêne, par exemple, arrivé du sud avec la fin de l’ère glaciaire, n’est chez nous que depuis 10 000 ans, ce qui est vraiment court à l’échelle biologique. Malgré ça, on le considère sans doute possible comme une espèce locale.
Il y a aussi le cas du robinier. Cet arbre importé au cours du XIXe siècle s’est révélé fournir un très bon bois, au point d’être utilisé pour les échalas, dans les vignes. Désormais, on le retrouve partout en Europe et personne n’aurait l’idée de le désigner comme envahissant.
Vous parlez d’une certaine ignorance des mécanismes de la vie. Comment cela est-il possible chez des chercheurs aguerris?
Cette attitude hostile envers les essences exotiques est un phénomène assez récent, qui a commencé il y a environ vingt ans. Elle se base sur une sorte de vision technocratique, manichéenne, où on coche des cases selon des listes officielles de plantes acceptées ou non, comme si on ne comprenait pas ce qu’est un écosystème. Car si un climat change, par exemple, l’écosystème évolue aussi.
Malheureusement, ce genre de classement rigide est bien entré dans les mœurs, en particulier depuis qu’il y a des ministres de l’écologie. Ça marque juste une manifestation presque puérile du pouvoir. Il s’agit d’une lecture surtout politique du paysage. Or, on ne doit pas regarder la nature du point de vue du bien et du mal. Tout ça n’a aucun sens.
Les écologistes ont-ils donc tort d’approcher la nature de cette manière?
On compte quelques exemples d’espèces indigènes qui tendent à disparaître à cause de la pression d’autres qui ont été importées, reste que ces cas sont finalement très rares. Souvent, lorsque des espèces locales sont menacées, c’est d’abord à cause de la pollution, de l’urbanisation, de la bétonisation des espaces. Et là, personne ne dit rien. Il est plus facile de pointer du doigt des plantes censées ne pas avoir leur place ici.
Quelles sont vos solutions?
Il nous faut choisir un maintien du paysage dans le temps se faisant de façon écologique, sans tuer d’autres espèces autour, mais en acceptant l’idée de diversité et d’imprévisibilité. On est actuellement dans l’illusion de la maîtrise du paysage. Or, la pandémie a bien montré que cette prétendue capacité à maîtriser la nature était illusoire.
Que dit de nous cette tendance au nationalisme végétal?
Que nous avons remplacé l’accès à la connaissance de l’autre avec l’expérience de terrain par une illusion de la gestion du vivant renforcée par l’évolution de la technologie.
Le jardinier sait à quel point la vie se réinvente, surprend. Il préfère entrer dans une forme de dialogue avec la nature, un échange, quelque chose de très philosophique au final. Ça s’apprend, un peu, mais surtout, ça se découvre et ça se vit.
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