Un goûter avec Jean-Claude Ellena

La semaine passée, j'étais à Paris pour la présentation d'un nouveau soin anti-âge. Comme nous avions un peu de temps et que l'attachée de presse qui nous accompagnait est la meilleure du monde, notre petit groupe de journalistes suisses a eu le privilège de prendre un goûter sous le toit de la maison-mère Hermès, au 24 rue du Faubourg Saint-Honoré, avec le nez de la marque depuis bientôt 10 ans, Jean-Claude Ellena. Ce malicieux homme du Sud a le regard qui pétille quand il parle de son métier et possède un réel don de conteur. Il nous a retracé pendant une bonne heure et avec force anecdotes l'histoire des classiques de la maison, qu'il n'a donc pas créés lui-même, mais dont il est le gardien, de L'Eau d'Hermès en 1951 à Rouge en 2000. Toujours commercialisés, ces huit fragrances ressortent début 2014 dans un nouveau flaconnage et une remise en avant.

1951, l'Eau d'Hermès. Hermès est sellier de profession et les odeurs qui lui sont associées sont plutôt celles du cuir, voire du cheval... Ce parfum unisexe se veut celui de l'intérieur d'un sac, du cuir donc mais aussi celui de la soie des fameux foulards "carrés" et des fleurs fraîches qui décorent la boutique. C'est Edmond Roudnitska qui l'imagine, un monstre de la parfumerie, "nez absolu", qui écrivait aussi beaucoup sur son métier. C'est lui qui a donné envie à Jean-Claude Ellena d'en faire le sien. L'Eau d'Hermès est d'ailleurs le seul parfum que JCE porte, quand il se parfume. Il le fait alors trois fois par jour!

1961, Calèche, premier parfum féminin de la maison. Il sort en même temps que Madame Rochas, qu'on dit "bourgeois", tandis que celui d'Hermès serait artisocrate. L'accord floral, rose, jasmin, muguet, est à la base de tous les parfums de l'époque. Calèche intègre 10% de vétiver, un choix audacieux qui masculinise le jus. Normal pour une maison dont l'aura reste essentiellement virile. La mode des parfums "bourgeois" se poursuivra jusqu'à First, de Van Cleef & Arpels, une création de JCE d'ailleurs, en 1976. La rupture interviendra l'année suivante avec Opium, de Yves Saint Laurent, un parfum français orienté vers le marché américain. Opium s'inspire des orientaux de l'époque, Shalimar, mais surtout Youth Dew, d'Estée Lauder. C'est l'Américaine qui lança la parfumerie de masse, pour laquelle elle s'inspire de la France...

1970, Equipage, premier parfum masculin de la maison. C'est un aromatique épicé boisé, avec une note de sauge sclarée qu'on trouve aussi dans Cacharel pour Homme.

1974, Amazone. C'est le premier parfum gourmand de l'histoire, avant Mugler et son Angel. Il est construit autour des fruits rouges, cassis, mûre et intègre l'éthyl maltol, une molécule de synthèse à l'odeur caramélisée reprise mainte fois depuis, jusque dans le dernier Armani sorti cette année, Sì...

1986, Bel Ami. Une référence à Maupassant pour un parfum chypré qui célèbre le cuir, avec le patchouli et un accord mousse de chêne qu'on retrouve dans beaucoup de masculins, comme l'Eau Fraîche de Dior (d'Edmond Roudnitska!) ou Anteus de Chanel. La famille des chyprés a été lancée par François Coty en 1917, et reprise par Jacques Guerlain dans son Mitsouko en 1919. Il se murmurait à l'époque que Guerlain reprenait les idées de Coty en les améliorant...

1998, Rocabar, un parfum d'aventure qui chante la beauté de la nature et des grands espaces. Une odeur de propre, à l'américaine, selon les nouveaux codes de cette décennie, inaugurée par Cool Water de Davidoff en 1988 et largement occupée par Calvin Klein (One, en 1995). L'homme ne s'embarasse pas de coquetterie, il prend sa douche et basta.

1999, Hiris, un monofloral qui réinstaure le goût pour les belles matières. Un féminin poudré subtil, tout en émotion, créé par Olivia Giacobetti.

2000, Rouge Hermès, une réinterprétation d'un jus de 1984 qui n'avait pas connu le succès, Parfum d'Hermès. Un floral ambré au sillage sophistiqué qu'on n'oublie pas...

A l'exception de Doblis, boudé par la clientèle, tous les parfums historiques d'Hermès n'ont jamais cessé d'être commercialisés. JCE veille à leur pérennité, en trouvant des palliatifs quand certains ingrédients viennent à être interdits par la loi. Mais pour se faire plaisir, le parfumeur, à qui on a donné carte blanche permanente, et qui n'a cure des tendances du marché, s'est attelé à une version 2013 de Bel Ami: Bel Ami Vétiver (à tomber)... Un coup de coeur motivé par son amour pour la littérerature (la référence au roman de Maupassant), et l'envie de se retourner sur le passé, alors qu'il s'apprête à célebrer une décennie dans la belle maison française, marquée en 2006 par Terre d'Hermès, qui s'inscrit dans cette continuité.

La collection Les Classiques et Bel Ami Vétiver seront disponibles en décembre dans les boutiques Hermès, puis en février dans les belles parfumeries, avant de rejoindre le circuit des points de vente agréés.