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Il est l’artisan de nombreux succès en parfumerie ces dix dernières années. Pierre Aulas accompagne la création d’un jus, des premiers briefs au choix du produit fini, grâce à son expérience dans le marketing, sa connaissance du marché et des matières premières et, bien sûr, son nez. Avec sa société Art of Nose, il a participé à tous les lancements Thierry Mugler depuis Cologne en 2001 et garde un rapport particulier avec la marque, dont il apprécie l’audace et l’implication personnelle de son créateur. Pierre Aulas, c’est aussi celui qui a toujours une anecdote d’«insider» à raconter lors des présentations à la presse! Nous l’avons invité à nous parler du casse-tête de l’approvisionnement en certaines matières premières et des nouvelles normes écologiques.

FEMINA Les parfumeurs sont-ils sensibles au développement durable?
PIERRE AULAS
Oui, et plus encore avec le commerce équitable dans les pays d’où proviennent certaines matières premières. Les deux sont un peu liés: au lieu de donner un poisson à un homme, apprends-lui à pêcher! Je trouve ça très bien. Cela ouvre aussi parfois de nouvelles perspectives. La société Be-Have, par exemple, travaille avec les aborigènes en Australie pour distiller une variété de bois séché, le fire tree, qui dégage une odeur ambrée balsamique assez nouvelle et intéressante en parfumerie. L’exploitation se met en place avec la population locale, préserve la qualité, limite les intermédiaires, la déforestation et l’exode rural. Givaudan l’a également expérimenté pour le benjoin au Laos, la fève tonka du Venezuela, la vanille de Madagascar ou encore l’ylang des Comores.

L’écologie intervient donc au moment de la création et du choix des ingrédients?
Oui bien sûr. Par exemple le santal Mysore a été complètement substitué dans les parfums Mugler. Nous avons la chance d’avoir des formules qui n’en contiennent pas trop. Cela relève aussi de la responsabilité du parfumeur en amont. Quand il sait que l’approvisionnement d’une matière première va poser problème, il ne va pas la faire entrer dans la composition, ou pas en trop grande quantité. Car si le parfum est un succès, il y aura clairement un souci pour la production à moyen terme.

Quels sont les problèmes que vous rencontrez justement avec le santal?
Le vrai bon santal, dit santal Mysore, qui provenait principalement de l’Inde, a été interdit d’exportation par le gouvernement indien parce qu’il n’y en a plus assez. Les Indiens l’utilisent pour les crémations, et ils sont nombreux…

Comment assurer une odeur fidèle aux parfums existants qui en contiennent?
C’est le casse-tête. Il y a des fraudes, hélas. Mais il y a aussi des substituts. On a planté exactement la même espèce dans d’autres pays. Mais comme il ne pousse pas sous la même latitude, ce n’est pas exactement la même chose. Le santal australien contient moins de santalol, la molécule qui donne son odeur caractéristique au santal Mysore. Mais on se débrouille, également avec les molécules de synthèse, pour trouver les mêmes odeurs. Passer par la synthèse préserve la planète, mais ce n’est pas toujours la même qualité olfactive.

Y a-t-il des solutions à plus long terme?
Ce qui est bien, c’est l’agriculture raisonnée. Des fournisseurs comme IFF, Givaudan, Firmenich font des études et des partenariats pour essayer de diversifier les zones d’exploitation. Une autre matière première problématique, c’est le patchouli, une plante qui ne pousse qu’en Indonésie et dont on exploite les feuilles. A chaque crise économique ou sociale dans le pays, c’est la catastrophe, le prix peut augmenter jusqu’à dix fois. Givaudan ou IFF ont commencé à faire des plantations dans d’autres pays à des latitudes similaires, avec un climat similaire, une hygrométrie similaire, notamment en Afrique occidentale.

Un autre problème, soulevé par Greenpeace, c’est la toxicité des parfums.
Il y avait une grande polémique autour des phtalates. Le problème était en fait très facile à résoudre car les phtalates sont des solvants qu’on peut aisément substituer. Leurs méfaits n’ont pas été prouvés, ils sont utilisés depuis des dizaines d’années. Je ne dis pas que ce n’est pas vrai, je dis juste qu’il y a des ingrédients qui sont parfois pointés du doigt injustement. Certaines familles de muscs, par exemple, ont été interdites, mais ils sont en train de revenir car on s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas dangereux. L’industrie de la parfumerie effectue tous les tests nécessaires mais n’a parfois pas les moyens de l’affirmer à 100%.

Un rapport américain prétend que sur 80 000 molécules existantes, seules 200 auraient été testées.
Je ne suis pas du tout spécialiste du sujet mais, en Europe, il existe une norme mise en place il y a quelques années qui oblige tous les parfumeurs à tester l’ensemble de leurs molécules. Par ailleurs, nous suivons les directives de l’IFRA (ndlr: International fragrances association) , qui sont très sévères. Nous avons nous-mêmes, dans le groupe Clarins, une liste dite «noire» encore plus stricte et restrictive que l’IFRA.

On sait quand même que nos corps contiennent des dizaines de substances chimiques que nous avons métabolisées.
Oui, je ne vais pas dire le contraire, mais il y a parfois de telles inepties! Je me rappelle d’une substance décriée dans les parfums d’ambiance dont on recevait une dose dix mille fois plus élevée en épluchant simplement une orange! L’IFRA est chaque année plus restrictive, ils ont même failli interdire le dérivé de la vanille le plus utilisé (la vanilline), ce qui aurait mis en péril tous les parfums orientaux, alors que chaque jour on en consomme des doses bien plus élevées dans l’alimentation. L’IFRA applique le principe de précaution, mais il faudrait être un peu plus cohérent avec les autres industries qui, elles, bénéficient peut-être d’un meilleur lobbying…

Quid des allergies?
C’est pareil, on utilise des parfums depuis des centaines d’années. Je pense que l’homme est devenu plus sensible à cause de son environnement, de sa nourriture, de la pollution, du stress. Paradoxalement, ce sont les matières naturelles qui sont le plus allergisantes, notamment les huiles essentielles.

Les matières premières naturelles ne sont donc pas forcément écologiques…
Tout à fait, pour faire une extraction par exemple, il faut des solvants, dérivés pétroliers… C’est sans fin. Faire un vrai grand parfum en bio est compliqué, la palette est restreinte, les notes volatiles. J’y travaille depuis des années, mais je ne suis pas convaincu.

Vous ne pensez pas que c’est plus qu’un trend? Dans l’alimentation, le bio est en train de devenir la norme…
En parfumerie, la pression des consommateurs est encore légère. Les gens ont besoin de rêver quand ils achètent un parfum, ils veulent en avoir pour leur argent, il doit fuser, tenir, avoir un sillage. Si la demande augmente, la parfumerie devra changer complètement. On s’adaptera, cela ne me fait pas plus peur que ça.

Des succès signés Aulas (en images)

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