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Bal à Versailles, Fête de Molyneux, Capricci de Nina Ricci, Chant d’Arômes de Guerlain: à eux quatre ces parfums résument l’année 1962 qui comptera six nouveautés. On est bien loin du nombre de sorties propres aux décennies qui vont suivre. Exception faite du Chant d’Arômes créé par Jean-Paul Guerlain – un chypre frais qui esquisse une première évolution vers la fraîcheur –, ils incarnent l’esprit d’une époque qui s’achève. Appréciées par des femmes d’âge plus mûr habituées à un caractère ultrasensuel, ces senteurs capiteuses ne satisfont plus une nouvelle génération née du baby-boom qui recherche des jus plus légers.

Docteur en histoire, professeure à l’ISIPCA, la fameuse école de Versailles, Elisabeth de Feydeau témoigne: «Cette jeunesse va révolutionner les habitudes en matière de parfumerie. Déjà parce qu’elle aspire à se parfumer, ce qui ne se faisait pas du tout lors des générations précédentes, où on attendait le mariage pour commencer à le faire. Ensuite parce que les années 1960 voient l’explosion du marché masculin selon des canons olfactifs très précis: fraîcheur, virilité, tonicité de notes hespéridées et boisées. Jusqu’alors on pensait qu’un homme qui se parfume était forcément efféminé.» Et de citer le phénomène Brut de Fabergé qui, en 1964, séduit par ses notes fougère fleurie, suivi par Habit Rouge de Guerlain, oriental boisé et épicé, chaleureux et sensuel, et par l’Eau Sauvage, signé Edmond Roudnitska pour Christian Dior en 1966. Un chypre raffiné, épuré grâce à la présence de l’Hedione, qui va donner aux femmes l’envie de se l’approprier. Sa légèreté non dénuée de caractère n’y est pas étrangère. On peut presque évoquer un unisexe, dans le meilleur sens du terme.

Une évolution que confirme Jean Kerléo, parfumeur et fondateur de l’Osmothèque, institution fondée en 1988 pour conserver et transmettre les fragrances qui ont fait la renommée de la parfumerie française. «Les années soixante, ajoute-t-il, marquent aussi l’avènement des eaux de parfum et des eaux de toilette. Ainsi Shalimar était perçu, à l’époque, comme un parfum de dames dont ne voulaient plus les jeunes filles qui avaient l’impression de porter celui de leur grand-mère. Il fallait donc répondre à leurs désirs.»

Alors que la première moitié du XXe siècle est, en effet, celle d’extraits ultracapiteux, très concentrés en huiles essentielles que des poudres venaient compléter, les sixties vont être marquées par des Miss Balmain, Y d’Yves Saint Laurent, Fidji de Guy Laroche, Chamade de Guerlain et autre Climat de Lancôme. On peut dire que le parfum, objet de luxe, se démocratise. A la manière du prêt-à-porter qui, quelques années plus tard, va s’adresser à un plus grand nombre d’amatrices.

Quand la technique s’en mêle

«Cette vraie recherche d’épure a été amorcée en 1960, par Madame Rochas, à l’intention des jeunes femmes qui ne se revendiquent plus comme fatales», relève Elisabeth de Feydeau. L’écriture évolue: moins orientale, davantage verte et fraîche. Pas encore tout à fait «libérée», cette génération s’oppose néanmoins à l’image traditionnelle de ses aînées embijoutées et parées de fourrure, n’aimant que les parfums dits «de peau». Elle attend de la parfumerie qu’elle soit plus moderne, sans perdre sa distinction. En somme, elle veut des produits qu’on peut porter toute la journée. Qui ne sont plus réservés aux soirées ou aux occasions exceptionnelles. «Cela dit, poursuit Elisabeth de Feydeau, Cabochard, créé en 1959 par Madame Grès et ses turbans, chypré cuir, se voulait l’accessoire d’une femme qui n’en fait qu’à sa tête. Mais trois ans plus tard, on est dans une autre optique, avec plus de transparence.»

Côté technique, la chromatographie est présentée comme une technique permettant de séparer les molécules de mélanges complexes pour les identifier. Dans les années 1960 le couplage avec un spectomètre de masse permet aussi d’accélérer l’identification des composants des huiles essentielles. Certaines de ces molécules sont alors reproduites en synthèse, mais la chromatologie est aussi utilisée pour contrôler les achats de matières premières, identifier et quantifier les composants des parfums du marché. Jean Kerléo tempère néanmoins ses atouts en relevant que cette méthode d’analyse permet avant tout de détecter les molécules chimiques mais ne donne pas la provenance d’un jasmin, par exemple, ni les conditions dans lesquelles il s’est épanoui. «Il donne le squelette du parfum. Amon époque (ndlr: après 12 ans passés chez Helena Rubinstein, il a été le parfumeur exclusif de Patou dès 1967, et durant 32 ans), on ne disposait pas de ce genre de matériel. Il fallait détecter au nez. Comme en musique, appréhender l’architecture du parfum. Et la meilleure façon de faire c’était en travaillant, en sentant.»

Questionnée sur la parfumerie américaine, l’historienne Elisabeth de Feydeau relève combien, outre-Atlantique aussi, une demande s’est manifestée en faveur du «clean, propre, frais». Ceci après le lancement, dans les années 1950, de Youth Dew (rosée de jeunesse) – un oriental très opulent –, et de quelques parfums dans la même lignée. «De toute façon, là-bas, il n’y a pas de juste milieu. On s’adresse à la nonne ou à la pute. C’est presque caricatural», plaisante-t-elle.

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