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Les fous n’existent pas

On a tous notre grain de folie. Mais le fou, c’est toujours l’autre, ça nous arrange. Je ne sais pas pourquoi les patients psychiatriques ne me font pas peur. Je crois que je suis tombée dans la marmite psy comme Obélix dans la potion magique. Le besoin de parler, de dialoguer, d’exprimer.

Le choix de la psychiatrie s’est imposé de lui-même, il ne résulte pas d’une éventuelle histoire tragique. D’ailleurs, c’est fou ce qu’on peut rigoler, parfois, avec les patients. Au départ, je cherchais un parcours professionnel qui me permette de m’occuper des autres. J’ai commencé par étudier le droit public, je me voyais rédiger des statuts pour des ONG, des textes idéaux qui définissent un monde idéal. Mais j’ai quitté en cours de route pour voyager longuement.

Les voyages, c’est ma vie

Je suis curieuse de la culture des autres, j’aime me plonger dans des univers différents. Et puis un jour, je me suis inscrite à l’Ecole d’infirmières de Lausanne, qui n’était pas encore l’actuelle Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV). Par coïncidence, ma mère a retrouvé en même temps mes cahiers d’école primaire, de quand j’avais peut-être 7 ans: j’écrivais alors que je voulais être infirmière, mais je ne m’en souvenais plus.

Quand on est infirmière, ce n’est pas par hasard. On cherche à comprendre la douleur humaine. J’ai sans doute été interrogée par la mort trop tôt. Malgré la formation généraliste que dispense l’école, je me suis arrangée pour passer un maximum de temps dans les soins psychiatriques. Ça m’a tout de suite branchée. Une fois diplômée, j’ai passé en emploi un master de philosophie, option éthique appliquée, de l’Université de Sherbrooke, au Canada.

Ça m’a pris trois ans

Ça donne des bases, ça permet de mieux approcher sa folie et celle des autres. Cela m’a beaucoup aidée quand j’étais infirmière à la section psychiatrique pour hommes de la prison de La Tuilière, à Lonay (VD): savoir approcher et accepter la différence, savoir mettre la distance. A La Tuilière, les détenus sont en préventive, en attente de procès. Ils ont commis des vols, des escroqueries, des meurtres… Ils ont droit à un suivi intensif puis, s’ils sont condamnés, sont transférés ailleurs. Le travail consiste à tenter de décoder ce qui s’est passé pour eux, à les aider à surmonter leurs angoisses, leurs délires.

Certains diront bien sûr que c’est bien fait pour eux s’ils se retrouvent là. Mais on voit des gens affectés d’une grande détresse psychique, d’autant qu’ils sont coupés de leur milieu. Ceux qui ont des problèmes d’abus de substances sont sevrés, on leur administre de la méthadone, des anxiolytiques. Mais le sevrage reste toujours risqué: quand on leur a déjà tout enlevé et qu’ils perdent en plus leur substance addictive…

Il y a ceux qui ne comprennent pas un mot de français

Pour ces cas, on dispose d’un annuaire de traducteurs patentés mais on recourt aussi à des codétenus ou même à des employés qui parlent telle ou telle langue. Je ne sais pas s’il est possible de soigner un délire en prison. D’ailleurs, le détenu a peut-être intérêt à rester délirant pour atténuer sa peine.

Après la prison, je suis passée à l’hôpital du Secteur psychiatrique Nord. J’y ai fait des soins, de la supervision, de l’accompagnement pour les projets. HESAV m’a alors proposé un poste d’enseignante. Puis j’ai éprouvé le besoin de revenir à la pratique clinique.

Actuellement, je suis à la fois professeure et infirmière clinicienne

L’un sans l’autre ne me paraît pas possible. Les deux mondes se complètent et s’alimentent mutuellement, alors qu’autrefois ils s’excluaient plutôt. En plus, les projets interdisciplinaires se multiplient: on travaille avec la Haute Ecole d’Ingénieurs et de Gestion à Yverdon (HEIG-VD), avec la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU). Je suis sur un projet qui étudie l’opportunité d’introduire la musique dans les chambres dites de soins intensifs psychiatriques.

Les soins infirmiers sont une profession qui bouge, qui évolue sans cesse. On est certes toujours au lit du patient mais j’adore cette constatation d’une infirmière finlandaise: «Un bon infirmier en psychiatrie doit être cultivé.» Eh oui, il faut être cultivé pour mieux comprendre l’autre, pour savoir d’où il vient et ce qu’il a vécu, connaître son passé et ses traditions.

Cela dit, les maladies psychiques font toujours peur. Et on continue à parler de fous. Or le fou, c’est peut-être nous. En plus, la folie ne se voit pas comme un cancer. A la différence d’un malade du cancer, on n’ose pas parler à un fou comme avant. La stigmatisation reste grande. On croit trop souvent que guérir d’une maladie psy est une question de volonté. Or, il s’agit de maladies presque comme les autres. On mène ensemble une enquête pour construire du sens à la crise qui bouleverse le patient et à ce qu’il vit.

Ça se soigne, mais ça prend du temps

J’ai d’ailleurs l’impression que les maladies psy ne sont pas en augmentation. C’est une illusion due au DSM, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders américain, qui est de plus en plus épais à force de multiplier les normes de santé mentale arrangeant l’industrie pharmaceutique et la recherche en psychopharmacologique. Par ailleurs, ça traduit une tendance de la société actuelle à fabriquer des figures d’altérité qui servent à exclure sous prétexte d’une maladie. En réalité on n’est pas plus souvent malade, on est seulement plus souvent diagnostiqué malade ou déviant.

Dépression, burnout naissent du fait que les entreprises s’intéressent de moins en moins aux gens, de plus en plus à la richesse qu’ils produisent, à la mobilité dont ils sont capables. Or, nous ne sommes pas des objets, nous sommes des êtres différents, avec des capacités différentes de produire, de se concentrer, de récupérer. En prison, quand on a affaire à un assassin, on lui dit bonjour, on le regarde dans les yeux, on lui dit qu’il est un sujet, pas un objet.

La qualité essentielle pour faire ce métier?

Rester aussi neutre que possible et, pour ce faire, travailler sur soi. En tout cas, les patients me donnent beaucoup, j’ai parfois un immense plaisir à partager avec eux.

La Haute école de la Santé Vaud (HESAV) fête les 10 ans de l’entrée en vigueur des programmes HES dans les professions romandes de la santé (1-8 novembre 2012, à Lausanne).

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