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C’est arrivé le 4 juillet 2012, à 18 heures

Je ne me rappelle plus de rien. Ni du jour même, ni de la semaine entière qui a précédé l’événement. Mon seul et unique souvenir remonte à la nuit d’avant: je me suis réveillée avec l’impression d’être très affaiblie et suis allée voir ma fille Marie pour lui dire que je faisais une chute de pression. Mais comme je souffrais d’hypotension quand j’étais jeune, je ne me suis pas inquiétée et suis allée me recoucher. Marie, qui avait alors 25 ans, et mon mari Pierre m’ont raconté par la suite ce qu’il s’est passé.

L’après-midi, nous sommes allés nous promener et faire des courses à Payerne. Nous avons pris quelque chose à boire dans un café avant de rentrer à la maison. Marie s’est mise en cuisine, mon mari et moi, installés dans la salle à manger, avons commencé à discuter. J’étais assise sur une chaise près de la fenêtre. Je ne me suis d’ailleurs plus jamais assise dessus depuis, par superstition… Pierre me faisait rire à propos des petits défauts d’une de nos connaissances et, tout à coup, je me suis effondrée à terre, ma tête heurtant le rebord de la fenêtre. Ma fille et mon mari se sont précipités pour me relever les pieds, pensant que je faisais une chute de tension comme pendant la nuit. J’avais les yeux entrouverts, je faisais des bruits étranges, mes bras bougeaient de façon anormale et je ne reprenais pas connaissance. Ils ont compris tout de suite que quelque chose clochait. Sans hésiter, mon mari a fait le 117, qui est le numéro de la police, mais dans la panique, c’est celui qui lui est venu à l’esprit.

Le SMUR est arrivé à une vitesse incroyable

Pendant que Pierre guidait l’ambulance, Marie me stimulait en me hurlant: «Tu vas voir qui tu veux là-haut, mais ensuite tu reviens!» Le médecin a commencé un premier massage cardiaque puis m’a intubée et m’a fait une piqûre, mais rien ne se passait, j’étais inerte. Il a demandé à mon mari quel âge j’avais: «Trop jeune pour mourir!» a-t-il répondu. Marie s’était enfuie en pleurant au fond du jardin, incapable de supporter cette scène.

En appuyant avec ses mains sur mon torse, le médecin m’a cassé six côtes. «Elle est perdue», a-t-il dit . A posteriori, je sais que pendant ces trente-cinq minutes, c’est grâce à son acharnement et à sa hargne que j’ai survécu. Transportée au service des soins intensifs du CHUV, j’ai été plongée dans un coma artificiel et mise en hypothermie pour que mon cerveau se repose. Le diagnostic était très pessimiste: même si je survivais, le risque de séquelles cérébrales et motrices restait important.

Mais mon cœur s’est peu à peu remis à battre normalement

J’ai conservé un seul flash de ce moment: un vieux monsieur est décédé sur un lit en face de moi, et pour une raison incongrue que je ne m’explique pas, j’ai été prise d’un fou rire avec l’infirmier qui se trouvait à mes côtés. Quatre jours plus tard, la neurologue a commencé à diminuer les sédatifs. Les tests auditifs, visuels et tactiles ont tout de suite été encourageants. Je pouvais voir mon mari et mon fils, qui étaient toujours restés à mes côtés, mais pas leur parler, à cause des tuyaux que j’avais dans la gorge. Marie, elle, avait tellement peur de l’après-coma qu’elle préférait rester dans la salle d’attente à guetter le verdict. Cinq jours plus tard, j’ai enfin pu prononcer ma première phrase: « Mais qu’est-ce que je fais là!?» Mon mari m’a alors dit: «Qui je suis?» Ma réponse a valu tous les bilans médicaux du monde: «Mon Chéri!»

Mes facultés motrices et cérébrales étaient intactes, seule ma voix était un peu éraillée. Paradoxalement, ce sont mes côtes qui me faisaient le plus souffrir, rendant chaque respiration douloureuse. Trois semaines et demie après, équipée d’un défibrillateur et d’un pacemaker, je suis rentrée à la maison. La neurologue a déclaré que c’était un miracle. Mon généraliste, lui, a préféré une interprétation plus amusante: «Vous êtes allée serrer la main de Saint-Pierre et vous êtes revenue?!»

Cet événement a été comme une renaissance et m’a profondément changée

J’ai perdu 35 kilos: moi qui étais devenue ronde au fil du temps, je suis désormais très mince. Du coup, j’ai retrouvé le plaisir de m’habiller, d’aller chez le coiffeur et, comme je me sens bien dans ma peau, de sortir à nouveau. Mon caractère aussi a été radicalement modifié: auparavant, j’étais angoissée, je voyais facilement la vie en noir et je restais souvent cloîtrée à la maison. Dans ma relation à mon entourage, y compris proche, j’étais soumise et subissais beaucoup.

Depuis ce 4 juillet, la vie m’émerveille, je vis sans peur ni stress, et il ne faut plus m’embêter! Je dis ce que je pense quand j’en ressens le besoin. J’ai entrepris d’écrire aux gens qui nous avaient blessés et de ne plus m’obliger à les voir. A l’inverse, j’ai repris contact avec des cousines perdues de vue que j’aimais beaucoup. Cela a eu un effet bénéfique sur toute la famille. Evidemment, ceux qui m’ont connue avant peuvent le prendre pour de l’agressivité. En réalité, j’ai juste retrouvé mon intégrité et arrêté de vivre pour les autres. Je suis enfin moi-même. Au début, j’ai cru que c’était du «je-m’en-foutisme», mais c’est du recul. Les problèmes matériels et les petits tracas me paraissent futiles, dérisoires. Je ne vois rien, je n’entends rien, je ne dis rien, mais j’écoute beaucoup, et je pense.

Deux ans après mon arrêt cardiaque, je suis en pleine forme

Je ne prends qu’un médicament, pour le cœur, ne vois mon médecin que deux fois par année, et personne n’explique comment une telle rémission est possible. Nous faisons des projets, je rêve de voir des milliers de choses: Rome à Pâques, New York avec ma fille. J’ai pris conscience qu’elle, mon fils et mon mari avaient encore besoin de moi, que je n’avais pas le droit de m’en aller . Marie et moi sommes devenues inséparables, parfois insortables tellement nous piquons de fous rires. Mais j’ai aussi découvert le bonheur d’être seule, j’en ai besoin: je me lève à quatre heures du matin, je descends prendre un café, et je savoure le silence, la pénombre, avec une totale sérénité. Deux passions ont émergé: l’écriture, que je pratique durant ces heures calmes, et la cuisine. J’y trouvais déjà du plai sir; désormais, j’élabore des recettes chaque jour: ça fait travailler mon cerveau et ça me procure un grand bonheur.

A ceux qui vivraient une expérience similaire, je dis: «Courage! La vie va continuer, encore plus belle qu’avant même.»


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