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Quand tout a commencé, il y a quelques années, j’avais déjà entendu parler d’addiction aux jeux d’argent, mais cela restait pour moi du domaine de l’abstrait.

Dans mon entourage, personne n’a jamais joué

Et puis, il y a quinze ans, on en parlait peu. Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais instinctivement inquiète quand mon mari jouait. Pourtant, je relativisais. Il m’a fallu du temps et de nombreux coups au cœur avant de réaliser à quel point il était accro.

Au début de notre relation, Marc tapait régulièrement le carton à la pause de midi avec ses collègues. Mais il semblait gérer. Il continuait à faire beaucoup de sport parallèlement à son travail. Les premières années de notre vie de couple ont donc été idylliques. Comme il gagnait bien sa vie, j’ai cessé de travailler pour m’occuper de nos deux enfants. C’était le bonheur!

Et puis la roue a tourné. Après une courte période de chômage, durant laquelle nous avons contracté nos premières dettes, Marc a intégré une nouvelle entreprise. Les problèmes ont commencé. Il s’est mis à jouer de l’argent. De mon côté, entre le travail que j’avais repris, la maison et les enfants, j’avais beaucoup à faire et n’imaginais pas du tout ce qui se tramait.

Financièrement, nous étions toujours serrés

Je n’avais parfois même pas de quoi me payer un café, alors que je cumulais les emplois. On aurait alors dû tourner financièrement, avec le recul, j’en ai conscience. Mais je fermais les yeux, me disant que ce n’était qu’une période. Marc a quant à lui changé. Il ne dormait plus, était toujours stressé et nerveux, rarement présent à la maison. Et quand il s’y trouvait, il avait l’esprit ailleurs. Ce n’était plus l’homme que j’avais épousé.

Au courant de notre situation, une connaissance lui a proposé un poste dans l’administration. J’ai encouragé Marc à accepter. Avec un salaire fixe, nous allions enfin retrouver une vie «normale».

Pendant quelques mois, tout s’est bien passé

Tout aurait pu changer… Mais un jour, il est rentré la mine défaite: «J’ai fait des conneries, j’ai piqué de l’argent!» Le ciel m’est tombé sur la tête. J’étais à la fois hors de moi et anéantie. Alors que je me pliais en quatre pour payer nos dettes, lui en remettait une couche en volant quelques milliers de francs à une personne qui avait placé, professionnellement, sa confiance en lui. Cette dernière avait bien sûr porté plainte.

J’avais tellement honte! J’ai alors appris qu’il jouait dans les casinos depuis un moment, qu’il s’était même endetté en empruntant de l’argent à un ancien collègue. J’étais perdue et inquiète: qui allait vouloir l’engager après ça? Qu’allions-nous devenir?

Dans notre malheur, nous avons eu de la chance

Très rapidement, Marc a retrouvé un emploi grâce à un ami. J’étais soulagée, mais déterminée à ne pas revivre cette situation. Pour pouvoir payer nos dettes, je me suis adressée à un service de désendettement qui a réorganisé notre budget. J’ai aussi proposé à Marc de verser son salaire sur mon compte afin de m’occuper directement des paiements. Il est allé jusqu’à accepter que je lui donne 20 fr. par jour pour ses dépenses.

Les six mois qui ont suivi, j’ai retrouvé l’homme que j’avais aimé. Il m’a confirmé bien plus tard qu’il avait cessé de jouer durant cette période. Il se montrait gentil, attentionné, passait du temps avec moi. J’étais pleine d’espoir: il allait s’en sortir. Nous vivions toujours aussi modestement, mais comme je tenais les cordons de la bourse, ça allait. Du moins, c’est ce que je voulais croire. Au fil des mois, il est redevenu distant, nerveux, se rebellant de recevoir si peu par jour. Il demandait plus. Moi, je n’étais pas fière, mais je tenais. Il le fallait: pour nos enfants, pour que nous puissions ne serait-ce que manger et payer les factures

La situation est devenue tendue

J’étais continuellement sur le qui-vive, prenais garde à ne jamais laisser de cartes bancaires traîner et à cacher l’argent que j’avais sur moi. Lorsque mon entourage me demandait s’il avait arrêté de jouer, je répondais par l’affirmative, ne voyant pas quand, et avec quel argent, il l’aurait fait.

Quelques années se sont écoulées, jusqu’au jour où j’ai découvert la «montagne». Un soir, il est arrivé en pleurs, demandant à nous parler, à moi et aux enfants. J’ai senti comme un vertige. Il a tout déballé: qu’il était malade du jeu, qu’il avait emprunté des dizaines de milliers de francs à son patron et volé plusieurs centaines de milliers de francs dans le cadre de son travail afin de pouvoir jouer. J’étais complètement sonnée, mais je devais rester forte pour les enfants, qui étaient bouleversés.

Heureusement, son patron n’a pas porté plainte et nous avons trouvé un arrangement

Marc et moi avons tenté le tout pour le tout en nous rendant dans un centre pour les personnes concernées par les problèmes de jeu. Les séances communes se sont révélées très dures pour moi: il passait son temps à tout me reprocher.

Nous avons ainsi très vite souhaité une prise en charge individuelle. Ça m’a beaucoup aidée. Et j’ai enfin obtenu des réponses à mes questions. C’est important, car la personne dépendante n’a pas forcément envie d’y répondre franchement. Malgré cela, une année plus tard, nous nous sommes séparés. Il n’allait peut-être plus au casino – il s’en était fait interdire l’accès –, mais il continuait à jouer dans les cafés.

Notre séparation m’a libérée

Je n’ai plus le poids des dettes, je n’ai plus à surveiller quelqu’un, je n’ai plus honte du regard des autres. Je me repose enfin! Si tout cela a été un épisode douloureux de ma vie, j’en suis sortie grandie. Plus jeune, j’étais une personne anxieuse et tranquille qui n’aurait jamais pensé vivre une telle expérience. J’ai dû me dépasser.

Aujourd’hui, je n’ai plus peur. Je profite de nouvelles activités et, enfin, de sortir. Sans être pour autant devenue dépensière, je ne me prends plus la tête avec l’argent. La vie est trop courte pour ça et j’ai envie, à présent, d’en profiter.

Plus d’infos: Ligne d’aide pour le jeu excessif, 0800 801 381, www.sos-jeu.ch ou encore www.stop-jeu.ch

En savoir plus: exposition «Argent, jeux, enjeux», jusqu’au 31 août 2014, au Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel.

Le joueur excessif: qui est-il? Table-ronde organisée le mercredi 15 janvier 2014 à 16 h (entrée libre) au Musée d'art et d'histoire de Neuchâtel, dans le cadre de l'exposition Argent-Jeux-Enjeux (www.mahn.ch). Intervenants: Marc Valleur, psychiatre-psychanalyste (Hôpital Marmottan, Paris); Michel Graf, directeur d’Addiction suisse (Lausanne); Nady El-Guebaly, fondateur de la Société internationale de médecine de l’addiction (Calgary, Canada).

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