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Lorsque j’ai commencé l’Uni, il a tout de suite été exclu pour moi de rester chez mes parents: je voulais partir et faire la révolution! J’étais très indépendante, déterminée à agir exactement comme je l’entendais. Quitte à payer ce choix au prix fort: j’ai dû me prendre en charge financièrement à 100% pendant toute la durée de mes études. Loyer, nourriture, vêtements… Pour couvrir l’ensemble de mes dépenses, j’enchaînais les jobs en dehors des cours.

J’ai beaucoup trimé, jonglé, je n’avais pas imaginé la somme de difficultés que ma décision impliquait. Je me suis retrouvée avec des menaces d’expulsion de la part de ma gérance pour loyers en retard. Il m’est arrivé de devoir privilégier un job plutôt qu’un séminaire, pour subvenir à mes besoins de base. J’ai été convoquée trois ou quatre fois par un professeur qui me rappelait que l’université était un engagement à plein temps… Résultat des courses, j’ai mis sept ans à obtenir ma licence en lettres, au lieu de quatre. Aujourd’hui, avec le Processus de Bologne, ce ne serait plus possible et ça me révolte: non seulement ce système m’aurait empêchée d’étudier mais il m’aurait privée des expériences de vie fondamentales qu’ont pour moi engendrées ces boulots que j’enchaînais. Sans compter que cette façon de procéder m’a évité de m’endetter!

Bien sûr, ça n’a pas toujours été drôle

Mais j’ai eu la chance de faire des jobs très variés. J’ai travaillé dans un bar, une bibliothèque, chez H&M et j’en passe. J’ai même suivi la formation pour devenir monitrice de ski, sacrifiant ainsi mes deuxièmes semestres pour faire la saison d’hiver en montagne. Une sacrée école de vie! Certains clients fortunés pensaient m’avoir achetée en même temps que leur abonnement.

Il faut dire qu’en station l’ambiance était volontiers festive et qu’à l’époque, en plus, il y avait peu de femmes monitrices. Donc je me retrouvais souvent confrontée à des hommes qui dépassaient les bornes. J’ai dû apprendre à poser des limites. Quelques clients sont même allés se plaindre à la direction de l’école en déplorant mon manque de docilité; d’autres n’hésitaient pas à me proposer de l’argent pour des parties fines. Jamais je ne suis entrée en matière, mais cela aurait pu être tentant pour une étudiante en situation précaire comme moi.

Protégée par les marginaux

J’avais conscience que ma vie était enrichissante et, même si j’ai dû m’accrocher, j’en garde un souvenir ébloui. J’ai vécu longtemps en colocation, par exemple, et j’aimais bien la communauté; et puis c’était tellement le bazar qu’il m’est devenu difficile de m’isoler pour étudier; j’ai donc fini par prendre un appartement décrépi, pas chauffé, avec un coin du plafond qui prenait l’eau à chaque averse. Certaines fins de mois étaient si serrées que je n’avais même plus de quoi me cuisiner des pâtes. Heureusement, avec des copains dans la même situation, on s’entraidait pour survivre, on se prêtait quelques francs ou on s’invitait à manger. Même dans la galère totale, on trouvait des solutions.

Je m’étais fait la promesse de finir mes études, quoi qu’il arrive. Avoir fait tous ces efforts pour arrêter en cours de route? C’était inconcevable! Les domaines que j’étudiais me passionnaient, y compris le grec et la psychologie, matières où j’ai obtenu des demi-licences qui ne m’ont pas été très utiles après, mais dont je suis très fière. A mes yeux, c’est le chemin qui comptait. Je n’avais pas de plan de carrière, mais un tempérament optimiste. Mon idéal n’était pas d’étudier pour ensuite gagner le plus possible, mais d’emmagasiner un maximum de connaissances et d’expérience.

Survivre dans un squat

Avec le recul, je réalise que c’est mon mode de fonctionnement depuis toujours, en fait. Avant même d’entrer à l’uni, j’étais une ado sauvage, sensible aux thèses anarchistes, dans le rejet des standards du monde bourgeois. L’Audi break, le chien, la famille, non merci! D’ailleurs, je n’ai pas changé d’avis. Du temps du gymnase, mon esprit rebelle m’a poussée à quitter la maison pour rejoindre un squat. J’avais 17 ans, j’étais la plus jeune et, rétrospectivement, je me dis que j’ai eu beaucoup de chance d’y avoir vécu sans avoir été en danger. La came était partout, les seringues circulaient, des bagarres éclataient. J’ai eu très peur quelques fois. Un des gars qui résidait là était un trafiquant, accro à l’héroïne. Il s’est mis à me tourner autour. D’autres membres du squat l’ont remarqué et l’ont pris à part, passant un deal avec lui jusqu’à lui faire jurer qu’il ne me toucherait jamais. Que ces gens en grande détresse, de vrais cabossés de la vie, me prennent sous leur aile, cela m’a beaucoup marquée! Depuis, j’ai un regard particulier sur les marginaux car je les ai vus prendre soin de moi, me protéger et être capables d’empathie.

Ces expériences ont été incroyablement formatrices et, vingt-cinq ans après, je fonctionne toujours un peu comme au temps de l’uni. Si le communautarisme, l’anarchie et la révolution ne me font plus rêver, je suis restée professionnellement hyperactive: je cumule trois activités distinctes. Je suis à la fois salariée à temps partiel, indépendante dans le domaine de la communication et cofondatrice d’une société dans l’événementiel. Fonder mon entreprise il y a dix ans n’a pas été simple – je ne connaissais rien à la compta, ni aux aléas de l’importation. Il m’a fallu faire des sacrifices financiers, prendre des risques, mais je suis enchantée de la tournure de ma carrière... même si je frise parfois les soixante heures de travail par semaine. En fait, je dois toujours lutter pour ne pas accepter de nouveaux mandats, veiller à résister à cette tentation, car je suis curieuse de nature et j’aime entreprendre. Il m’est bien arrivé d’avoir des postes uniques à responsabilités, mais c’est comme s’il me manquait quelque chose, alors. De mes années universitaires, il me reste ce besoin d’indépendance et cette confiance inoxydable. Bien que j’aime énormément vivre dans l’appartement que j’ai acquis, l’idée de me retrouver dans un studio dépouillé si les circonstances de la vie m’y poussaient ne me fait pas peur. Je me sens libre, comme autrefois, et c’est ce qui compte pour moi.

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