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Etudier en Egypte m’a ouvert l’esprit

Femina 05 Temoin Etude Caire 72

Iris étudie le droit des affaires internationales au Caire depuis trois ans. Attirée par une culture que lui ont transmise ses grands-parents.

© Guillaume Mégevand

Je suis arrivée au Caire le 28 janvier 2011

Le jour même où l’armée égyptienne est descendue dans les rues pour réprimer les manifestations. Mais j’ignorais tout de la «Révolution» qui venait d’éclater. À Genève, j’étais trop occupée à faire mes valises, trop excitée. Je stressais face à la perspective d’aller étudier en Egypte. Et en même temps, j’étais ravie de me lancer dans cette aventure. J’allais vers la nouveauté, sans aucun a priori. Lorsque l’avion a atterri, l’aéroport était vide! Mes cousines m’attendaient à l’extérieur. J’ai commencé à réaliser ce qui se passait en traversant la ville. J’ai vu les soldats armés et les premiers checkpoints, dans les rues désertes.

Je n’avais pas choisi l’Egypte par hasard, ma grand-mère paternelle, qui y était née m’avait beaucoup parlé de son pays. C’était aussi celui de son père qui avait épousé une Suissesse, et c’est dans la communauté helvétique d’Alexandrie qu’elle avait rencontré mon grand-père.

En Suisse, je suffoquais dans mon microcosme genevois

J’avais été victime d’une agression sexuelle. Je ne supportais plus rien: les bleus à l’âme de ma famille, la fac de droit bon chic bon genre, les soirées entre gens dits de bonne compagnie… Il fallait que je m’évade de ce bocal marécageux où je tournais en rond jusqu’à l’écœurement.

Je me suis donc accrochée aux racines de mes grands-parents, décédés depuis peu. L’Egypte leur avait laissé de si beaux souvenirs. J’ai voulu palper tout ce qu’ils m’avaient raconté de ce pays, à l’époque bénie où une population cosmopolite mêlait ses langues, ses coutumes et ses religions, sans acrimonie. J’avais soif de dialogue avec d’autres cultures. Je désirais découvrir ce que signifie être une femme dans un milieu proche-oriental. J’ai donc décidé d’aller apprendre l’arabe et de poursuivre mes études au Caire.

Très vite, j‘ai été captivée par l’atmosphère de révolte qui grondait sur la place Tahrir

Passionnée par les discussions politiques, je vibrais avec ces milliers de jeunes qui manifestaient dans la rue pour réclamer un avenir meilleur. Je vivais chez des cousins, dans le quartier riche de Nasr City. Après la chute de Moubarak, en février 2011, le chef de famille m’a sommée de partir sur-le-champ, de rentrer en Suisse et de ne plus revenir. Peut-être n’étais-je pas assez soumise aux yeux de mes proches.

J’ai pris mes cliques et mes claques, ai trouvé une coloc avec une Américaine et une place de prof de français dans une école privée. Et j’ai entamé les démarches pour m’inscrire à l’Université de Gizeh, à la fac de droit des affaires internationales de la Sorbonne – rattachée à la France.

J’étais décidée à rester, en dépit des risques encourus

A commencer par le harcèlement sexuel. Toutes les femmes en Egypte risquent de se faire agresser. Mais moi, je suis plus visible, parce que je suis blanche, blonde, pas voilée et que je symbolise la culture occidentale. Souvent, je me fais injurier. Sur le campus ou dans les rues, on essaie régulièrement de me mettre la main aux fesses. Impensable pour une Occidentale de se déplacer en ville à pied et encore moins en transport public.

Quant à partir se balader hors du Caire, c’est carrément dangereux. Pour faire les courses, se rendre à la fac, il faut toujours avoir quelqu’un de son cercle d’amis qui vienne te chercher et te ramener en voiture. Ou bien circuler en taxi. Et même dans les taxis, on n’est pas à l’abri de sérieux désagréments.

Je ressens une forte hostilité qui m’oblige à me contrôler en permanence…

… et à revisiter ma manière d’être et de me comporter. J’ai acquis certains réflexes de défense face au harcèlement. Par exemple, lorsque je monte dans un taxi, je me tiens prête à prendre la fuite. Je repère tout de suite comment ouvrir la portière, je garde mon sac à main près de moi et je mets les jambes vers la fenêtre pour éviter de les laisser à portée de main du chauffeur.

Partout sinon, je dois faire attention à ma tenue vestimentaire (jamais de jupe), aux propos que je tiens et aux sujets que j’aborde. A l’université, même si dans ma faculté je ne rencontre aucun problème, les conditions d’études sont difficiles. A cause du manque d’entretien, des amphithéâtres pleins à craquer et de l’animosité que je rencontre sur le campus de la part des étudiants qui, eux aussi, exercent une forte pression sociale sur les femmes. Moi, en tant qu’Occidentale, je ne conçois pas qu’il faille se voiler pour se protéger des regards de la gent masculine. Ça me vaut beaucoup d’inimitié, mais dans mon quartier où on ne me considère plus comme une étrangère, je suis désormais bien accueillie.

Rien ne m’oblige à rester en Egypte et pourtant je ne veux pas partir!

En dépit de ses côtés sombres, c’est un pays lumineux. Il dégage une prodigieuse vitalité et une atmosphère unique qui m’enrichit intérieurement. J’aime son histoire, sa culture et j’y ai fait des rencontres magnifiques. En dehors des conditionnements politiques ou religieux, les gens sont d’une gentillesse peu commune.

En vivant là-bas, je suis confrontée à des points de vue totalement différents des miens ce qui m’oblige à remettre en question mes propres valeurs sociales, politiques et religieuses. Je me sens renforcée dans mes convictions concernant les droits de l’homme et surtout des femmes. Mais je réévalue également notre système de valeurs. Quand je rentre en Suisse et que je vois des jeunes filles en short, marcher dans les rues les fesses et le ventre à l’air, je songe aux droits que nous avons acquis en Occident et à ce que nous en faisons.

Vivre dans un milieu différent m’a donné de la force pour affronter le quotidien

Chaque jour, je dois faire preuve de courage, de patience et j’ai appris à positiver. Aujourd’hui, je parle suffisamment bien l’arabe pour me défendre quand on m’invective. Je me sens d’autant plus légitimée à lutter contre la discrimination. Je suis fière de mon parcours et je m’arme pour atteindre mon objectif: réussir ma licence et entrer dans la diplomatie. Désormais j’ai un pied en Europe et un autre au Proche-Orient. J’ai besoin des deux pour me sentir bien. Un drôle de paradoxe.

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