témoignages
«Abusé, il met sa douleur en mots»
J’ai la haine
Mais qui n’aurait pas la haine après ce qui m’est arrivé? Je suis né à Genève, en 1979. A l’âge de 10 ans j’ai été victime de harcèlements, d’attouchements et d’agressions sexuelles de la part de certains élèves de ma classe. En particulier deux d’entre eux. Ils venaient chez moi après l’école lorsque mes parents étaient absents, se montraient sans gêne, se vautraient sur le canapé, jouaient à des jeux vidéo, regardaient la télévision, puis baissaient leurs pantalons et m’obligeaient à les masturber ou à leur faire des fellations. Et si je refusais, ils m’assénaient des coups de poing. L’un d’eux, un jour, est même allé chercher un couteau de cuisine pour m’intimider.
Alors pour qu’on me laisse tranquille, je préférais obéir et faire ce qu’on me demandait. Cela s’est passé plusieurs fois par semaine, pendant trois ans, pas seulement au domicile de mes parents à Carouge, mais aussi parfois dans les vestiaires de la piscine où on s’entraînait.
J’étais un gamin timide et discret
Mes camarades d’école m’ont toujours pris pour leur tête de Turc. C’était difficile pour moi d’échapper à leur emprise, carmes agresseurs étaient plus grands de taille que moi et s’imposaient comme les leaders d’une bande qu’ils entraînaient avec eux pour me persécuter et me tabasser.
J’essayais de faire comme si de rien était mais je n’arrivais plus à me concentrer sur mon travail scolaire. J’étais tétanisé, je ne supportais plus les élèves que je devais côtoyer. Je ne voulais plus aller à l’école. Je ne voyais pas pourquoi je devais y aller pour me faire insulter et subir ce que ces gamins me faisaient subir par pur plaisir sadique. Je voulais pouvoir aller en classe pour travailler et avoir ma chance. Mais, dans ces conditions, ce n’était plus possible pour moi.
J’avais besoin de protection, mais personne ne m’a écouté
A l’école, les enseignants ne se préoccupaient pas de ce qui se passait entre élèves. Aucune mesure n’était prise pour prévenir ce genre de violences. Et lorsque j’ai raconté ce qui m’arrivait à mes parents et à mes deux sœurs plus âgées que moi de dix ans, ils ne m’ont pas cru. Ils m’ont dit: «C’est dans ta tête, tu racontes ces histoires pour justifier tes mauvais résultats scolaires».
Ils pensaient que j’étais paresseux. Mon père était un homme dur et sévère. Ce n’était pas quelqu’un avec qui on pouvait discuter. Il a très mal pris que j’arrête l’école en 1997. Parler avec ma mère était plus facile, mais elle n’a pas compris que j’étais victime de viols.
Tout cela les dépassait
Je pense même que ça les dégoûtait d’avoir un fils qui s’était fait toucher. Je n’ai donc jamais pu m’appuyer sur les adultes. Mes parents auraient dû m’amener à la police et déposer plainte pour agression sexuelle. Au lieu de ça, ils m’ont envoyé chez un psychiatre qui m’a trouvé très stressé et m’a donné des antidépresseurs et des neuroleptiques.
Mon père et ma mère ont peut-être cru agir pour mon bien, mais ils ont fait tout faux. Plus je leur parlais des agressions sexuelles que j’endurais, plus ils pensaient j’affabulais. Ils m’ont fait passer pour fou. Ils m’ont même fait interner à l’hôpital psychiatrique de Belle Idée où je suis resté 7 ans. On m’a gavé et assommé de médicaments alors que je ne voulais pas les prendre, je sentais qu’ils ne me faisaient pas du bien. Une fois, on m’a emmené à l’Eglise et on m’a dit qu’il fallait pardonner. Mais c’est intolérable. Je devrais accepter alors qu’il n’y a jamais eu de sanction ni de condamnation judiciaire.
J’ai cherché à déposer plainte contre mes violeurs
En 2002, j’ai consulté plusieurs avocats qui m’ont tous répondu la même chose. Je ne pouvais pas fournir de preuves de ce qu’il m’était arrivé plus de dix ans auparavant, mes agresseurs étaient des enfants et n’avaient pas trois ans de différence avec moi. De plus, le délai de prescription était dépassé.
Ne pas punir un coupable, c’est frapper doublement la victime. Mes agresseurs vivent libres, en toute impunité et c’est moi qu’on a enfermé pour des délits qu’ils avaient commis. Je ne supporte pas cette injustice, ça me fait trop mal. Quand je pense qu’ils jouissent de leur existence, sans même se préoccuper de ce qu’ils ont fait, alors que moi je dois continuer à vivre avec ça, je suis révolté.
Aujourd’hui, j’ai 33 ans, je vis seul dans un petit appartement
Même si depuis quelque temps, je sors régulièrement de chez moi, je n’ai pas beaucoup de vie sociale, juste quelques connaissances. Mon père est décédé et je n’ai pratiquement plus aucun contact avec ma mère. Quant à mes sœurs, je ne sais même pas ce qu’elles sont devenues.
Je perçois une rente de l’AI et du Service cantonal des prestations complémentaires qui me permet de subvenir à mes besoins. 3000 Sfr. par mois pour ne rien faire, alors que d’autres gagnent à peine plus en travaillant. Moi je paierais pour pouvoir travailler et gagner ma vie comme tout le monde. Comme, sans doute, ceux qui ont pourri toute mon existence.
Je leur en veux tellement
Mais j’ai aussi envie d’être autre chose qu’une victime. Avec l’aide d’un écrivain public, j’ai écrit un livre pour tenter de me libérer de toute cette histoire et dénoncer cette injustice. Mais je n’ai même pas pu rendre public les agissements de ceux qui ont abusé de moi. Seuls leurs prénoms figurent noir sur blanc dans mon livre qui a été édité aux Editions Baudelaire de Lyon. Mais je n’ai pas eu le droit de divulguer leurs noms de famille. De plus, mon bouquin n’a pas été suffisamment promu, ni diffusé.
Il m’a coûté plus de 2000 euros, pour un résultat nul
J’ai essayé de me débrouiller pour le distribuer à gauche à droite dans quelques libraires, mais sans résultat. Finalement, je me suis donné beaucoup de peine pour rien. Mais bon, ce livre, il est tout de même là, à présent et je suis fier de l’avoir écrit. Je voudrais tellement qu’on s’y intéresse, qu’on s’intéresse enfin à moi, à ma souffrance.
Parfois je me dis que la souffrance est salutaire, que la nature est bien faite et que je commence à redevenir moi-même. J’aimerais pouvoir profiter autant que l’on a profité de moi, prendre ma revanche sur la vie. Je voudrais que la roue tourne…
A lire
«Carrefour des Etoiles», Ed. Baudelaire, Lyon 2008, 23 Sfr. 50.
Contact: daconceiao@hotmail.com
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