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Laisse-nous, on doit travailler…» Un impératif «désagréable» auquel Vera Weber, 39 ans, s’est heurtée toute son enfance. «Ad nauseam». Et qui lui rappelle à quel point elle a souffert du manque de disponibilité de ses parents.

Toute menue dans sa robe noire, ses longs cheveux blonds sur les épaules, elle regarde au loin, par la fenêtre de son bureau, au dernier étage du siège de la Fondation Weber, à Clarens. «Je comprenais l’importance des causes qu’ils défendaient et les cautionnais déjà», assure-t-elle. Ce qui ne l’empêchait pas de détester leur absence: «Je n’étais pas fâchée contre eux mais contre la situation…» Une situation d’autant plus compliquée que, naturellement discrète, l’enfant puis la jeune fille qu’elle était a dû affronter des regards et commentaires pas toujours sympathiques lorsque son père lançait une campagne et se retrouvait surexposé médiatiquement. «Tout cela m’a renforcée et convaincue de la nécessité de poursuivre leur œuvre. En même temps, c’est une des raisons pour lesquelles j’étais et suis restée très timide.»

«Laisse-nous, on doit travailler…» Un impératif «agaçant» que Vera Weber se voit opposé aujourd’hui encore. Comme si l’activiste-écologiste Franz Weber, âgé de 87 ans, n’avait pas remarqué que la fillette d’hier est devenue une superbe jeune femme. D’un sourire un peu résigné, celle-ci explique: «Je crois qu’il n’a pas toujours conscience que j’ai 39 ans. Alors quand il essaie de me renvoyer du bureau sous prétexte qu’il n’a pas le temps, ma mère inter vient et lui signale qu’ils ont peut-être besoin de moi!» Peut-être? Vice-présidente de la Fondation Franz Weber, active dans le monde entier, la jeune femme est désormais aux commandes. Du moins en sous-main.

De fait, si elle gère les projets, les campagnes, l’opérationnel et l’administration, «soutenue par ma mère et des équipes formidables», Vera Weber reste pour l’instant dans l’ombre de son bouillonnant papa.

De sa voix douce, elle justifie: «Il a créé et donné son nom à la Fondation et, même s’il doit beaucoup se reposer depuis son traumatisme auditif (survenu en 2011, ndlr), il en est le président. C’est donc dans l’ordre des choses.»

Tellement comme eux!

«Laisse-nous, on doit travailler…» Un impératif «très dur» qui explique notamment pourquoi Vera Weber n’a pas d’enfant. «J’ai la même passion, la même implication que mes parents dans ce que je fais et… je sais que je reproduirais leur comportement. Je suis tellement comme eux!» Vraiment? Ses grands yeux verts un peu dans le vague, elle se souvient: «D’une certaine manière, je suis née activiste, j’ai vécu tous leurs combats.» Ainsi de ce petit matin de 1987 qu’elle se remémore: la police débarquait au domicile familial pour arrêter Franz Weber, «nous ne voulions évidemment pas laisser entrer les policiers et nous bloquions la porte. Ils ont réussi à la forcer, se sont saisis de mon père et l’ont littéralement porté hors de la maison. Ma mère criait. L’un des hommes l’a alors attrapée par les cheveux. Du haut de mes 11 ans, j’ai commencé à le taper pour qu’il lâche ma maman… C’est à ce moment que j’ai réalisé que mêmes les innocents pouvaient être attaqués. Je savais déjà, un peu théoriquement, que toute injustice est intolérable: j’en faisais soudain l’expérience concrète, en direct…»

L’expérience de l’injustice

Songeuse, Vera Weber reprend: «Je leur dois aussi ma ténacité. Grâce à mon père, que je considère comme un monument vivant, j’ai un esprit de révolte et une certaine force de caractère qui me permettent de me battre… à ma manière!» Car non, Vera n’est pas un Franz au féminin: «Je suis plus calme et plus à l’écoute que lui. Je suis persuadée qu’on peut agir sans faire trop de bruit, qu’on peut être très efficace dans la discrétion. Alors oui, l’injustice me rend folle depuis que je suis enfant, mais je défends mes idées selon ma personnalité.»

Et la jeune femme de poursuivre, rêveuse: «Ma mère, elle, est un extraordinaire mélange d’innocence, de beauté, d’esthétique, de douceur et d’amour… Elle manifeste un respect incroyable envers tout ce qui nous entoure et repère des choses que d’autres ne voient pas… J’ai toujours admiré ces qualités-là et j’essaie de m’en inspirer!»

Et l’adoration qu’elle voue aux animaux? «Comment faire autrement avec une famille pareille? Cela dit, j’ai toujours eu une affinité spontanée pour les bêtes. Je ne peux pas le prouver, mais je suis certaine que je les aurais aimées tout autant si j’avais eu d’autres parents.

«Laisse-nous, on doit travailler…» Un impératif inspirant, aussi, puisqu’il a servi de moteur à l’engagée Vera Weber: «Je voulais être comme eux, pouvoir dire que j’étais prise par mon travail. C’est à cause de ça que j’ai voulu être active très tôt.»

Et quand elle dit «très tôt»… «Dans les années 1980, mon père a sauvé l’hôtel de Giessbach de la démolition. Dès mes 9 ans, j’y ai passé tous mes week-ends et mes vacances et j’ai très vite mis la main à la pâte…» C’est ainsi qu’à «12 ou 13 ans», après l’étape, «mise de prospectus sous enveloppes», elle passe à la lingerie, puis aide les femmes de ménage à nettoyer les chambres. «J’aimais tellement cette vie que, à 14 ans, j’ai décidé de suivre l’école hôtelière de Lucerne!» Une option de vie que son père n’a toujours pas comprise, explique-t-elle en riant. Mais qui s’est imposée à elle. Très naturellement. Pour avoir une «sécurité», d’abord: par cette formation, Vera Weber domine les arcanes d’une profession qu’elle est assurée de pouvoir pratiquer «n’importe quand, n’importe où dans le monde, et quoi qu’il arrive». Pour s’affirmer, ensuite: «Faire mes propres expériences, voir autre chose que la Suisse et quitter le cocon familial: c’était une nécessité. Il est parfois très lourd d’être fille unique. Je devais couper le cordon ombilical et me prouver que je pouvais m’en sortir seule.»

«Laissez-moi, je dois travailler…» Un impératif que Vera Weber s’abstient de lancer. Même si, depuis qu’elle a intégré la Fondation en mai 1999, elle s’investit à 200% aux côtés de ses parents et, «optimiste et pragmatique», enchaîne campagnes et projets.

En ce moment, en plus de la très chronophage initiative sur les résidences secondaires, elle s’occupe ainsi, entre autres dossiers, de la restructuration du parc national du Togo, où vivent à l’abri des fusils quelque cent éléphants. S’immerge dans le programme «Vision Nemo», sorte d’océan virtuel et multimédia qui devrait émerger à Bâle en lieu et place d’un aquarium d’eau de mer. Phosphore pour trouver moyen d’abolir la corrida dans les huit pays où «cette horreur» se déroule encore. Et envisage les prochains combats à mener, les innombrables injustices à dénoncer.

Pourquoi s’impose-t-elle tout ça? Par idéal et conviction. Enthousiasmant, certes, mais un rien frustrant: sincèrement modeste et absolument perfectionniste, la jeune femme n’est jamais satisfaite d’elle-même. Sa mère a beau essayer de la rassurer, toujours elle se sent rongée par l’impression de ne pas se donner assez: «Je vois ce qui n’est pas fait, ce qui devrait être amélioré…»

«Laissez-moi, je dois me reposer…» Un impératif que Vera Weber pourrait peut-être prononcer, parfois. Histoire de s’offrir un peu de temps pour se balader, pour rêvasser sur sa terrasse face à l’Aar, à Berne, pour lire, grimper aux arbres, écouter de la musique, cuisiner… Pour respirer et se mettre au vert, tout simplement.

Curriculum vitae

  • 1974 Sa naissance, le 14 novembre.
  • 1994 «Depuis le 1er janvier de cette année-là, je ne mange plus de viande».
  • 2010 Le 28 juillet, «quand le Parlement catalan a aboli la corrida. Je ne désespère pas que l’exemple s’étende à toute l’Espagne, la France, le Mexique, le Pérou et tous les autres...».

Questions d’enfance

Mon hérosJe ne sais pas trop. Pas mon père, en tout cas: je ne le voyais pas sous cet angle-là. Même si je le considérais déjà comme un grand homme, quelqu’un qui fait bouger les choses.

Mes livresJ’adorais les contes et j’ai lu tous ceux qui me tombaient sous la main. Ce goût du féerique ne m’a pas quittée: aujourd’hui encore, pour me ressourcer, je me plonge avec délices dans des romans de Fantasy. Le seigneur des anneaux, par exemple…

La musiqueJ’étais encore toute petite quand mon père m’a fait découvrir l’opéra. Et l’apprécier. C’est un genre musical que je continue d’aimer énormément… Jusqu’à il y a une dizaine d’années, la musique faisait partie de ma vie: je me passais en permanence toutes sortes de choses – du classique, du jazz, de la pop, du rock… Et puis j’ai dû arrêter parce que je suis incapable de ne pas écouter vraiment un morceau, un chant. Je ne peux pas mettre la musique en fond sonore et lire ou travailler par-dessus: cela m’empêche de penser et de me concentrer.

Ma première révolteC’était en 1982. J’ai vu pour la première fois des images abominables de vivisection. Aussitôt, j’ai su que j’allais faire quelque chose…

Un parfum aiméCelui d’un arbre qui se trouve dans le jardin de mes parents. Il fait des fleurs fin janvier et c’est le premier parfum de l’année.

Un plat que je détestaisLe brocoli! En revanche, je raffolais déjà des lentilles.

Un jeuQue ce soit pour cueillir des cerises, des mirabelles ou… rien du tout, juste pour le plaisir: j’ai toujours adoré grimper dans les arbres.

Une phrase qui m’a aidéeCelle que mon père me répétait souvent: «Tu n’emporteras avec toi que ce que tu as donné…»

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