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Remplir sa e-carte de donneur d'organes est un arrache-cœur
Ma carte de donneuse d’organes, je l’ai depuis presque 30 ans. Elle gît dans mon porte-monnaie, et j’avais oublié son existence quand j’ai appris qu’il existait désormais un registre électronique. Ni une ni deux, je me rends sur le site. Nom, prénom, tout va bien jusqu’au moment où apparaît la liste des organes que je suis d’accord de céder.
A 18 ans, j’avais signé la chose sans tiquer. La mort, surtout la mienne, me semblait un truc très théorique et improbable. Un phénomène réservé aux autres. Là, quand il a fallu dire si je donnais tout en vrac ou cocher la case cœur, rein, os, cornée, je me suis vue sur la table de la morgue, le torse scié en Y comme on voit dans les séries télé. Oups. J’ai numéroté mes abattis dans ce répertoire de bas morceaux, un peu perplexe – le pancréas, je me le garde ou pas?
On peut même créer sa propre case s’il y a un bout de soi qu’ils n’ont pas listé et qu’on tiendrait à conserver. J’ai failli écrire: «Il y a un peu plus, je vous le mets quand même», mais j’ai pensé que ça ne ferait pas rire les gens dont le métier consiste à annoncer à sa famille que celui qu’ils croyaient être un patient est en fait un défunt. J’ai finalement coché la case «prenez tout» – au diable l’avarice.
«Merci pour tout»
J’étais déjà un peu ébranlée par l’exercice (ma mort ne me semblait plus du tout invraisemblable) quand j’ai découvert une option qu’il n’y avait pas sur ma bonne vieille carte en papier: on peut laisser nos ultimes paroles pour nos proches, elles leur seront transmises. Ça m’a achevée, si j’ose.
J’ai essayé de trouver quelque chose d’intelligent à dire à mes enfants, mais c’est compliqué de sonner juste quand on ne sait pas comment on va mourir (subitement? après une longue maladie?), ni quand (demain? dans 30 ans?). Je pensais à un truc universel du type:
Tout ça pour dire que c’était pas très rigolo à faire, cette inscription. Mais l’enterrement de Didier fut encore nettement moins marrant. Ce garçon de 17 ans que j’allais voir régulièrement à l’hôpital parce qu’il était mon élève est mort faute d’avoir reçu des poumons à temps. Ils sont une centaine chaque année à décéder comme lui par manque d’organes. Alors, prenez deux minutes pour vous demander si ça ne vous dirait pas de sauver Didier.