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En ce début d'année, la France se crêpe le chignon autour de la question du genre. «Quoi?, s'indignait une maman sur une radio du service public hexagonal, l'Education nationale voudrait enseigner aux enfants qu'ils ne naissent pas hommes ou femmes, mais qu'ils choisissent de le devenir?»

On pensait que la société avait digéré le fameux «On ne naît pas femme, on le devient» qu'écrivait Simone de Beauvoir en 1949. Et l'on se figurait qu'il en allait de même pour le «On ne naît pas homme, on le devient» d'Elisabeth Badinter qui lui faisait écho en 1992. Et l'on se réjouissait, avec Lorena Parini, maître d'enseignement et de recherche à l'Institut des études genre à l’Université de Genève, qu'«en acquérant le droit de s'interroger sur leur identité sexuelle, sur la façon dont ils ont envie d'exprimer leurs parts masculine et féminine, les hommes échappent aux contraintes d'un modèle unique dans lequel ils ne se sentaient pas forcément à l'aise.» La coexistence d'une variété de modèles, des plus traditionnels au père au foyer ou au travailleur à temps partiel, devait permettre à chacun de se constituer une masculinité qui lui convienne. Seulement voilà, au lieu de profiter de cette ouverture, les hommes s'affolent, se tâtent, se cherchent, s'égarent.

Et les femmes s'agacent, comme Claire, 39 ans, célibataire de fraîche date, qui se demande pourquoi elle tombe systématiquement sur «des angoissés, incapables de s'engager et ultrasensibles! Les vrais mecs, ça n'existe plus?» lance-t-elle. Le psychanalyste québécois Guy Corneau, initiateur des «réseaux hommes Québec» esquissait déjà en 1989 une réponse à cette question dans son livre «Père manquant, fils manqué»: les hommes sont entrés au contact de leur sensibilité, mais ils ne sont plus connectés à leur énergie masculine, leur force de proposition, en quelque sorte. Pour eux, il devient donc difficile de répondre aux demandes des femmes.

Lorena Parini déchiffre pour sa part une angoisse dans cet égarement: «celle, encore très présente, que l'homme devienne une femme. Toute la société est basée sur la différence entre le masculin et le féminin. Et les hommes, longtemps dominateurs, ne sont pas prêts à lâcher leurs privilèges.» Une résistance au changement qui s'exprime par des tentatives de retour en arrière, telle cette initiative contre le remboursement de l'avortement, heureusement balayée aux dernières votations.

De là à accuser les féministes d'être à l'origine de cette crainte, il n'y a qu'un pas. Que Claudia Carnino-Ilutovich, psychologue et psychothérapeute FSP à Genève, ne franchira pas: «Ce serait une absurdité.» Au contraire, selon elle, le féminisme a enrichi les hommes «en leur permettant de se réapproprier une part d'eux-mêmes, d'exprimer de la tendresse, leurs émotions, de parler d'eux-mêmes».

Hakim Ben Salah, chargé de cours à l'Institut des sciences sociales à l’Université de Lausanne, se refuse également à lier les réactions des hommes uniquement au féminisme. Il considère ce mouvement comme une amorce: «Il a peut-être déclenché une prise de conscience par rapport au fait que les rôles étaient construits», suggère-t-il. Pour lui, la question est ailleurs. Les hommes souhaitent se faire une place au foyer, auprès des enfants, mais à leur façon. En Suisse allemande, la campagne «Teilzeit Mann» (homme à temps partiel) milite pour décliner le temps partiel au masculin. «Elle détourne le symbole de Superman, en mettant en scène des hommes avec des jouets d'enfants», souligne Hakim Ben Salah. Message: travailler à temps partiel pour s'occuper de ses rejetons n'empêche pas d'être un vrai mec. Héroïser leur rôle dans la sphère privée constitue une façon de le rendre attrayant pour les hommes. Le spécialiste poursuit: «Cette tendance traduit la capacité de certains hommes à se montrer solidaires des luttes féministes et de la réalisation de l'égalité en droit et en fait, mais de revendiquer une spécificité de l'agir masculin dans certaines sphères, notamment au foyer, ou lorsqu’ils s’occupent des enfants. Dans ces domaines, les hommes affirment une façon d’agir qui leur correspond, à laquelle ils s’identifient», conclut-il.

S’initier à la masculinité

Encore faudrait-il savoir à quel modèle se vouer pour trouver sa place. Les codes de la masculinité se sont assouplis, les références se multiplient au point que les hommes finissent par s’y perdre. Le chercheur constate que «des hommes ressentent ce changement comme un manque, un problème. Les jeunes ne seraient plus initiés à devenir des hommes, notamment pour les organisations qui prônent une séparation claire des manières d’être selon les sexes». Pour combler ces déficits, certaines organisations, en Suisse allemande ou en Allemagne, mettent sur pied des week-ends père-fils proposant des activités type séjour en forêt ou pêche à la ligne visant à renforcer ce lien. «D'autres cherchent à se retrouver entre hommes, pas forcément pour le plaisir d'exclure les femmes, mais pour pouvoir se référer à d'autres hommes», précise Hakim Ben Salah. Il rappelle que longtemps, l'armée a incarné ce lieu de socialisation masculine privilégié. Or, servir son pays devient de moins en moins obligatoire. Pour faire le plein de la camaraderie et de la sociabilité masculine qui leur manquent, les hommes «se tournent vers des manières de le faire qui ne sont pas imposées par un collectif, par la loi ou une institution, ils les choisissent en fonction de leurs affinités.» La variante mâle de nos soirées filles ou de nos week-ends entre copines, en somme.

D'autres choisissent de se mettre en quête du séducteur en eux. Le site français French Touch Seduction s’adresse à tous ceux qui se posent ce type de questions. On y aborde, dans un magazine en ligne et des forums, les thèmes de la sexo ou de la vie de couple avec un mot d'ordre: respecter la femme. «Il est hors de question de laisser penser que la femme est inférieure à l’homme en quoi que ce soit (…) Nous pensons qu’on peut s’intéresser à la séduction et aimer les femmes sans être un harceleur ou un manipulateur, et à choisir, on préfère être féministes que de gros c...s machos primaires», peut-on lire sur le site.

Frédéric Recrosio, humoriste: «Quand on pense trop, on ne sait plus aimer»

L’homme moderne, ça le connaît. Le comédien romand a consacré plusieurs one-man-show à ce drôle de zèbre.

FEMINA Votre nouveau spectacle traite du fait de vieillir. Prendre de l’âge n’est-il pas plus facile pour un homme que pour une femme?
FRÉDÉRIC RECROSIO Les attributs qu’on associe complaisamment aux hommes tournent autour de la virilité et de la force. Pour illustrer bêtement, il s’agit de n’avoir peur ni d’un ours, ni d’un débarquement en Normandie, ni de la pose d’un toit en plein hiver, ni d’une fille qui te regarde dedans. Alors évidemment, lorsque le corps se déglingue, il y a un risque objectif que tout s’écroule. C’est sans doute pour ça que les hommes ont très vite appris à exceller dans l’esbroufe en compensant leurs mollesses intempestives par des mises en scène risibles autour de l’argent, du pouvoir et de la vigueur, à grand renfort de voitures de sports, de comportements de petits chefs, de pilules bleues et d’haltères.

Dans une interview autour de la Coupe du monde en 2008, vous avez dit: «J’aime le discours de la femme sur le ridicule du «Cro-Magnon des stades». Où vous situez-vous, en tant qu’homme, par rapport au Cro-Magnon en question?
Je cultive un certain goût pour la régression. Ceci dit, quand on réalise en quels animaux gueulards et baveux on peut se transformer, évidemment qu’il est salutaire d’injecter dans notre époque un peu de manières, histoire de se laisser une chance avec les autres (que, sinon, on assassinerait avant le petit-déjeuner). Mais il y a une certaine malhonnêteté à croire que les processus de civilisation résolvent tout. Les hommes qui passent leur temps à se refréner dans un tea-room, explosent un jour.

Les hommes ont peut-être gagné quelque chose, avec ce droit de montrer leur sensibilité, non?
C’est plutôt bien de partager. Ça allège tout. Quand c’est de la joie, il y en a pour tout le monde; et quand c’est de la peine, ben c’est moins lourd, à plusieurs.

Sur scène, vous n’hésitez pas à vous montrer angoissé, légèrement phobique de l’engagement… Ce personnage est-il symptomatique de notre époque?
Je vais vous dire ce qui est symptomatique: qu’au sujet de l’amour, on utilise le vocabulaire du marché du travail. Faudrait «être engagé». Comme un magasinier à la Coop? Ça donnerait envie à qui? La liberté de notre époque consiste avant tout en une liberté de penser. Penser une fois puis remettre en question, puis penser une deuxième fois, puis réaliser qu’on s’est trompé, puis penser une troisième fois et comprendre qu’on ne sait rien. Si on pense bien, on pense beaucoup. Et quand on pense trop, on ne sait plus aimer.

Pascal Bruckner, philosophe: «L’ancienne division hommes-femmes est en crise»

Où se termine la place de la femme et où commence celle de l’homme? Entre théories féministes et nostalgie d’un ordre perdu, les sexes ont désormais du mal à trouver leur rôle. Analyse de cette crise des genres sans précédent.

FEMINA On dirait aujourd’hui que les hommes sont perdus, malheureux, que la masculinité est en crise… Que leur arrive-t-il?
PASCAL BRUCKNER L’ancienne division hommes-femmes traverse une crise profonde et durable, c’est là l’origine de ce malaise. Les deux sexes souffrent de ce manque de clarté. Les rôles sont brouillés, mais ne se sont pas renversés pour autant. Et chaque sexe a la nostalgie de cette division.

Pourtant, en perdant des repères, les hommes ont gagné leur liberté! Qu’est-ce qui leur pose problème?
Justement le fait qu’aujourd’hui, on doit réinventer sa propre norme, là où autrefois les sociétés dictaient la conduite de chacun. Certes, la marge de manœuvre était limitée, mais les choses étaient claires.

Un constat assez déprimant… C’est pourtant réjouissant, toute cette liberté!
Il y a effectivement eu une période d’euphorie dans les années 1970. Maintenant, au nom de l’égalité, le moindre problème est rapporté à la domination. La théorie des genres est devenue une discipline universitaire de pointe. On oublie qu’en matière de féminisme, Simone de Beauvoir avait tout dit.

Le fameux «On ne naît pas femme, on le devient» de Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter l’a décliné au masculin.
Oui. Mais la discussion autour du genre part, à présent, des théories jargonnantes de la féministe américaine Judith Butler. En ce moment, à la sottise du genre répond celle des antigenres. Fort heureusement, des livres vont paraître qui traitent de cette question et j’espère qu’ils relèveront le débat.

Pourquoi ces interrogations autour du genre explosent-elles de façon aussi violente aujourd’hui?
La théorie du genre émane de personnes foncièrement anti-France. Il faut dire que pour beaucoup d’Américaines, tout ce qui ressemble à un jeu de galanterie, de séduction, est insupportable.

En vous écoutant, on a l’impression qu’en visant l’égalité, en cherchant à abolir les différences entre les sexes, on a fini par abolir les sexes tout court!
On véhicule aussi l’idée que le corps n’est qu’une construction. Mais c’est oublier que l’homme a un pénis et la femme un vagin, et que l’on ne peut rien contre cette différence. Elle est inscrite dans les corps, justement.

N’y a-t-il pas un côté très obscurantiste à ce type de théorie?
Tout cela me rappelle les écrits des premiers chrétiens qui voulaient abolir la blessure de la sexualité. On redevient des anges…

En même temps, on voit réapparaître des signes extérieurs de virilité très forts, beaucoup d’hommes se remettent à porter la barbe, la moustache…
Oui, c’est aussi valable chez les homosexuels. La barbe, c’est le pendant masculin de la pétasse à la féminité exacerbée. C’est très agressif. Mais a-t-on vraiment envie d’envisager les relations hommes-femmes comme une bataille?

Le masculin et le féminin s’inscrivent beaucoup dans le combat.
La théorie des genres s’écrit beaucoup dans le «contre»… et elle est surtout très con! Une véritable diarrhée de Trissotin! Je rêverais de voir un Molière s’en emparer!

De l’Orient à l’Occident, un rite pour trancher le cordon

«Les petits garçons se construisent en se différenciant de leur mère», rappelle Claudia Carnino-Ilutovich, psychologue et psychothérapeute FSP. Les rituels constituent une étape incontournable dans cette séparation et le passage à l’âge adulte. Aujourd’hui, ils existent encore, «même s’ils ont changé et sont moins marqués – on les trouve dans les domaines du sport, des jeux ou dans l’exploration de la sexualité», souligne la spécialiste genevoise.

Mais sous d’autres latitudes, comme le rappelle Elisabeth Badinter dans «XY de l’identité masculine», la séparation mère-enfant peut être plus brutale et plus codée. Chez les Sambia de Nouvelle-Zélande, la première étape de l’initiation consiste à arracher les jeunes garçons à leur mère, puis à les emmener en forêt où «pendant trois jours, ils sont fouettés au sang pour ouvrir la peau et stimuler la croissance. On les bat avec des orties et on les fait saigner du nez pour les débarrasser des liquides féminins qui les empêchent de se développer», écrit la philosophe française. Quant aux Hopi d’Amérique du Nord, ils abandonnent les jeunes fraîchement séparés de leur mère quelques semaines «dans un total dénuement, sans boire ni manger, souvent dépouillés de leurs vêtements».

Mais ce sont les Bimin-Kuskusmin de Papouasie-Nouvelle-Guinée qui battent tous les records de cruauté: une partie de l’initiation consiste à faire saigner et vomir les garçons de façon à les purger de tout le féminin accumulé depuis la naissance. «Pour les forcer à vomir, on leur ingurgite de force du sang et de l’urine de porc», poursuit Elisabeth Badinter. Après un répit de quelques heures, «les initiateurs les incisent au nombril (pour détruire les résidus menstruels), au lobe de l’oreille et brûlent leur avant-bras. Le sang récupéré est ensuite appliqué sur leur pénis».

Cultura Creative/AFP
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