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On a passé un test de Q.I.
Ils sont huit. Cinq hommes et trois femmes réunis dans une petite pièce au-dessus du Buffet de la Gare de Lausanne. Le plus jeune, âgé d’une vingtaine d’années, est venu en trottinette. A ses côtés, un homme aux cheveux poivre et sel, vêtu d’un T-shirt à l’effigie d’un Yoda à lunettes noires, esquisse un léger sourire. Mais il est le seul. Bien qu’ils soient installés à des tables disposées en cercle, les candidats ne pipent pas mot et évitent de croiser le regard des autres participants. Ils ne sont pas là pour rigoler, mais pour passer un test qui, ils l’espèrent, leur ouvrira les portes de l’organisation internationale réunissant les personnes les plus intelligentes du monde. Mensa, c’est un peu le Rotary Club de l’intellect: n’en font partie que les «happy few» dotés d’un QI de 130 et plus.
Pour étoffer ses rangs, l’antenne suisse de l’association organise plusieurs fois par an des tests ouverts au public. Ces sessions affichent souvent complet, précise Christophe, l’un des deux Mensans (nom donné aux membres) chargés de faire passer l’évaluation ce soir-là. Il faut dire que l’organisme compte du beau monde, explique son confrère, comme les actrices Goldie Hawn et Geena Davis, ou encore l’écrivain Isaac Asimov. Pourtant, dans ses mémoires, l’auteur de SF américain, qui a quitté Mensa, n’est pas tendre avec ses ex-camarades: «Bon nombre d’entre eux croyaient faire partie d’un groupe «supérieur» qui aurait dû gouverner le monde et méprisaient les non-Mensans, les considérant comme inférieurs.» Aïe. Sans la moindre allusion à ces critiques – en ont-ils seulement connaissance? – les organisateurs poursuivent leur présentation en énumérant les avantages de Mensa. Les heureux élus – 35% des candidats sont reçus – se verront ainsi offrir «un environnement stimulant». Au programme: soirées discussion et jeux de plateau, visite de musée et de barrage.
Mais attention: le test, explique l’un des Mensans, «ne mesure qu’une dimension limitée du spectre de l’intelligence». «On peut être très intelligent sans atteindre la limite arbitraire fixée par Mensa», ajoute-t-il. De fait, l’évaluation, qui se base sur l’échelle d’intelligence de Wechsler – une parmi d’autres util isées pour déterminer le Q.I. – ne mesure que l’intelligence figurale. Comment? Par une série de questions composées d’une suite de figures géométriques à compléter.
Dernier moment pour aller aux toilettes, rappelle un des Mensans, tandis que son confrère annonce qu’il va «procéder à la vérification des identités». Et top départ! Dans le silence monacal, on n’entend plus que le tic-tac de l’horloge murale et le bruit des pages qu’on tourne…
Eva Grau, journaliste: Q.I. déterminé: 102
«La logique, ce n’est pas mon truc. Et ça ne date pas d’hier. A la fin de ma scolarité obligatoire, bien qu’étant en prégymnasiale, j’ai décidé de m’orienter vers un apprentissage de commerce. J’ai postulé auprès de Nestlé, où j’ai été invitée à passer un test d’aptitudes. J’ai complètement oublié la teneur des questions, à l’exception du problème suivant: «Un bateau ancré dans un port a une échelle coupée accrochée à son flanc droit. Quatre échelons se trouvent hors de l’eau. Sachant que les échelons sont espacés de 25 centimètres, si la marée monte d’un demi-mètre, combien restera-t-il d’échelons hors de l’eau?» Très fière de moi, j’avais répondu: 2. A la sortie, un autre candidat m’a fait remarquer mon erreur: «T’es bête! Le bateau flotte, alors si l’eau monte, il monte avec!» Ça ne m’avait pas effleurée. Même si trente ans ont passé et si j’ai depuis obtenu une licence universitaire, autant dire que je ne me faisais guère d’illusions sur ma capacité à intégrer Mensa. On ne se refait pas, le test de Q.I. disponible sur le site internet de l’association me l’a confirmé: 10 réponses justes sur un total de 33. Mouais. Article pour Femina oblige, j’ai quand même passé l’épreuve «en vrai». Et répondu à presque toutes les questions dans le temps imparti. Le verdict fut sans appel: Q.I. pile dans la moyenne. Bon, je ne suis pas un génie de la logique… Mais je suis capable de toucher le bout de mon nez avec ma langue. On ne peut pas être brillant en tout.»
Julien Pidoux, journaliste: Q.I. déterminé: 118
«L’idée de connaître mon Q.I. ne m’avait jamais effleuré. Ô grand jamais. Et soudain, cette drôle d’idée de ma collègue. Participer à un test Mensa. Du coup, plutôt persuadé de rentrer dans les annales pour la médiocrité de mon score (je n’ai jamais compris certaines notions mathématiques, malgré toute ma volonté, au plus grand dam de me s différents professeurs), j’ai procédé au «pré-test» en ligne sans réelle attente. Et voilà que je réponds juste à 25 questions sur 33. J’ai donc, selon la réponse automatique du site internet, de très bonnes chances de réussir le «vrai test». Tremblement de terre dans mes certitudes. Serais-je un surdoué, au même titre qu’Einstein (ou les frères Bogdanov, mais passons…)? Devrais-je postuler auprès de l’Académie française, du CERN ou de la NASA? Passer ce test est devenu un enjeu. Non, je ne me suis pas entraîné avant, non je n’ai pas triché. Mais j‘arrive dans la salle où se tient ce test légèrement stressé. Et quand je ne comprends pas l’un des exemples de question, le doute me taraude. Adieu accélérateur de particules, fusées spatiales et Immortels? Me voici aujourd’hui avec mon résultat final entre les mains. Selon les savants calculs de Mensa, je serais donc plus intelligent que 88,5% de la population. Ça me fait une belle jambe: je n’ai jamais réussi à calculer un pourcentage. Jamais.»