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La discussion est lancée. «Ça fait vraiment de nous des has been!» s’exclame l’une des sexas sexy quand elle voit que je m’apprête à prendre des notes sur des souvenirs vieux de cinquante ans. Des has been, nous, les six pétroleuses? Pas question, même si ces évocations ne nous rajeunissent pas.

Alors, 1962, c’était comment? Pas forcément le bon vieux temps. D’emblée, c’est un traumatisme qui revient à notre mémoire collective. Les filles avaient l’interdiction de porter des pantalons à l’école. Jupes ou robes obligatoires. Comme les collants fins n’avaient pas encore envahi le territoire helvétique, nous portions des bas avec – ô horreur – des porte-jarretelles. Ces bas, ça tire-bouchonnait, ça filait, ça n’avait pas l’élasticité qu’on leur connaît aujourd’hui. En hiver, on se gelait le haut des cuisses. Mais la pire abomination, c’étaient les serviettes hygiéniques de l’époque. Imaginez une longue et épaisse bande de gaze rembourrée dont les extrémités s’accrochaient à une espèce de fine ceinture élastique. Le slip, plus le porte-jarretelles, plus l’attirail périodique… avec un tel harnachement, il ne restait plus qu’à essayer de se faire aussi discrète que possible.

Pauvres de nous. Facile de comprendre pourquoi, par la suite, les collants, les jeans, les tampax, la minijupe et la pilule ont provoqué chez toute une génération de jeunes filles un indescriptible sentiment de libération.

Interdite de bricolage

Au collège, il était exclu de bavarder ou de bouger une oreille en classe sous peine de sanction. D’ailleurs les surnoms de nos profs suffisaient à imposer le silence. Mordache nous enseignait l’allemand, Canasse le français et Soupape le latin (les profs d’aujourd’hui sont-ils encore affublés de surnoms?). Mais ma véritable hantise, c’étaient les leçons de couture qui m’ont dégoûtée à tout jamais des travaux d’aiguille. J’aurais voulu faire des travaux manuels, pour construire nichoirs ou étagères, mais je n’en avais pas le droit. C’était réservé aux garçons. J’ai donc dû me débattre avec des fils qui cassaient ou s’entortillaient, des mailles qui coulaient, pour des travaux restés à jamais inachevés. Aujourd’hui encore, l’idée de coudre un bouton me rebute, alors que je manie la perceuse avec délectation. C’est l’occasion de rappeler qu’en 62, les femmes n’avaient pas le droit de vote au niveau fédéral.

Les garçons, bôf...

Au sein de ce qui allait devenir notre Club des six, les intérêts pour le sexe opposé étaient variables. Je me souviens que pour certaines de mes amies, les garçons faisaient l’objet de discussions et de rêveries interminables, tandis que pour ma part, pas vraiment précoce, je m’intéressais davantage… aux chevaux et aux bouquins. Les filles ne se sentaient pas obligées d’être filiformes et de s’épiler la foufounette en ticket de métro. Les garçons ne se sentaient pas tenus de faire de la gonflette en avalant des suppléments protéinés, ni de s’épiler le torse pour séduire. Il était alors plus simple d’assumer son physique.

Cuisine familiale

1962, c’était l’époque du téléphone à cadran en bakélite, de la plume réservoir, du juke-box et des disques en vinyle. L’époque où la cuisine ne se devait pas d’être à la fois diététique, esthétique et exotique. Où l’on n’achetait pas de plats tout préparés. On mangeait sans se prendre la tête et apparemment on s’en portait d’autant mieux. Personne ne parlait alors d’anorexie ni d’épidémie d’obésité. Avant que les cours situées devant les maisons ne soient transformées en places de parc pour les voitures, elles servaient de terrain de jeux aux enfants, qui passaient beaucoup de temps à s’ébattre en plein air. Les gosses ignoraient jusqu’au mot calorie.

L’amour du rock

Nous dansions le twist sur l’air de Let’s twist again de Chubby Checker. Les déhanchements ne nous posaient aucun problème, vu que nous étions déjà devenues expertes dans l’art du hula-hoop. Propice aux rapprochements, le slow qui faisait fureur à l’époque était le sublime I can’t stop loving you de Ray Charles. Mais, déjà, c’est l’amour du rock qui nous entraînait vers ce qui allait devenir un véritable ouragan musical. Grâce au transistor, fidèle compagnon des ados de l’époque, nous vivions au rythme de l’émission Salut les copains sur Europe 1, découvrant chaque jour avec enthousiasme les tubes d’outre-Atlantique et aussi, venu tout droit de Liverpool, le premier disque des Beatles Love me do. Les Rolling Stones pointaient à l’horizon, ainsi qu’une multitude de groupes qui allaient transformer les années 60 en un bouillonnement de créations musicales sans précédent.

Des images choc

Certains faits d’actualité m’avaient marquée, que ce soit à la télé ou via la presse que nous recevions à la maison, comme Time ou Life magazine. Il y a eu la fin de la colonisation en Algérie, avec l’exode dramatique, par bateaux, de dizaines de milliers de pied noirs. Mais les images qui m’avaient le plus fortement impressionnée étaient celles de la ségrégation raciale au sud des Etats-Unis. Le Ku Klux Klan avec ses hommes en cagoule, les croix en feu devant les habitations des Noirs, les lynchages de niggers en Alabama et au Mississippi. J’éprouvais une admiration sans bornes pour John F. Kennedy et son frère Robert, décidés envers et contre tout à rendre leur dignité aux descendants des esclaves.

Un rythme de vie tranquille

La Suisse vivait à l’heure de la croissance, du plein-emploi et du boom immobilier. La semaine de travail était de 48 heures, les enfants avaient l’école le samedi matin, mais le rythme de vie était plutôt tranquille. Avant la mondialisation et l’avènement du multimédia, des mots comme stress ou burnout ne faisaient pas partie du vocabulaire courant. Si je jette un regard en arrière, seule la transformation du paysage helvétique éveille en moi une véritable nostalgie. Trop d’immeubles aujourd’hui, de routes, de files ininterrompues de voitures. Trop de banlieues et de villages phagocytés par les villes. Trop de campagnes envahies par les villas. Trop de monde sur les pistes de ski. Trop de détritus partout. Je rêve de grands espaces libres de toute présence humaine. Hormis la mienne, bien sûr!

Marlyse Tschui

Journaliste à Femina, spécialisée dans les questions de santé et de société.

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