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Maison: ranger, la nouvelle détox?

Maison: ranger, la nouvelle détox?
© Getty Images

Elle dit que ça lui a permis de se «détacher un boulet du pied.» C’était en 2014, Mathilde s’en souvient très bien. Une dizaine de mois après sa rupture. «J’ai ouvert chaque armoire, j’ai pris chaque objet et je me suis demandé si cela avait un sens de le garder. J’ai toujours adoré trier, mais pour la première fois de ma vie je l’ai fait dans l’ensemble de mon appartement, cave comprise.» La tâche lui a pris deux jours entiers, confie-t-elle. Et s’est révélée parfois difficile, psychologiquement. «Par exemple, je gardais un skate-board, poursuit la Lausannoise de 36 ans. J’avais du mal à me dire que je ne m’en servirais jamais plus car cela impliquait de faire le deuil de ma jeunesse. Mais avoir été capable de m’en débarrasser m’a permis d’avancer. C’est comme si on m’avait donné des ailes, comme si je m’étais libérée de tout ce qui m’encombrait, dans mes placards et dans ma tête. Tout d’un coup, je me suis sentie libre.» Que celle qui n’a jamais eu la sensation de mieux respirer, une fois qu’elle a trouvé une place pour chaque chose et que chaque chose est à sa place, lui jette la première pierre.

Succès planétaire

Combien sommes-nous à avoir déjà connu cette sensation de légèreté après avoir fait de l’ordre dans notre intérieur? Des milliers, certainement. Des millions, même. Il suffit d’aller faire un tour en librairie pour s’en convaincre. Ces derniers mois, dans les rayons «bien-être», on a ainsi vu fleurir des manuels vantant les mérites du rangement pour se sentir mieux. En tête de gondole, le best-seller de la Japonaise Marie Kondo, «La magie du rangement», dont la traduction française vient de paraître chez First Editions. Depuis 2012, ce manuel a déjà séduit pas moins de 2 millions de lecteurs dans le monde. Son auteure, qui a développé sa propre méthode baptisée KonMari, poste des «tutos» sur YouTube et donne même des conférences sur le sujet. Son credo: ranger permet d’être plus heureux. Et le succès planétaire qu’elle rencontre semble lui donner raison.

«Notre maison est liée à notre monde intérieur, confirme Karin Gétaz, coach en organisation à La Tour-de-Peilz (VD). Or, pour être bien dans son corps, il faut être bien dans son environnement. Dormir suffisamment, se nourrir sainement, mener une existence stable ne suffit pas si l’on vit dans un bazar pas possible.» Et la jeune femme parle en connaissance de cause: elle a fondé sa propre agence, Latitude KaiZen, il y a deux ans, après avoir travaillé plus de dix ans au service des ressources humaines d’une grande multinationale. «J’ai pris conscience que la vie ce n’était pas courir après le temps. Alors j’ai démissionné. J’ai mis de l’ordre en moi et chez moi, en parallèle. Au fur et à mesure que je faisais ce travail, j’ai réalisé que les deux étaient liés. J’ai tenté différentes approches – anatomie, physiologie, pathologie, réflexologie… – avant de suivre une formation en «home organising» à Paris. Je voulais trouver une voie pour aider l’être humain.»

Plus de temps à perdre

Nouvelle forme de coaching venue des Etats-Unis, le «home organising» rencontre un vrai succès en Europe. La Suisse romande compte ainsi plusieurs de ces professionnels du bien-être par le rangement. Effet de mode? «Pas du tout, rétorque Karin Gétaz. Dans le monde actuel, on est en permanence stressé, sollicité. On nous en demande toujours plus: il faut être performant au travail, à l’école, à la maison… On a donc de moins en moins de temps à perdre avec tout ce qu’on accumule sous son toit. Ranger, c’est ainsi reformater son emploi du temps afin d’en avoir plus pour soi et, au final, être plus heureux.»

Selon la méthode KonMari, il ne faudrait d’ailleurs garder que les objets qui nous procurent de la joie. Un brin «too much», direz-vous. Sans doute. Karin Gétaz reconnaît trouver Marie Kondo «un peu extrême» et chercher plutôt, dans sa propre pratique, à «atteindre un juste milieu». Il serait en effet imprudent de se débarrasser trop vite de factures ou autres documents administratifs comme le préconise la consultante japonaise. De même, saluer sa maison en rentrant le soir ou remercier nos chaussures de nous avoir porté toute la journée, ainsi que le veut Marie Kondo, relève d’un animisme assez éloigné des mœurs occidentales et peut prêter à sourire. A tout le moins.

S’éclater par la routine

Reste que si la Japonaise a trouvé un tel écho, c’est parce que ses conseils, aussi excessifs soient-ils, mettent le doigt sur un réel besoin. Celui de retrouver des repères. «Nous vivons dans une société où, depuis les révoltes de Mai 68, le désordre est devenu la normalité, confirme Sandro Cattacin, professeur en sociologie à l’Université de Genève (UNIGE). Il faut continuellement être flexible, s’adapter, changer. Or, l’être humain a besoin de savoir de quoi demain sera fait. Pour compenser la déstabilisation constante à laquelle les personnes sont soumises, de plus en plus d’entre elles mettent en place des routines: faire à manger tous les week-ends ou aller nager chaque lundi. Mettre de l’ordre chez soi fait partie de ces activités-là. Cela a un effet positif sur le bien-être car c’est répétitif, pas compliqué, et cela apporte de la régularité et du calme dans le rythme de vie effréné que l’on mène.» Le sociologue note d’ailleurs que «le besoin d’activités de ce genre est beaucoup plus fort chez les personnes ayant des professions déstabilisantes. Elles vivent la routine comme une façon de s’éclater.»

Alléger son âme

Ce n’est pas Esther, étudiante à l’Université de Lausanne et mère d’un garçon de 10 ans, qui prétendra le contraire. «Je constate que je range souvent en période de stress, lorsque j’ai beaucoup à gérer, confie la Vaudoise de 35 ans. Dans ces moments-là, j’ai besoin que les choses soient bien à leur place, que rien ne traîne. J’aime le vide. Ça me rassure d’avoir tout sous la main. Ma crainte, c’est d’être envahie, d’avoir trop et de ne pas savoir par où commencer. J’ai l’impression que ranger à l’extérieur est une façon de mettre de l’ordre aussi à l’intérieur de moi. Pendant que je suis en train de ranger, je réfléchis aux choses auxquelles je n’ai pas le temps de penser d’habitude. C’est un peu comme lorsqu’on conduit une voiture: on doit être attentif à la route, mais en même temps on est capable de discuter et réfléchir.»

Amandine, éducatrice sociale, est du même avis: «Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai résolu un problème tout en faisant du tri!, lance cette Lausannoise de 36 ans. Ranger, ça m’organise la tête, me permet de prendre du recul. Après, je me sens délestée d’un poids, comme si mon âme était plus légère. Alors, quand le livre de Marie Kondo est sorti, j’en ai parlé en colloque. J’ai déjà acquis deux ou trois collègues à ma cause, mais ils n’étaient pas évidents à convaincre… On met souvent mon besoin d’ordre sur le compte de la maniaquerie.»

Chaque chose à sa place

Lorsqu’elle est confrontée à du désordre, Nathalie avoue quant à elle se sentir «moins performante». «Je trouve que ça fait brouillon, ça me travaille et me pompe de l’énergie, explique cette journaliste indépendante, mère de quatre jeunes enfants. Le vide m’apaise. Je trouve ça joli, comme dans un magasin de meubles où jamais rien ne traîne. Chez moi, j’aime que ce soit pareil. C’est très aéré, épuré, comme dans un catalogue de design.» Si, chez elle, chaque chose a sa place, cela ne signifie pas pour autant que la quadragénaire vit dans un environnement figé. Au contraire. «L’agencement de ma terrasse a changé déjà trois fois. Quant à mon bureau, il a occupé quatre places différentes. Et récemment, j’ai décidé de changer l’emplacement des chambres des enfants. J’ai besoin que cela bouge.»

Ranger se révèle donc également une façon de se mettre en scène au travers de notre environnement. Montre-moi où tu vis, je te dirai qui tu es. «On y met sa personnalité, comme dans le type de vêtements que l’on porte ou la marque de montre que l’on achète, confirme le sociologue de l’UNIGE Sandro Cattacin. Nous avons une relation identitaire avec les objets qui nous entourent. Cela s’avère nécessaire car plus l’on est déstabilisé, moins l’on sait qui l’on est. Notre monde est tellement éclaté, déstructuré, que si l’on ne trouve pas un moyen de se définir, on n’existe pas. Il n’est ainsi pas étonnant que l’on s’invente des rituels privés, individuels, puisque les structures qui instauraient une routine dans notre vie sont affaiblies.»

C’est précisément ce que Marie Kondo préconise: ritualiser le rangement. En faire un moment à part. Périodique. Et solitaire. Condition sine qua non pour réussir à aller à l’essentiel. Se purifier, presque.

Le rangement serait donc la nouvelle détox? Dans son livre, la Japonaise raconte que certains de ses clients n’ont pas dégraissé que leur intérieur: ils ont aussi perdu du poids. En se débarrassant des objets qui les encombraient, ils se seraient aussi, affirme-t-elle, délestés des toxines accumulées au fil des ans dans leur organisme.

Résister à la tentation

Trop beau pour être vrai? Pas sûr. La «home organiser» Karin Gétaz dit avoir constaté le même résultat bénéfique chez ses propres clientes, ici, en Suisse romande. «C’est normal: elles se sont libérées de ce qu’elles portaient avec elles. Elles se sentent allégées. Mais je les rends attentives: après avoir tout vidé, il s’agit de ne pas céder à la tentation de recommencer à accumuler. C’est comme pour la détox: si c’est pour se réempiffrer ensuite, ça ne sert à rien! Il faut changer ses habitudes. Moi-même, je m’y suis employée – ce que je n’ai jamais regretté. Et puis, le jour du «Grand Rendez-vous», tout ce que vous pourrez emporter, c’est ce que vous avez donné. Il ne faut pas l’oublier.»

«La richesse vient de l’intérieur»

Karin Gétaz, Home & Office Organiser à La Tour-de-Peilz

Que vous disent les personnes faisant appel à vos services?
Pour certaines, se débarrasser de leurs objets semble une tâche insurmontable. Chez le collectionneur, on trouve beaucoup d’insécurité matérielle: il faut stocker au cas où. Parfois, quand mes clients n’arrivent pas à prendre une décision, cela fait surgir des émotions.

C’est si difficile d’aller à l’essentiel?
Au départ, oui. Nous sommes attachés à «nos» choses. C’est particulièrement vrai pour les personnes âgées qui accumulent depuis longtemps. Il y a donc toute une démarche psychologique à accomplir. C’est un long processus. Il m’arrive de retourner plusieurs fois chez la même personne.

Jeter un objet, c’est aussi faire le deuil des moments de vie qu’il représente…
C’est pour ça que l’accompagnement s’avère important. Si quelqu’un ne peut pas se séparer de quelque chose, il ne faut pas juger. Lorsque cela arrive, je propose de procéder en étapes. Par exemple en plaçant l’objet dans un carton étiqueté «à stocker», sur lequel on indique une date butoir. Si le carton n’a pas été rouvert une fois le délai dépassé, il s’agit de l’amener à la déchetterie sans l’ouvrir.

Comment réagissent vos clients une fois leur intérieur rangé?
Ils se disent plus légers, moins comprimés. La plupart se sentent vraiment pousser des ailes. C’est un nouvel élan, une libération. Dans les pays industrialisés, nous vivons en mode «surconsommation». Nous croyons que posséder des objets nous apporte une forme de stabilité. Mais c’est une illusion: la richesse vient de l’intérieur. Le vrai bonheur réside dans le fait de prendre du temps pour soi et de profiter de ses proches.

Plus d’infos sur www.latitudekaizen.com

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