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Je pense que dans la vie, lorsque l’on est sur le chemin qui nous correspond, que l’on poursuit un projet qui nous tient à cœur, ça ne peut que fonctionner. Moi, ma passion, c’est la lingerie. J’aime que cela ait trait à la féminité, cette esthétique, l’univers burlesque, la dentelle, les corsets. On fait souvent un travail pour des raisons qui nous touchent, la question du corps est quelque chose d’assez central pour moi, certainement aussi parce qu’à un moment j’ai pris 30 kilos et que forcément, la perception que j’avais du mien a changé. A l’âge de 23 ans, j’ai décidé de partir au Québec, d’abord parce que j’ai un passeport canadien, mais aussi parce que j’avais besoin de laisser des choses derrière moi, de me réinventer ailleurs. J’ai pris un aller simple. Avant mon départ, j’étudiais pour devenir éducatrice de l’enfance, mais une fois arrivée au Canada, il m’a fallu trouver un travail. J’ai été engagée dans la ville souterraine pour un job qui ne me plaisait pas trop. En revanche, dans ce centre commercial, il y avait un magasin de lingerie qui m’attirait beaucoup. J’ai donc décidé d’y postuler. Et j’y suis finalement restée pendant quatre ans, en obtenant chaque année une promotion. Une personne hors pair m’a formée, m’apprenant toutes les ficelles du métier: les différentes morphologies, et surtout, la manière d’adapter mes conseils à chaque femme. Elle a vraiment été ma «maman du Canada».

L’un de mes meilleurs souvenirs, c’est une cliente qui débarque dans le magasin en me disant: «Je pars en voyage. Je porte des caleçons pour hommes et jamais de soutien-gorge, je n’y connais rien, il m’en faudrait un.» Elle est repartie une heure plus tard avec un ensemble soutien-gorge décolleté et string en dentelle! Avant de partir, elle m’a serrée dans ses bras en décrétant qu’en trente-huit ans, j’avais été la seule personne à l’avoir fait se sentir autant femme. Cela m’a profondément marquée.

Et puis en 2008, le choc. Ma mère m’appelle et m’annonce qu’elle a un cancer du sein. Apprendre cela alors qu’on se trouve à 6000 kilomètres et ne pas pouvoir être près d’elle à cet instant, c’est très dur, d’autant que nous sommes fusionnelles. Pendant toute la période de sa chimiothérapie, c’est ma sœur qui l’a soutenue. J’ai pu être présente pour son opération, mais quelques semaines plus tard, j’ai dû retourner au Québec. Une fois de retour, je me suis engagée dans une association contre le cancer du sein et fait tatouer le ruban rose avec les initiales de ma maman. Ça a été ma manière de transcender toute cette souffrance. Finalement, j’ai pris la décision de revenir vivre en Suisse, pour être près des miens.

J’ai trouvé ma mère changée, très agressive. Une sorte de rage intérieure bouillonnait en elle. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, sa réponse a été simple: «Quand on a un cancer, on doit se battre contre quelque chose mais on ne sait pas ce que c’est. Alors forcément, ça se répercute sur tout.» Pendant cette période, elle est devenue une vraie guerrière, une gladiatrice qui a fini par vaincre la maladie.

Une belle idée qui se réalise

Une fois réinstallée en Suisse, j’ai eu envie d’en faire plus. Dès que son opération et sa radiothérapie ont été terminées, ma mère s’est inscrite aux Marraines de l’ASAP (ndlr: Association Savoir Patient), qui se chargent d’accompagner et de soutenir les femmes atteintes d’un cancer du sein. Psychothérapeute de métier, elle voulait donner un sens, une «utilité» à sa maladie. De mon côté, un projet a commencé à germer dans ma tête. Le fait que ma mère, après sa tumorectomie, s’inquiète d’une possible asymétrie, m’a fait réaliser qu’il y avait quelque chose à faire en termes de lingerie. L’idée de continuer à travailler dans ce domaine tout en m’engageant auprès des femmes qui souffrent de cancer du sein s’est précisée de plus en plus. En Suisse, il y a très peu de choix proposés aux personnes qui ont dû subir une mastectomie, elles sont obligées d’aller acheter leurs soutiens-gorge dans une pharmacie. Pour moi cette idée est inconcevable. Ce n’est pas parce qu’on a eu un cancer qu’on en devient moins femme, on a toujours envie d’être jolie, sexy, d’avoir une vie avec son amoureux et de porter des beaux dessous. Voilà pourquoi j’ai voulu créer un service de conseil personnalisé en lingerie qui propose des modèles adéquats (www.almatila.com).

Une manière de mettre la féminité en avant tout en tenant compte de l’aspect médical. Je suis là pour ça, aider des personnes qui doivent redécouvrir une nouvelle façon de vivre, réapprendre à se sentir belles. Je reçois les clientes chez moi, où j’ai une pièce dédiée aux essayages, mais je me déplace également à domicile ou à l’hôpital. C’est important d’instaurer une atmosphère privilégiée pour la cliente. Elle doit se sentir en sécurité, écoutée. Je garde en mémoire ce que m’a dit ma mère à propos de son expérience: dès le jour où une femme apprend qu’elle a un cancer, elle est constamment accompagnée, par ses médecins, son oncologue. Idem pour la chimiothérapie. En revanche, à sa sortie d’une opération, elle peut se sentir très seule, il y a moins de suivi. Quand on y réfléchit, ces femmes entrent à l’hôpital avec deux seins et parfois n’en ressortent qu’avec un seul, voire aucun. Elles doivent faire face à tant de changements. Mon rôle est de les soutenir dans ces moments où elles tentent de réapprivoiser leur corps.

Cela fait quatre ans que je suis rentrée de Montréal et que je pense à ce projet, mais je ne l’ai vraiment démarré qu’en juillet 2014. J’ai d’abord dû gérer l’aspect émotionnel, il a fallu que je mette de la distance avec la maladie de ma mère. Depuis quelques mois, j’exerce cette activité parallèlement à mon travail, et avec le temps j’espère pouvoir m’y consacrer pleinement. C’est clair que mes journées sont longues et que j’ai peu de temps libre, mais ce projet, c’est vraiment une passion qui décuple mon énergie. C’est une joie très simple que celle d’être utile à quelqu’un d’autre. Je me rappellerai toujours de ma toute première cliente que je suis allée voir à l’hôpital après son opération. Une fille à peine plus âgée que moi. Ce moment où je lui ai fait les derniers ajustements pour son nouveau soutien-gorge avec sa prothèse définitive, où je l’ai vue se redresser fièrement et ouvrir les épaules en disant: «Ah mais en fait, ça ne se voit pas!…» Ça n’a pas de prix. Lorsque j’ai un coup de fatigue, je me souviens que c’est pour ces instants de grâce que je fais tout ça.


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