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Décryptage: le lexique du parler jeune
Désemparés. Parfois, à écouter une conversation entre adolescents, on se surprend à ne pas en saisir tous les termes. Ce jeune à casquette a-t-il bien dit qu’il a «le seum»? et la fille lui a-t-elle vraiment répondu «osef»? Oui, le vocabulaire ado recèle bien des mystères. Et un mot ou une expression qui est à la mode en été risque fort de devenir sacrément has-been une fois l’hiver venu. Alors à la rédaction de Femina, on a pris son bâton de pèlerin et tenté de dresser un lexique.
«Certains termes sont des emprunts à d’autres langues, à l’anglais ou aux diverses langues de la migration, explique Stéphanie Pahud, linguiste à l’Université de Lausanne. D’autres sont empruntés à des jargons professionnels, informatiques ou techniques, ainsi qu’au verlan. D’autres encore sont formés par des procédés techniques comme la troncation (deg pour dégueulasse). Enfin, certains sont des néologismes, soit des usages métaphoriques inédits, comme le fait de dire «airbag» pour parler de la poitrine.» Aujourd’hui, le langage des jeunes fait l’objet d’études et de dictionnaires ad hoc, il est médiatisé.
«Mais il faut impérativement rendre les jeunes attentifs au fait que la pratique identitaire du langage peut être un barrage à leur intégration dans certaines sphères sociales, notamment professionnelles. On oublie trop souvent que notre manière de nous exprimer est une carte de visite, prévient la spécialiste. Il suffit de penser à la stigmatisation que provoque dans certaines situations un usage aléatoire de l’orthographe.»
Swagg On l’utilise comme substantif ou comme adjectif, à choix. Le swagg, c’est le style, l’attitude poussée à son paroxysme, avoir de la personnalité, du look. N’est pas swagg qui veut. Une rumeur a fait circuler que swagg signifiait originellement «Secretly we are gay». Intox.
Exemple: Il a le swagg, Brad Pitt, dans la dernière pub Chanel.
Boloss On connaissait le bogoss, voici le boloss, à peu de chose près son antonyme. Un boloss est un nul, un type pas populaire. Serait en fait le verlan de lobo (pour lobotomisé).
Exemple: Quel boloss ce Lance Armstrong!
Osef Les Français avaient inventé MdR (mort de rire) en réponse au LOL anglais (Louds of laughs). Rebelote avec Osef, l’équivalent franco-français du WTF (what the fuck). Vous avez trouvé? On S’En Fout.
Exemple: Jean-Luc Delarue aurait eu une maîtresse? Osef!
Qalc Le besoin de faire court (twitter, facebook, SMS…) a donné naissance à quelques perles. Qalc, c’est une «question à la con», que l’on peut tout aussi bien utiliser comme une interjection.
Exemple: «Tu me demandes si Robert Pattinson est cocu? quelle qalc!»
Bader Je bade, tu bades, nous badons, mais on utilise surtout l’expression au passé composé. Avoir badé, c’est avoir raté quelque chose (de l’anglais bad, mauvais). Au présent, l’expression signifie davantage que l’on n’est pas dans son assiette ou inquiet.
Exemple: J’ai trop badé l’examen de maths, ça craint pour la suite!
Diskette Il y a certains termes qui vous font réaliser que le temps a passé. Une disquette, pour un ado d’aujourd’hui, c’est un truc moyenâgeux que l’on devait enfiler dans son ordinateur, à l’époque où le nuage informatique n’existait pas. Quand un jeune vous parle de diskette (avec un k, c’est mieux), c’est qu’il parle d’un sale coup.
Exemple: Nicolas m’a fait croire qu’il annulait tout si je revenais, mais il m’a mis une grosse diskette.
Seum Le seum, c’est un peu comme le kram. Avoir le seum, c’est avoir la rage, en avoir gros sur la patate.
Exemple: Je n’arrive plus à mettre la main sur ma collection de timbres rares, j’ai le seum.
Directioner Non, ceci n’est pas un verbe. On est un directioner (oui, avec cette orthographe),mais plus vraisemblablement une directioner. A savoir, une groupie inconditionnelle du nouveau «boys band» à la mode, les One Direction. Par extension, on peut utiliser le terme comme synonyme de fan ultime.
Exemple: Je suis prête à hurler mon amour pour Liam, Harry, Zayn, Nyall et Louis (les chanteurs de One Direction donc) sur les toits de Lausanne, je suis fière d’être une directioner!
Daron/daronne En vieux français, un daron est un tenancier de cabaret ou de maison close. Ici, il s’agit simplement d’une façon de parler de son père, respectivement de sa mère.
Exemple: Pour Noël, la daronne m’a offert l’Encyclopedia Britannica, merci le cadeau.
Trop pas Le contraire de l’expression «pire bien».
Exemple: Tu aimes les tripes à la milanaise? Trop pas.
Genre A utiliser tout seul, à la manière d’une interjection. Un tic du langage en fait, équivalent du «like» anglais.
Exemple: J’ai très envie d’aller passer un week-end sur l’île de Pâques, genre.
Chanmé Le verlan a encore de beaux jours devant lui (relou, chelou, zarbi, pécho…). Chanmé, c’est évidemment méchant, mais dans un sens positif.
Exemple: Il est chanmé ce tournedos Rossini, j’en reprendrai bien une part.
Narvalo Non, ceci n’a rien à voir avec une licorne des mers (ça, c’est le narval), c’est un fou, tendance intrépide.
Exemple: Felix Baumgartner, pour faire ce qu’il a fait, il doit être un peu narvalo tout de même.
Tchiper Vous avez tenté de demander une cigarette (ou un bonbon) à cette jeune Parisienne, et vous recevez un drôle de bruit de bouche en guise de réponse? Vous avez été tchipé. Oui, plus besoin de dire «passe ton chemin» en 2012, il suffit de siffler. A l’origine, un mode d’expression africain.
Exemple: Quand le prof a demandé à Eva de se taire, elle l’a tchipé. Et s’est retrouvée chez le proviseur.
Bicrave Verbe ou substantif. Une personne qui bicrave s’adonne au trafic de drogue.
Exemple: Pour arrondir ses fins de mois, mon concierge bicrave dans la chambre à lessive.
Akhi Tout comme Khey, signifie frère en arabe, et est utilisé pour s’adresser à ses amis. Le terme Sahbi (ami) a aussi été repris en français.
Exemple: Moi et mes Akhis, on est allés passer le week-end au Signal-de-Bougy.
A quoi ça sert?
Pour Stéphanie Pahud, le langage ado a deux fonctions essentielles: «Il est d’abord identitaire, puisqu’il permet à certains jeunes de manifester leur appartenance à un groupe social plutôt qu’à un autre et à faire exister des cultures métissées qui souffrent pour certaines d’un déficit de reconnaissance. Ensuite, les langages jeunes ont une fonction cryptique, puisqu’ils permettent d’exclure les individus qui n’en partagent pas les codes. Cela leur permet de s’adonner à des conversations sibyllines pour ne pas partager certains sujets avec leurs parents ou leurs enseignants.»