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Avoir plus de temps, un luxe pour les femmes

Avoir plus de temps, un luxe pour les femmes
© DGetty Images

Avez-vous remarqué comment sont conçues les montres masculines? Soixante traits divisent nerveusement la périphérie du cadran comme autant de minutes et de secondes. Ajoutez à ça un chronomètre ultrasophistiqué, une étanchéité jusqu’à trente mètres de profondeur, et on se persuade que chaque homme est un challenger de l’extrême, overbooké, flirtant quotidiennement avec le mur du son ou les abysses. Et chez les dames? Un cadran presque vide, quelques traits pour les heures. De quoi imaginer que les femmes ne sont guère occupées, ne jetant un œil à leur poignet que pour en admirer le diamant serti sur son cadran…

Vraiment? Allez, on vérifie. «Chaque soir, je prépare la table en avance pour le petit-déjeuner, raconte sur un forum Charline, 34 ans. J’ai placé une minuterie afin que la cafetière se déclenche dix minutes avant mon réveille-matin. Les vêtements de mes deux enfants et de mon mari sont déjà prêts sur des cintres, idem pour les cartables et les mallettes. En prévision du soir, je pose le repas sur la cuisinière. Vingt minutes avant mon retour du travail, elle s’enclenchera et réchauffera le souper. Tout est paré, et j’ai donné une clef à ma voisine, en cas de retard…»

Ce planning aux allures militaires n’est pas en vigueur dans un camp de commandos G.I. saturés de caféine: c’est le tempo imposé à la plupart des femmes d’aujourd’hui. «Depuis une dizaine d’années, leur cadence de vie a augmenté», confirme Caroline Henchoz, sociologue à l’Université de Fribourg. Les raisons? «Elles sont de plus en plus nombreuses à travailler, tout en restant les coordinatrices du temps de chacun. Or, le rythme du quotidien se fait plus oppressant. Donc elles courent après le temps. Souvent plus que les hommes.»

Des journées de 72 heures

N’y allons pas par quatre chemins, vous dira Nicky Le Feuvre, sociologue et professeure à l’Université de Lausanne (UNIL). «Les femmes sont un peu les chefs d’orchestre des emplois du temps. Elles ont plusieurs temporalités à gérer en parallèle, en plus de la leur: celle de l’école des bambins, celle du bureau du conjoint, celle des administrations, des magasins… Avec l’impression d’être dans la double, la triple, voire la quadruple journée, car leurs charges se sont multipliées.» Les hommes, évidemment, modernes qu’ils sont, participent de plus en plus aux tâches domestiques. Mais une inégalité criante demeure entre les sexes sur ce point, comme le constate Felix Bühlmann, sociologue à l’UNIL: «A des taux d’emploi comparables, les femmes s’investissent plus dans la sphère domestique. Et ce même lorsqu’elles travaillent à 100%». Alors que l’agenda mental de Monsieur s’avère surtout monopolisé par les activités professionnelles et de détente, celui de Madame jongle entre différents univers, à parts quasi égales.

Travail, famille, loisirs: la devise est peu facile à conjuguer car «cet engagement multiple dans plusieurs domaines de vie crée des conflits de temps», ajoute Laura Bernardi, directrice adjointe du pôle de recherche national LIVES à l’Université de Lausanne. «Conséquence de cela, les femmes souffrent plus que les hommes de cette situation et profitent moins qu’eux.» Autrement dit, moins de bon temps au programme. Il suffit de zieuter sur quelques chiffres pour s’en convaincre. Selon une étude du Social Issues Research Center publiée en 2011, les Européennes ne disposent que de 48 minutes de temps libre par jour, et le score tombe à 28 minutes quand elles ont un enfant en bas âge. Le pompon dans l’histoire? En réalité, elles ne consacrent à elles-mêmes que 17% de ce temps libre…

La chasse au temps perdu

Seraient-elles un brin maso? Disons plutôt que des notions telles que «culpabilité» ou «renoncement» font toujours partie de leur paysage psychique. «Pour un homme, le rôle de pourvoyeur par le travail et celui de père coïncident, dans notre vieux schéma familial, explique Laura Bernardi. Mais pour une femme, le rôle de maman s’accompagne de l’idée de proximité, de soins. Etre ailleurs, au bureau donc, est perçu comme conflictuel avec son statut de mère.»

Et tandis que certains modes de fonctionnement perdurent à la maison, le monde du travail, lui, appuie sur l’accélérateur. Emportant chacun dans un emballement généralisé qui comprime un peu plus les emplois du temps. Une vraie chasse à la moindre minute perdue. «On assiste à une intensification de la vie professionnelle, à la fois en termes de temps et d’énergie», analyse Caroline Henchoz. Là encore et sans surprise, les femmes, qui mènent déjà de front diverses temporalités, se révèlent être les premières victimes. «Elles le ressentent de façon plus aiguë, souligne Nicky Le Feuvre. Cela génère des contraintes temporelles objectivement plus importantes que pour la plupart des hommes, car le moindre grain de sable dans la mécanique a des conséquences catastrophiques. Au fond, ce n’est pas tant lié à la charge de travail supplémentaire qu’à l’avènement d’une dimension nouvelle: l’imprévisibilité.» La dématérialisation d’un certain nombre d’activités grâce à Internet s’est ainsi accompagnée du travail dit «tentaculaire». Ou quand l’open space se prolonge jusqu’à la maison, avec les mails et autres téléphones tardifs qui percent la bulle privée sans crier gare.

Dérapages incontrôlés

Reste que cette perte de l’unité espace-temps n’a pas les mêmes impacts sur tout le monde, précise Nicky Le Feuvre. «La flexibilité peut devenir un atout pour les femmes à des postes qualifiés, à qui l’on accorde plus facilement une certaine autonomie. Elles exercent alors une sorte d’autocontrôle sur leur temps de travail. Mais du côté des employées, où les horaires sont très réglementés, la flexibilité est d’abord synonyme de stress puisqu’elle débouche sur l’impossibilité de contrôler le temps.» Avec, comme on s’en doute, des effets dévastateurs sur la santé. Une étude canadienne montre notamment comment le stress lié au manque de temps est un fléau pour la santé féminine. Chez les femmes du XXIe siècle, les maladies du cœur et les AVC arrivent ainsi au premier rang des causes de mortalité...

A l’écoute des corps

Oui mais… il y a le temps partiel, non? Très répandu chez les mamans suisses et présenté comme solution miracle, cet aménagement a un très gros revers de la médaille. «Pour une femme, réduire son temps de travail revient à réduire le temps pour soi! s’insurge Nicky Le Feuvre. On perçoit comme plus légitime le fait de revendiquer un temps de récupération lorsqu’on bosse toute la semaine, à l’égal des hommes. En revanche, les mères qui passent plus de temps au foyer se voient symboliquement accorder moins de droits à ces loisirs. Les temps ne se compensent pas.»

Un agenda tendu entre les limites d’une journée, mais également à l’échelle de l’existence. En grande partie rythmé de l’intérieur par la biologie, le temps féminin procède par séquences qu’il est impossible de retarder ou d’interchanger. Puberté. Cycle des règles. Fenêtre programmée pour la maternité. Ménopause. Ce caractère irréversible oblige à faire rapidement des choix justes, «d’autant plus que le temps de formation s’allonge et tend à percuter les autres calendriers», commente Caroline Henchoz.

C’est donc logiquement pendant la trentaine que la pression se fait plus forte. «Notre société véhicule l’idée qu’on ne peut créer une famille sans une certaine stabilité, relève Laura Bernardi. Nombre de femmes se mettent alors à réfléchir à la maternité quand c’est en train de devenir trop tard. Ce qui n’est pas inévitable: il suffirait de réponses d’ordre structurel pour permettre aux deux sexes de mieux articuler les temps de la journée et de la vie, comme dans les pays nordiques.» Là-bas, étonnamment, congé parental, souplesse des horaires et autres dispositifs pour les étudiants avec enfant ont fait de la pluralité des temps non pas une cause de stress, mais une vraie source de recul et de bien-être. Tic-tac, tic-tac…

Sept fois 24 heures dans la vie d’une femme

Semaine TYPE selon les statistiques

57 h 45 au lit Avec un temps moyen consacré au sommeil de 8 h 15, les nuits des femmes sont un tout petit peu plus longues que celles des hommes. Bon, OK, dix minutes de plus, rien de très significatif. Surtout quand on sait que le cerveau féminin a besoin de davantage de repos. Des chercheurs de l’université britannique de Loughborough ont en effet mis en évidence que les femmes devaient dormir vingt minutes de plus que ces messieurs pour être au top. 8 h 05, ça paraît déjà pas mal? Ne pas oublier que ce chiffre est une moyenne des sept jours de la semaine, et comprend les éventuelles grasses mat’ du week-end…

7 h 20 dans la salle de bain Les femmes passent leur temps à squatter la place devant le miroir? Pas si sûr... En fait, elles ne vouent qu’1 h 03 chaque jour aux soins du corps, à la toilette et au maquillage. Soit seulement dix minutes de plus que les hommes.

10 h 20 dans les transports Sur ce point, la parité est presque de mise. Presque, car les femmes passent quotidiennement un peu moins de temps que ces messieurs dans les trajets domicile-travail (37 minutes contre 45), et un peu plus dans les trajets à but personnel (49 contre 44). Les excursions à la crèche ou au supermarché sans doute.

20 h 40 au bureau C’est encore moins que pour les hommes, même si le nombre de femmes exerçant une activité professionnelle est en hausse depuis les années 70. Un exemple parmi d’autres: depuis 1992, la proportion des mères qui travaillent tout en ayant un enfant ou plus est passée de 60 à 77%. Reste qu’en Suisse, le temps partiel est lui aussi en pleine croissance. Et touche majoritairement la gent féminine. 84% des mamans exercent ainsi une activité lucrative sur une semaine écourtée, contre un petit 12% côté papas.

14 h 40 à table Environ deux heures et cinq minutes, c’est le temps dont disposent les femmes pour tous les repas d’une journée. Autrement dit six minutes de moins que leurs collègues masculins. Un détail de l’histoire? Pas forcément. Cela peut être le havre de paix parfois salutaire d’une sympathique pause-café ou dessert après le dîner.

32 h 20 aux tâches domestiques Nous voilà dans le vif du sujet. Alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à exercer une activité professionnelle, elles continuent à assumer la majorité des charges liées au ménage et à la famille. Un chiffre qui fait mal: les trois quarts des mamans vivant en couple sont responsables de la totalité des tâches domestiques. Et lorsque les enfants ont moins de 6 ans, le taux hebdomadaire de ce travail dit non rémunéré bondit à plus de 55 heures pour elles, quand les pères en font à peine plus de la moitié… Certes, on notera que la situation évolue doucement dans le bon sens. Selon les chiffres, les tâches ménagères et familiales sont de mieux en mieux réparties, avec un effort notable des hommes pour y participer. Si le déséquilibre demeure criant, tout espoir n’est pas perdu.

19 h 40 aux loisirs A nouveau un domaine où les femmes sont perdantes, puisqu’elles consacrent chaque jour au temps personnel quarante minutes de moins que ces messieurs. Elles passent ainsi presque une demi-heure de moins devant la télé, un quart d’heure de moins sur Internet et bénéficient de sept minutes de moins pour faire du sport. Elles prennent toutefois quelques minutes de plus que les hommes pour lire ou se promener.

5 h 20 à communiquer Le temps dédié à la socialisation, c’est-à-dire pour discuter au téléphone avec des proches, échanger des mails ou recevoir des amis, est quasi identique chez les deux sexes, à deux minutes près. Hommes et femmes y passent environ trois quarts d’heure par jour.

Chiffres moyens concernant les femmes salariées en couple. Sources: Office fédéral de la statistique, Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, Insee.

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