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Dans sa prochaine vie, Augustin Trapenard sera Meg Ryan. Pas celle qui rencontre Harry ou passe des nuits blanches à Seattle. Non. Celle qui tient le Shop around the Corner dans «Vous avez un mess@ge». Dans une dizaine d’années, il s’imagine à la tête d’une petite librairie, comme l’actrice dans le film. «Mon rêve, c’est d’être avec mes bouquins et mon chien, confie-t-il avec un soupir d’envie. C’est bien simple, quoi que je fasse, il faut que cela ait un lien avec les livres. Et, si possible, que je me repose. Je suis tellement fatigué…» Chroniqueur littéraire au «Grand Journal», sur Canal+, le trentenaire tient aussi deux émissions sur les ondes de France Culture et collabore au magazine Elle. Surtout, il lit. Sept heures par jour, cinq à six ouvrages par semaine. «Dans mon lit, dans mon bain, sur mon canapé. Je n’arrête jamais.» Pas même durant les week-ends ou les vacances, malgré sa fatigue récurrente. Mais quand on aime, on ne compte pas. Et lire, Augustin adore ça.

Attablé sur la terrasse d’un bistrot de l’île de la Cité, à Paris, il avoue éprouver un vrai plaisir à partager sa passion pour les belles-lettres. Comme à la télévision, il parle avec emphase. S’emballe même. «Quand on aime son métier, la moindre des choses, c’est de le montrer. J’ai quand même une chance de malade! Tout le monde lit des bouquins, mais moi, on me donne la possibilité partager ce plaisir-là avec des millions de personnes. C’est un luxe formidable.» Pour présenter sa sélection du jour au «Grand Journal», Augustin Trapenard n’a souvent qu’une poignée de minutes. C’est peu. Mais c’est déjà beaucoup. «Je ne peux pas être exhaustif. L’idée, c’est de donner envie. Je ne fais pas un travail de critique, mais de lecteur.» Il prend une gorgée de café noir avant d’ajouter en riant: «D’ailleurs, j’essaie encore de comprendre comment je suis arrivé à la télé!»

Fils d’une enseignante d’histoire-géo, cet Auvergnat d’origine et Parisien de naissance avait prévu de marcher sur les traces de sa mère. «A la base, je suis prof, confirme-t-il. J’ai fait des études littéraires, puis j’ai passé l’agrégation (Ndlr: prestigieux concours qui, en France, permet d’accéder à l’enseignement au niveau post-obligatoire). Un pur produit de l’Education nationale!». A 25 ans, après avoir entamé une thèse consacrée à l’œuvre d’Emily Brontë – thèse qu’il aimerait d’ailleurs terminer un jour – il a eu besoin de revenir dans son époque. Il envoie son CV «un peu partout» et décroche un rendez-vous au magazine Elle. «Snobinard comme tout, je me suis dit: «Il n’y a pas de rubrique livres, dans Elle!» Pourtant, c’est là que j’ai réappris à lire non pas de manière analytique, comme je le faisais pendant mes études, mais par plaisir. J’ai retrouvé l’enchantement que j’éprouvais étant môme, lorsqu’à 13 ans, j’ai lu Les Hauts de «Hurlevent» pour la première fois et que j’ai eu peur, j’ai rigolé, j’ai pleuré…»

De médias en médias

Sa collaboration avec Elle – qui se poursuit encore aujourd’hui – lui ouvre les portes du «Magazine littéraire», pour lequel il commencera à signer peu après. Puis d’hasards en rencontres, Augustin Trapenard accroche d’autres médias à son tableau de chasse: Radio Nova, la chaîne de télévision bilingue France 24 et France Inter, où il anime en 2011 une émission estivale baptisée «Toute, toute première fois». «A l’issue de cet été, tout a changé, se souvient-il. France Culture m’a appelé pour me proposer une émission littéraire. Le rêve de ma vie!» Depuis trois ans, il reçoit ainsi trois romanciers par semaine dans «Le Carnet d’or». «Je m’éclate!» D’autant qu’en 2013, la chaîne lui a accordé en outre une quotidienne, «Le Carnet du libraire». Chaque semaine, un spécialiste différent lui conseille cinq lectures, une chaque jour du lundi au vendredi. «Ces idées me nourrissent car elles m’amènent à des livres vers lesquels je ne serais sans doute pas allé de moi-même. Je suis persuadé que le meilleur média pour parler de littérature reste la radio car cette dernière fait travailler l’imaginaire.»

Lui qui se définit comme un «intello» a découvert à la télévision un autre pouvoir que celui des mots: celui de l’image. «Je me rends compte à quel point cette dernière phagocyte tout.» Aujourd’hui, Augustin Trapenard n’est plus qu’une plume et une voix. Il est aussi un visage. Et ça, ça vous transforme un homme. «Je suis beaucoup plus coquet depuis que j’ai rejoint «Le Grand Journal», reconnaît-il. Avant, je me moquais de perdre mes cheveux, alors que maintenant, je me sens chauve. C’est horrible! Ce métier vous change un peu, c’est normal. Il faut être honnête: si on se jette dans la fosse aux lions, c’est pour qu’on nous voie. Il faudrait être de mauvaise foi pour prétendre le contraire.»

Mi-Jude, mi- Rouve

Certes, il admet faire faire ses chemises sur mesure – il montre les initiales «AT» brodées, comme le veut l’usage, sur le tissu. Et avoir une fâcheuse tendance à assortir la couleur de ses chaussettes à celle son pull. On pourrait en déduire qu’il est vaniteux. Sauf que non. Si à l’antenne, ses camarades de télé s’amusent souvent de sa ressemblance avec Jude Law, le principal intéressé prend le compliment à la rigolade: «Bien sûr que ça me flatte. C’est mieux que d’être comparé à Danny DeVito!» Lui estime qu’avec ses «yeux globuleux», il est juste «une gueule». «A la rédaction du Grand Journal, on m’appelle Jude Rouve car on trouve que je suis un mélange de Jude Law et de Jean-Paul Rouve. Et Doria Tillier (Ndlr: la Miss Météo de l’émission) me surnomme Gollum!» Pour appuyer son propos, il ajoute qu’il vit «avec quelqu’un de très, très beau». «Et comparé à lui, moi je ne le suis pas.»

A l’annulaire gauche, le chroniqueur arbore une alliance argentée. Pacsé avec son compagnon, il parle sans gêne de son homosexualité. «Je n’ai aucun problème avec ça. Pour moi, c’est tellement simple! Je viens d’un milieu très privilégié où je n’ai jamais eu à subir d’homophobie. Reste que ça a été terrible pour moi de voir toutes ces personnes rassemblées sur le Champ de Mars, à Paris, lorsqu’on a approuvé le mariage pour tous, non pas pour revendiquer un nouveau droit mais pour l’interdire à d’autres.» Se retrouver en plateau face à Frigide Barjot, l’une des figures de proue des contestataires, invitée à plusieurs reprises dans le «Grand Journal», a été une gageure. «C’était assez violent car je ne pouvais pas risquer d’entrer dans mon intimité pour lui répondre. Je suis journaliste, pas militant.»

Tous les livres du monde

Derrière lui, la place Dauphine s’anime. «Ce quartier, c’est ma vie. Un vrai village. Les gens y jouent à la pétanque.» Depuis bientôt deux ans, le jeune homme – il fêtera ses 35 ans le 3 avril prochain – occupe un appartement voisin, avec vue sur la Seine. Il le partage avec son compagnon et avec Jean-François, un cocker noir de dix ans. «Attention, s’il y a bien un sujet sur lequel je ne plaisante pas, c’est mon chien! C’est mon meilleur pote.» Il est onze heures et à cette heure-là, Augustin est habituellement chez lui, plongé dans ses lectures. «Je pense qu’il faut avoir une forme de solitude, de tristesse, voire de névrose, pour s’enfermer avec un livre.» Du masochisme? «Non, car je me fais plaisir. Mais je me suis rendu compte que vivre dans son propre monde peut être dur, pour l’autre. Je pense que je pourrais vivre seul. Sans jamais voir personne. Mais avec un bouquin.»

On ne se refait pas. Enfant, Augustin Trapenard était déjà un rat de bibliothèque. «Vous voyez le petit qui est assis tout devant en classe et lève toujours le doigt parce qu’il a réponse à tout? C’était moi!», s’amuse-t-il. «J’étais très fort à l’école. J’avais aussi un côté autiste. J’aimais rester chez moi avec des bouquins. Je m’étais fait le pari, absurde, de lire tous les livres du monde!» C’est qu’il a de qui tenir. Chez les Trapenard, on est serial lecteur de génération en génération. «Cette passion me vient de la mère de ma mère, d’une part, et du père de mon père, de l’autre. Dans sa maison de campagne, mon grand-père avait un salon dont tous les murs, du plancher au plafond, étaient recouverts d’ouvrages. C’était un immense lecteur. Il collait des pastilles de couleur sur ses bouquins: rouges quand il n’avait pas aimé, vertes quand il avait adoré, jaunes quand il avait trouvé moyen. Je les lui volais pour les mettre sur mes propres livres.»

Double culture

Ce banquier a transmis le virus à son fils, le père d’Augustin qui, après une carrière dans la finance, dirige désormais un élevage de chevaux en Auvergne. Deux amours dont ont hérité à leur tour ses quatre enfants. L’une est devenue éditrice, un autre, entraîneur de courses hippiques. Le smartphone d’Augustin Trapenard se met à sonner. «C’est mon grand frère, remarque le chroniqueur en reconnaissant le numéro. Il veut sûrement me parler de Jean Rochefort qui était invité hier soir au «Grand Journal». Il l’adore.» Puis il réfléchit à la dernière question posée. Le premier livre dont il ait le souvenir? Sans doute un Beatrix Potter. A 4 ans, Augustin est parti vivre en Grande-Bretagne où son père avait été muté. C’est là qu’il a appris à lire et à écrire. En anglais, d’abord. «J’ai malgré moi cette double culture», avance-t-il pour expliquer comment il a découvert «Les Hauts de Hurlevent» à seulement 13 ans. «Ce roman est inscrit au programme d’études car il fait partie du patrimoine culturel anglais. Il m’a complètement fasciné, j’ai dû le lire au moins trente fois! Les voix de Heathcliff et de Cathy, je les ai dans la tête.»

Pourtant, l’écriture ne l’a jamais taraudé. Ses seuls écots au monde littéraire se résument à «Devoirs de Bruxelles», une transcription en français de rédactions de français signées Emily Brontë, et à un livre d’entretiens avec l’auteur américain Edmund White. Pas de quoi faire un écrivain, estime Augustin Trapenard. «Je ne suis pas un auteur et je ne le serai jamais! On n’écrit pas parce qu’on en a envie, mais parce qu’on en a besoin, parce qu’on est fait pour ça. C’est un sacerdoce, une vocation que je respecte trop pour la pourrir. En France, de nombreux journalistes sont aussi romanciers. Ils appartiennent à une maison d’édition et à une école d’écrivains, et jugent les livres des autres en fonction de leur propre travail. Moi, je n’ai de comptes à rendre à personne. J’ai l’immense liberté de faire ce que je veux. Je suis vraiment un lecteur.»

Où le voir et l’entendre?

  • Sur Canal+: Du lundi au vendredi dans «Le Grand Journal», en clair et en direct, à 19 h 10.
  • Sur France Culture: Du lundi au vendredi dans «Le Carnet du libraire», à 14 h 56, et le samedi dans «Le Carnet d’Or», à 17 h.

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