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Un million de fois, je me suis demandé à quel moment j’aurais pu, j’aurais dû faire que ça ne se passe pas. Quand est-ce que je n’avais pas fait le geste qui aurait empêché, et d’abord, ce geste, qu’est-ce que c’était? J’avais peur à crever, j’avais envie de vomir, mais je ne lui ai pas cassé le nez, je ne lui ai pas crevé les yeux (…) Je n’ai même pas crié, je n’ai même pas dit non.»

Ce récit est celui de l’ex-championne française de tennis Isabelle Demongeot. Elle raconte comment, petite fille, elle a été violée pendant dix ans par son entraîneur. Dans son livre Service volé (Ed. Michel Lafon), elle ose enfin se libérer de son terrible secret.

Un abus sexuel subi dans l’enfance ne s’oublie jamais. Il laisse des séquelles: angoisses, honte, culpabilité. Plus que les autres, les femmes abusées durant leur enfance souffrent de dépression, d’anxiété, de dépendance à l’alcool ou aux drogues. Elles sont aussi quatre fois plus nombreuses à être victimes de violences dans leur couple, huit fois plus susceptibles de commettre une tentative de suicide. Parfois l’abus sexuel change le cours d’une vie. Plusieurs lectrices qui nous ont écrit pour raconter leur histoire le confirment. Il y a Nadia, abandonnée par sa mère à l’âge de trois ans, puis placée dans des familles d’accueil où elle a été à plusieurs reprises victime d’abus sexuels. Christina, abusée à la fois par son père et son frère, sur fond d’alcool et de violence. Stéphanie, violée par le compagnon de sa mère, qui la vendait à des inconnus dès l’âge de onze ans.

Dénoncer, c’est difficile

Et puis il y a Sokira, une étudiante abusée dans son enfance par son père et par un ami de la famille. Le fait de rencontrer d’autres victimes au sein d’une association lui a donné envie de se battre. Elle a décidé d’organiser une manifestation à Lausanne, le 13 octobre 2012, pour attirer l’attention sur des actes trop souvent passés sous silence. Elle se bat, mais non sans une certaine ambivalence. «J’ai fait un pas immense cette année. J’ai choisi de couper les ponts avec ma famille que j’aime et qui ne me comprend pas», explique Sokira qui ajoute qu’elle ne portera pas plainte: «Je n’ai aucune envie de voir mon père en prison, cela ne m’apporterait rien. J’aime quand même mon père et puis je méprise la justice. Une fille que je connais a porté plainte et elle sait déjà que c’est inutile, car dès qu’il y a un doute, on ne peut pas mettre quelqu’un en prison.»

Selon une recherche menée par l’association Dis No pendant deux ans, dans 75% à 92% des cas, les abus sexuels ne sont pas dénoncés. «Il faut du courage pour dénoncer son agresseur, relève François Boillat, médiateur et président de Dis No. Et quand dénonciation il y a, les sanctions sont rares. Pour que la justice sanctionne le violeur, il faut des preuves. Sans preuve, il n’y a pas de condamnation. Or il n’y a de preuves que dans un cas sur mille.»

Les voies de la réparation

François Boillat ajoute qu’en se taisant, les victimes protègent leur agresseur comme leur entourage, et qu’elles se sacrifient au prix d’énormes souffrances, en renonçant à faire respecter leurs droits et leurs besoins. «Le danger, ajoute-t-il, serait de rester dans cette position de victime. Le plus important c’est de ne pas s’enfermer dans le traumatisme, mais de se demander comment on va faire pour vivre avec. Certaines personnes y parviennent plus ou moins vite.»

Quand elles ne croient pas que l’auteur des faits sera condamné faute de preuves ou que le délai de prescription est dépassé, que peuvent faire les jeunes filles ou les jeunes femmes pour aller de l’avant malgré l’agression qu’elles ont subie?

Intervenante au Centre LAVI de Genève, Michèle Gigandet remarque que le dépôt d’une plainte est l’une des formes de réparation possible, mais qu’il en est d’autres, comme une thérapie, le fait d’en parler à sa famille, ou le signalement de l’agresseur à la justice: «Nous voyons avec les victimes le processus qui leur convient. Si une victime veut dénoncer son abuseur alors qu’il y a prescription, nous l’aidons à faire un signalement à la justice.»Dans ce cas le procureur a la possibilité de mener une enquête, pour savoir par exemple si l’agresseur a déjà fait l’objet de plaintes dans le passé ou s’il se trouve en procès pour des faits similaires. «Cela s’est déjà produit, poursuit Michèle Gigandet, et dans ce cas la personne qui a fait le signalement a été entendue comme témoin au procès, ce qui a permis de condamner le prévenu.»

En faisant un signalement, une victime n’obtiendra pas réparation en justice, si l’acte est prescrit. Mais elle évitera peut-être que d’autres enfants soient abusés à leur tour, car l’agresseur restera dans le collimateur de la justice. «Il est important pour la société de signaler qu’une personne est potentiellement dangereuse. D’autre part, il peut être important pour la victime de se libérer de son secret, quelle que soit l’issue de la procédure.»

Plusieurs lieux offrent écoute et soutien aux victimes d’abus sexuels. C’est le cas de l’association Familles Solidaires à Lausanne. Spécialisée dans l’aide aux enfants et adolescents abusés ainsi qu’à leur famille, elle s’engage activement aux côtés des victimes. Responsable de la communication, Karine Alvarez précise que Familles Solidaires note une forte augmentation des demandes depuis trois ans. «Nous prenons en charge également les parents, à qui nous proposons un soutien individuel ou en groupe. C’est important, car lorsqu’un enfant est abusé, c’est toute la famille qui est chamboulée.» Lorsqu’un enfant abusé ne parle pas spontanément de l’agression dont il a été victime, ce sont souvent des symptômes de mal-être (angoisses, insomnies, repli sur soi) qui alertent ses parents.

Sortir du silence

Directrice de l’association, la psychologue Thérèse Cuttelod explique ainsi le fait que certains enfants ne se confient pas à leurs parents: «Un enfant abusé ne sait pas ce qui lui arrive, il n’a pas les mots pour parler d’un acte qui le touche au plus profond de son intimité et qu’il ne comprend pas. La compréhension ne lui vient qu’au fur et à mesure qu’il grandit. Beaucoup restent ensuite dans le silence. Or, pour pouvoir dépasser le traumatisme que représente un abus sexuel, il est essentiel de pouvoir en parler à quelqu’un, et ce à n’importe quel âge».

Il n’est jamais trop tard pour se soulager d’un poids trop lourd. Ainsi à Lausanne, par exemple, une autre association, Faire le pas, offre une prise en charge et un accompagnement spécialisés aux adultes qui ont été victimes d’abus sexuels au cours de leur vie.

Dès son accession à la tête du Département de l’Environnement et de la Sécurité, la conseillère d’Etat vaudoise Jacqueline de Quattro a fait de la lutte contre les prédateurs sexuels une de ses priorités. «Je me souviens, raconte-t-elle, d’une visite mémorable au Centre de police de la Blécherette durant laquelle j’ai pu suivre une démonstration d’investigation préventive sur Internet. Il a suffi de 6minutes pour que les premiers prédateurs sexuels se manifestent, attirés par le message lancé par nos experts sous la fausse identité d’une jeune fille de quatorze ans.»

Traque sur le net

Comme le nouveau Code de procédure pénale n’autorise plus les policiers à débusquer des pédophiles dans les chat rooms, Jacqueline de Quattro a fait adopter au début de l’année une loi cantonale par le Grand Conseil Vaudois qui autorise à nouveau l’enquête préventive sur Internet dans le canton: «Je suis particulièrement fière, dit-elle, de cette contribution à la lutte contre les prédateurs sexuels.» La surveillance sur la Toile n’est pas permanente. Faute de ressources et de moyens en suffisance, les opérations de surveillance sont mises en place lorsqu’il existe des témoignages ou des soupçons précis à l’encontre d’un internaute.

Depuis que les jeunes ont la possibilité d’accéder librement aux réseaux sociaux, le risque qu’ils tombent un jour dans les griffes d’un pédophile via le Net est bien réel. D’où l’importance d’une prévention efficace menée aussi bien par les parents que dans les écoles.

Qu’est-ce qu’un abus sexuel

On distingue trois grandes catégories d’abus: les abus avec pénétration sexuelle, les abus avec contact corporel (attouchements, caresses imposées, masturbation forcée de l’agresseur) et les abus n’impliquant pas de contact corporel (exhibitionnisme, contrainte à regarder du matériel pornographique, gestes, paroles et mails obscènes, etc.) Selon la loi, tous ces actes sont qualifiés de violences sexuelles et constituent des délits ou des crimes. Ils sont poursuivis d’office ou sur plainte, en fonction de leur gravité.

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