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Osons dire qu’ils sont l’emblème du changement. Depuis la série «Sex and the City», qui a mis Jack Rabbit dans les mains des plus expertes, les sextoys sont devenus des objets de plaisir aussi courants que la lingerie sexy. Marie, 23 ans, raconte que des copines lui ont offert son premier jouet, pour rire, il y a cinq ans. Sauf qu’elle a fini par ne plus pouvoir s’en passer. «J’en ai acheté d’autres. Ça m’amusait, mais je crois que j’en devenais presque accro. J’en utilisais même pendant la journée».

Judith, 48 ans, va jusqu’à considérer le sien «un peu comme un doudou», appréciant sa texture, sa forme. «C’est rare que je ne l’aie pas avec moi, dans mon sac à main, même lorsque je ne m’en sers pas. C’est un objet intime, et sa présence me calme.» Elle avoue que l’idée d’en acheter ne l’aurait jamais effleurée quand elle était plus jeune. «C’est en surfant sur un site féminin que j’ai découvert le premier, rigolo et plutôt sympa, il y a trois ans. Je me suis dit: pourquoi pas? Au début c’était un peu la honte. Maintenant, ce n’est même plus un secret entre mes amies et moi.»

Les femmes ont donc renoué avec ces objets du plaisir qui furent, «à l’instar des chauffe-eau ou des toasters», les premiers biens électriques à être intégrés dans les foyers au début du XXe siècle, rappelle le sociologue Joël Vacheron. Ces sextoys qui ne disaient pas leur nom ont finalement basculé du côté obscur du tabou au cours des années 1930. La faute aux films pornographiques de l’époque, qui levaient l’ambiguïté…

Bref, le plaisir sexuel s’est enfin évadé de la chambre à coucher. Les sextoys ont quitté l’arrière des sex-shops pour les rayons de supermarché et la parole s’est libérée, notamment grâce à internet où même les usagers les plus timides s’expriment. Quitte à aller se cacher derrière des pseudonymes. «Après des siècles de relatif silence, notre besoin de communiquer est en train de faire tomber tous les murs», remarque Maïa Mazaurette, la «sexperte» du magazine «GQ».

Des idées derrière la tête

Pas étonnant que les créateurs se soient fait l’écho de cette nouvelle tendance du plaisir extériorisé. Après tout, c’est leur job. Depuis le 29 octobre 2014, l’exposition «Nirvana», au Mudac de Lausanne, réunit plus de deux cents pièces conçues sur ce thème au cours des quinze dernières années. Leurs auteurs? Quatre-vingts artistes, designers et créateurs de mode, principalement Européens. La moisson s’avère renversante, et dépasse largement le territoire du sextoy. On chemine des minerves en argent massif de la créatrice de bijoux érotiques Betony Vernon au lit qui épouse les positions du Kamasutra de Karim Rashid en passant par la tunique chair et moulante de la Britannique Rachel Freire. A croire que les artistes actuels ont tous leur mot à dire sur le plaisir. L’existence même de cet événement à Lausanne (présenté comme la première exposition d’envergure internationale consacrée au sujet en Suisse) témoigne de ce nouveau regard décomplexé que porte une partie de notre société à la bagatelle.

Et tant pis si toutes ces affiches montrant les tenues tendance sadomaso de Mustafa Sabbagh font jaser en ville. Tant pis si les ateliers d’écriture où l’on jouera avec les mots tabous, juste après le brunch dominical, font des vagues en terre romande. «Nous ne présentons rien que l’on ne soit prêt à assumer totalement. Nous ne faisons pas de voyeurisme, mais nous n’avons pas fait d’autocensure non plus», résume Marco Costantini, l’un des deux commissaires, qui s’avoue «assez content de faire une exposition de ce genre dans un canton protestant». Le musée a tout de même pris quelques précautions: pour la première fois depuis bien longtemps, il n’y aura pas d’atelier destiné aux enfants. Et le carton précise que l’exposition et ses animations sont «inappropriées aux moins de 16 ans».

Une innocence perdue

Car le puritanisme n’a pas disparu des radars. La récente déprédation d’une œuvre de l’artiste américain Paul McCarthy sur la place Vendôme à Paris, au motif qu’elle évoquait un plug anal, en est une preuve spectaculaire. En Suisse, les audaces de la dernière campagne de prévention contre le sida sont remontées jusqu’au Tribunal administratif fédéral. Les bambins nus à la piscine sont priés de se rhabiller et une initiative pour interdire l’éducation sexuelle à l’école avant 9 ans va être soumise au peuple. «Le nouveau millénaire oscille entre puritanisme, discours populistes et exhibitionnisme sur les réseaux sociaux, analyse Marco Costantini. La société des années 2010 est fascinante car elle active un dynamisme stérile, opposant à parts égales voyeurisme et austérité.»

L’imaginaire classé X ose donc sortir du bois, malgré la menace puritaine. Faut-il y voir la fin du tunnel? Les années sida ont exhorté les artistes à montrer la sexualité sous son aspect le plus dramatique. Un voile noir s’est abattu sur le désir. Internet et son déferlement d’images pornographiques en ont renforcé la tendance trash et dangereuse. L’éducation sexuelle s’est focalisée, en réaction, sur la prévention et l’aspect sanitaire de la sexualité. On en a oublié le plaisir et même, adieu Flaubert, l’éducation sentimentale.

Esthétiques de l’envie

Pour Marco Costantini, cette nouvelle mise en valeur de la chair dans la création trouve ses raisons dans la période de crise économique que l’on traverse. «Quand j’ai commencé à travailler sur cette exposition, nous étions en pleine affaire Madoff. J’enseignais alors l’art allemand à l’Ecole cantonale d’art du Valais. J’y ai trouvé des similitudes avec l’expression actuelle. Comme aujourd’hui, certains mouvements artistiques allemands des années 1920 et 1930 montraient la sexualité sous sa forme la plus festive, peignant par exemple les prostituées comme des stars. Les périodes de crise suscitent-elles des sursauts de liberté? C’est en tout cas l’une des hypothèses de notre travail.»

«Nirvana» déploie une diversité impressionnante des formes du plaisir. A côté des œuvres sombres et inquiétantes, l’exposition lausannoise montre l’émergence d’une esthétique délicate. Celle à laquelle sont associés des matériaux comme le cheveu, par exemple. Concepteur de «haute coiffure», Charlie Le Mindu érotise ses tenues par des longues mèches blondes dans son défilé printemps-été 2010. Marie Garnier et ses bols en céramique retrouve la sensualité de la natte décrite par Guy de Maupassant dans sa nouvelle «La chevelure» en 1884: «Quand j’avais fini de la caresser, quand j’avais refermé le meuble… j’avais de nouveau l’envie impérieuse de la reprendre, de la palper, de m’énerver jusqu’au malaise par ce contact froid, glissant, irritant, affolant, délicieux…»

En véritable valeur refuge de ce début de troisième millénaire, l’humour rend lui aussi la sexualité plus douce et plus sortable. Retournons sur le marché du sextoy. C’est en partie parce que l’objet devient «rigolo», travesti en couleurs joyeuses et en formes autres que phalliques, que près de 40% des femmes disent aujourd’hui s’en servir. Le Belge Walter Van Beirendonck et son effigie en verre soufflé représentée en pleine relation sexuelle avec un flacon de parfum, l’Anglaise Sarah Lucas et ses seins à tout faire (y compris un fauteuil) rejoignent eux aussi la tendance ludique.

L’extase se cherche

Parfait. Mais au final, du sextoy au fauteuil, l’objet sexuel époque Madoff a-t-il encore quelque chose à voir avec les sentiments? Est-il devenu un produit de consommation comme un autre, bon pour les supermarchés, les divers concours de performance, voire… les expos de design? «Les exemples que vous citez posent en effet la question de la commercialisation du sexe, réagit Cynthia Kraus, sociologue et philosophe à l’Université de Lausanne (UNIL). Mais l’opposition entre argent et sentiment, plaisir «pur» et plaisir monnayé est réductrice: l’un n’exclut pas l’autre.»

A l’arrivée, la variété des formes que revêt aujourd’hui la volupté traduirait d’abord le foisonnement de nos tourments. C’est en tout cas la thèse de Maïa Mazaurette. «Les personnes peu intéressées par la sexualité ont toujours l’impression que pour renouveler leur vie sexuelle il faut sortir le cuir et la cravache… C’est une vision très naïve. Comment être un homme dans notre ère postféminisme? Comment être une femme quand on est tiraillée entre la mère et la putain? Comment sortir de la routine tout en acceptant qu’elle soit nécessaire, faut-il à tout prix être subversif, doit-on procrastiner ou céder à la performance? L’époque, à mon sens, n’est ni romantique ni trash, elle est dans le questionnement.»

Un pied si attirant

La chaussure est l’un des attributs féminins les plus chargés en érotisme. Ce fétichisme du soulier a même un nom, explique Marco Costantini, commissaire de l’exposition «Nirvana»: le rétifisme, du nom de l’écrivain français du XVIIIe siècle, Nicolas Edme Restif de La Bretonne, qui a décrit sa grande attirance pour les chaussures féminines dans un roman.

La pantoufle de Cendrillon, perdue dans sa fuite nocturne, est l’objet central de l’adoration du prince. Oui mais est-elle de verre ou de vair, cette fameuse pantoufle? Le débat anime les chercheurs depuis le XIXe siècle. Charles Perrault, l’auteur, l’a voulue de verre. Mais Honoré de Balzac, dans sa vaste «Comédie humaine», fait dire à un pelletier que la chaussure de la jeune fille ne peut être que «de vair» (c’est-à-dire en fourrure d’écureuil gris), puisqu’une chaussure «de verre» ne peut pas exister. Pour le psychanalyste Bruno Bettelheim, à qui l’on a confié tous nos contes de fées, il est capital que la pantoufle de Cendrillon soit «en verre». Car si l’on considère la chaussure comme symbole du vagin que le prince cherche à posséder, son matériau doit être aussi fragile que l’hymen. L’objet que Cendrillon a égaré à la fin du bal évoquerait donc surtout la perte de la virginité.

Les artistes et les stylistes ont eux aussi joué sur l’ambiguïté du matériau de la chaussure de Cendrillon. L’exposition «Nirvana» montre ainsi la paire d’escarpins en verre Glass Slippers qui a été réalisée en 2009 par la maison française Martin Margiela. Le premier bottier célèbre, André Perugia, privilégie, lui, la version en fourrure, créant en 1948 un escarpin bicolore à partir de serpent et doublé de fourrure d’ocelot. Chez Louis Vuitton et Céline, on a également rendu hommage à la pauvrette devenue princesse en concevant, ces dernières années, plusieurs modèles de chaussures en fourrure.

Le sexe à l’affiche en suisse romande

  • «Nirvana, Les étranges formes du plaisir», Mudac, pl. de la Cathédrale, Lausanne. Du mardi au dimanche de 11 h à 18 h, jusqu’au 26 avril 2015. www.mudac.ch
  • «Sexpertise», visite décalée de l’exposition du Mudac par Maïa Mazaurette, blogueuse, ex-chroniqueuse de France Inter et «sexperte» pour le magazine «GQ». Samedi 22 novembre 2014 à 14 h.
  • «Atelier d’écriture: le plaisir des mots» Des expressions taboues, interdites, pour dialoguer avec les objets de l’exposition et tous vos fantasmes. Les dimanches 23 novembre 2014 de 14 h à 16 h 30 et 15 mars 2015 de 14 h à 16 h 30, au Mudac.
  • «Jeudi design: rencontre avec Betony Vernon» Créatrice de bijoux érotiques, anthropologue sexuelle, Betony Vernon est l’auteur d’un manuel offrant les clés d’une sexualité orgasmique et désinhibée. Jeudi 22 janvier 2015, à 18 h, au Mudac.
  • «Sexe(s) aux musées», les musées et jardins botaniques cantonaux, le Musée cantonal de zoologie et le Musée romain de Lausanne-Vidy (www.lausanne.ch/mrv) proposent sous ce titre commun 3 expositions tout public.
  • «De A à sexe(s)», au Musée de zoologie à Lausanne, aborde ainsi l’un des sujets les plus étudiés en biolo gie, celui de la reproduction animale (jusqu’au 29 mars 2015). www.musees.vd.ch/musee-de-zoologie/
  • «La Fête du slip», du 6 au 8 mars 2015, à Lausanne. Un festival pluridisciplinaire consacré à l’approche positive et festive de la diversité des identités de genre, des orientations et pratiques sexuelles. Reservé aux adultes.
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