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Récit poignant

«Ma vie a commencé à 60 ans, lorsque j'ai quitté le couvent»

«Ma vie a commencé à 60 ans, lorsque j'ai quitté le couvent»

Dans son premier ouvrage, la Française Catherine Draveil raconte son enfance influencée par la religion catholique, ses liens avec la Suisse, ses 38 ans passés dans un couvent et son parcours de combattante pour gagner sa liberté.

© JOËL PHILIPPON

«Il n'y a pas d'âge pour passer de l'existence à la vie. Et à 71 ans, je n'ai aucun regret. Mes regrets seraient stériles, puisqu'on ne peut revenir dans le passé. Aujourd'hui, je suis épanouie. Je vis à Lyon avec Yves, que j'ai épousé en 2022, je voyage en Europe à ses côtés, je fais du saut en parachute. Chaque journée m'apporte son lot de merveilleuses découvertes, car toutes les expériences sont des premières fois. Je suis pleinement heureuse, mais ça n'a pas toujours été le cas.

L'omniprésence de Dieu

Je suis née en 1952 dans une famille catholique, la quatrième de dix enfants. Mes parents m'ont aimée, mais j'avais de la peine à trouver ma place au sein de cette fratrie. Je faisais des bêtises. Tout le temps. J'étais rebelle, voire carrément insupportable. En raison de l'omniprésence de la religion dans mon éducation, mes bêtises enfantines sont devenues des péchés. Un sentiment de culpabilité m'a empoisonné toute ma jeunesse et ne m'a pas quitté jusqu'à 60 ans.

Dieu avait réponse à tout, pas question de remettre en cause ses préceptes.

À 6 ans, j'ai subi des attouchements. Ma mère m'a crue, mais jamais cet événement n'a été discuté. À 8 ans, j'ai pris conscience que j'avais été mise dans l'existence sans l'avoir choisi. Je me souviens que la vie ne m'intéressait plus du tout: je voulais la quitter. Ainsi, j'ai dû chercher une solution pour survivre à cette existence pénible que je pensais normale. J'ai trouvé une réponse dans le catéchisme: le bonheur, c'est pour le ciel, après la mort.

Ma mère pensait qu'une famille devait offrir un enfant sur trois à Dieu. Toute ma vie, une petite voix m'a chanté que j'allais devenir religieuse. Cette injonction morale a toutefois été perturbée lorsqu'on m'a expliqué à 13 ans comment on fait des enfants. Cela a éveillé une infinie tendresse en moi. J'ai commencé des études de médecine (d'abord pour rencontrer quelqu'un), même si ma mère était contre à cause du risque, pensait-elle, que j'aie à pratiquer un jour des avortements. J'ai tenu bon, car ce cursus me plaisait. Or, je n'ai pas pu me débarrasser de ce tiraillement, du murmure dans ma tête.

À 22 ans, j'ai craqué: j'ai abandonné mes études et je suis entrée au monastère sous le nom de Sœur Marie Pia.

Je croyais alors que si je n'obéissais pas à cette petite voix, des gens iraient en enfer. Aujourd'hui, cela me semble tellement aberrant…

J'ai été moniale près de 40 ans

Ma vie en communauté cloîtrée, que je raconte dans mon livre, a été marquée par des violences psychologiques. Cela a surpris des gens - ma famille, tout d'abord -, qui imaginent les moniales vivant forcément une existence heureuse et sereine au plus près de Dieu. Cela n'a pas été mon expérience.

Mère Édith, l'abbesse et notre supérieure, était une personne toxique, manipulatrice. Je suis entrée au couvent très jeune et suis tombée sous son emprise.

Je n'avais aucune liberté, aucune intimité, aucun contact avec le monde extérieur, nous n'avions même pas le droit de nouer des amitiés entre moniales. Je n'ai jamais appris à penser par moi-même, à donner mon avis ou même à écouter les autres. Des bons souvenirs, j'en garde quand même, moi qui étais maîtresse de chœur et qui ai pratiqué les chants grégoriens, si riches, pendant des années. J'aimais également m'occuper des travaux extérieurs, de la ferme, du potager: ces activités m'ont permis de trouver un certain équilibre. J'ai également beaucoup appris en œuvrant comme infirmière auprès des sœurs malades.

«Ma vie a commencé à 60 ans, lorsque j'ai quitté le couvent»
Catherine Draveil en 2013, avant qu'elle ne quitte son vêtement religieux. © DR

Mère Édith a enfin pris sa retraite à 80 ans, après des décennies à la tête du monastère. L'évêque lui avait même interdit de revenir, pour ne pas polluer le gouvernement de sa successeuse Mère Claude. Son départ fut un véritable tsunami. Toute ma vie, je l'avais identifiée au Christ. Mes repères se sont envolés. Elle était notre gourou, elle avait toute notre confiance: nous n'avions plus rien à quoi nous raccrocher. Des moniales sont parties, plusieurs sont tombées en dépression. D'autres supérieures ont succédé à Mère Édith, mais comme toutes avaient évolué sous son emprise, rien ne changeait.

Après le couvent, ma vie a enfin commencé

2013 est une année charnière dans mon parcours. J'étais en burn-out, en pleine crise existentielle. Bannie un jour d'une réunion importante de façon injuste, traitée pour la millième fois comme une enfant, j'ai pensé: «si je reste, je meurs». On m'a accordé l'autorisation d'aller me reposer un mois dans un monastère bénédictin. Dans ce cadre de nature magnifique, j'ai retrouvé la perception de mon corps par les cinq sens. Cela a arrêté mon disque mental. Je ne suis jamais rentrée dans mon monastère.

J'ai eu l'occasion d'échanger avec un abbé bienveillant qui m'a énormément soutenue. Je lui ai avoué que le couvent était pour moi une prison et il m'a répondu «Dieu veut que tu sois heureuse.» Quelle libération!

Cette année-là, j'ai abandonné le nom de Marie Pia et j'ai repris celui de Catherine, afin que celle-ci trouve le chemin de la guérison et puisse enfin commencer sa vie.

Il m'a fallu encore trois ans avant d'être relevée de mes vœux. De retour dans la «vraie vie», en région parisienne, je n'ai eu aucun problème à m'adapter Enfin, presque! J'ai dû apprendre à faire des choix: au magasin, au restaurant… Toute ma vie on avait choisi pour moi. La première année, l'institution m'a accompagnée financièrement. Mais j'ai dû commencer à travailler pour subvenir à mes besoins, à l'âge où les gens prennent généralement leur retraite. Comme aumônière, dame de compagnie, gardienne d'enfants ou encore dans un atelier de réinsertion. Quitter la sécurité du couvent n'a pas été facile, mais j'étais habituée à une vie frugale.

Mon histoire transcrite dans un livre

J'ai beaucoup écrit lorsque je suis sortie. J'aime l'écriture, c'est pour moi une thérapie. Et après presque 40 ans de silence, j'avais besoin de parler! Mes ami-e-s m'ont poussée à raconter mon parcours dans un livre. Lorsque j'ai rencontré mon mari, en 2021, j'ai arrêté de travailler, j'ai donc passé des heures à rédiger mon histoire.

Le message de Métamorphose est le suivant: on ne choisit pas de naître, et notre travail est de passer d'une existence reçue à sa vie assumée, en faisant ses propres choix.

J'aimerais que les personnes aient l'opportunité de se questionner: vivent-elles ce qu'elles ont choisi de vivre? Mes croyances étaient comme les glissières d'une autoroute sur laquelle j'étais bloquée. Dieu n'est plus mon chemin aujourd'hui. Une fois confrontée à la vie, celle-ci m'a offert bien plus que ce que j'en attendais.»

Sa bio express:

  • 1952 Elle voit le jour à Chambéry, en France.

  • 1971 Catherine commence un cursus de médecine.

  • 1975 Elle abandonne ses études pour entrer au monastère, à 22 ans.

  • 2013 En burn-out, elle quitte son couvent pour toujours.

  • 2016 Enfin, elle est relevée de ses vœux.

  • 2022: Catherine épouse Yves, rencontré sur Internet un an plus tôt.

  • 11 mai 2023 L'autrice publie son livre Métamorphose aux Éditions Favre, préfacé par Rosette Poletti.

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