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Agentes de détention: Elles témoignent de leur métier

Agentes de detention elles temoignent de leur metier

Johanne Osti est sous-cheffe au sein de l'établissement pénitentiaire de Bois-Mermet, à Lausanne.

© CAROLINE RAEMY

Dans le canton de Vaud, 350 agents et agentes de détention travaillent pour le Service pénitentiaire (SPEN) et s’occupent de la prise en charge des personnes détenues dans les cinq établissements pénitentiaires pour adultes ainsi que dans celui pour la détention des mineurs et jeunes adultes.

Depuis cet été, un nouveau processus de recrutement a été mis en place dans la région avec l’organisation de séances publiques d’information quatre fois par an. Des soirées durant lesquelles il est possible de rencontrer des personnes en uniforme et d’en apprendre davantage sur ce métier et le milieu carcéral, souvent méconnu du public. Le SPEN constate de plus en plus de candidatures féminines, mais elles ne représentent, à ce jour, que 17% des agents de détention. Pour découvrir la réalité de leur métier, nous avons pu rencontrer trois femmes travaillant dans trois prisons vaudoises pour hommes.

Prison du Bois-Mermet

Le premier rendez-vous est pris au sein de l’établissement pénitentiaire du Bois-Mermet à Lausanne, où les détentions ont lieu avant un jugement. Nous y retrouvons Johanne Osti, 39 ans, sous-cheffe dans cette prison depuis 2021. «Je ne peux pas vous présenter une journée type, car elles sont toujours différentes, nous explique-t-elle. Mais je manage les agent-e-s de détention, je leur donne les missions du jour et je les soutiens dans leurs tâches. Je dois également être présente pour répondre aux questions des personnes incarcérées.»

Certaines journées sont plus calmes que d’autres, mais l’arrivée de nouvelles personnes et leur placement en cellule peuvent vite prendre du temps. «Avec la prison pleine, la mission n’est pas facile. Il faut trouver qui mettre ensemble pour que la cohabitation se passe bien», précise la Vaudoise. L’établissement est conçu pour 100 personnes en cellule, mais en accueille 170. Une situation de surpopulation à laquelle sont confrontées de nombreuses prisons ces dernières années face à l’augmentation du nombre de personnes détenues. Une hausse de 7% a, par exemple, été enregistrée en 2024.

Johanne Osti, sous-cheffe à Bois-Mermet. © CAROLINE RAEMY

Johanne Osti s’est lancée dans le métier en 2013, après avoir travaillé dans la vente. «C’est ma mère qui m’a montré l’annonce et encouragée à postuler, car je ne m’y voyais pas vraiment au départ.» Elle qui rêvait plus jeune d’être «Julie Lescaut» ne connaissait pas vraiment cet autre métier. Avant de prendre son poste à Lausanne, elle a travaillé huit ans comme agente de détention à la prison de La Croisée, à Orbe. «Après ma première journée de stage, j’ai su que c’était ce que je voulais faire, lance-t-elle. Mais si on ne se sent pas bien dans cette atmosphère particulière, il ne faut pas rester.»

Fatigue psychique

Trois jours d’immersion sont en effet prévus au début de la formation pour savoir si l’environnement est supportable. Parmi les aspects qui pourraient rebuter certaines personnes, la sous-cheffe évoque notamment le stress, le bruit des portes qui s’ouvrent et se ferment – un son imposant qui nous accompagnera tout au long de notre reportage – et le fait d’être enfermée. «C’est vrai que tout cela engendre beaucoup de fatigue, psychique plus que physique. On passe beaucoup de temps à discuter avec les détenus. Quand je rentre chez moi, je ne pense plus au travail car il est important de faire une coupure, sinon on ne s’en sort pas», note Johanne Osti.

Une distance avec eux doit également être respectée: «Ils peuvent nous raconter des choses lourdes en lien avec leur vie ou leur incarcération, mais il ne faut pas porter ces aspects personnellement. Cela ne nous empêche pas d’avoir de l’empathie. Notre mission consiste à les accompagner durant leur détention. Il y a le côté sécuritaire, mais il y a aussi le côté social. Il est primordial de ne pas les juger, notamment en fonction de leur délit, et de tous les traiter de façon équitable.»

Et en tant que femme, comment est-ce de travailler au milieu d’hommes? «Je l’ai toujours pris comme une force. Ils se sentent différemment en notre présence, ils arrivent sûrement plus facilement à s’ouvrir avec nous», dévoile Johanne Osti. Elle déplore également les préjugés de certaines personnes qui pensent qu’elle ne fait qu’«ouvrir et fermer les portes», ou qui craignent pour sa sécurité: «Je n’ai jamais eu peur, en cas de souci, j’appuie sur un bouton et tous mes collègues débarquent en quelques secondes. Et il faut savoir que nous n’avons pas d’armes, la communication est notre plus grande alliée.»

Mineurs et jeunes adultes détenus

La suite de notre reportage nous amène à Palézieux, à l’établissement pour mineurs et jeunes adultes (EDM) Aux Léchaires. Il accueille en milieu fermé des filles et des garçons âgés de 10 à 25 ans, avec actuellement 36 personnes détenues. Là-bas, des ateliers et des enseignements spécifiques leur permettent de poursuivre leur cursus scolaire.

Nous rencontrons justement la responsable de l’atelier de création, Wanda, 41 ans. Après avoir travaillé à la prison de La Croisée (avec Johanne Osti notamment), elle a occupé un poste en buanderie avant d’atterrir dans cet atelier pour les mineurs, en 2020. «Je visais depuis longtemps ce job», mentionne-t-elle.

Avant d’être agente de détention, elle travaillait dans le marketing et le tourisme. «Mais je voulais trouver un travail plus humain, avec un côté social, mais j’avais peur que ça soit trop tard pour changer», se remémore-t-elle. Puis, elle tombe sur une annonce et se sent intriguée par le métier, non sans certaines appréhensions: «J’avais peur d’être confrontée à des personnes fermées d’esprit, mais ce n’était pas du tout le cas et tout s’est bien déroulé.»

Bulle d’air

Quand on arrive dans son atelier, on a l’impression d’atterrir dans une classe de travaux manuels de n’importe quelle école. Les créations des pensionnaires sont posées un peu partout dans la pièce, comme des visages faits en poterie. «Cet endroit représente une bulle d’air pour les jeunes, indique Wanda. Cela permet à certains d’aller enfin jusqu’au bout d’un projet. Créer quelque chose de leurs mains leur procure beaucoup de fierté. Ici, ils peuvent montrer autre chose d’eux-mêmes, loin de l’étiquette de détenus.»

Wanda, responsable d'atelier à Palézieux. © CAROLINE RAEMY

La Vaudoise a entrepris notamment deux projets fédérateurs comme une favela en papier, exposée désormais au CHUV. Ces moments créatifs permettent à certains de s’ouvrir: «Ils ont souvent grandi dans des familles dysfonctionnelles, violentes, et peuvent avoir été victimes d’abus dont il est difficile de parler.»

N’est-il pas trop difficile d’enfermer des adolescents? «C’est vrai qu’il est parfois surprenant de les voir en cellule. Mais il faut dire que leur séjour les oblige à avoir un cadre et un rythme de vie qui apportent finalement une stabilité qu’ils n’ont jamais eue, et cela les aide à avancer. Ils se sentent parfois plus sereins ici et ils vont avoir peur au moment de la sortie», répond Wanda, qui pointe le besoin d’accompagner davantage les jeunes mineurs qui sortent de tels établissements et «de créer un pont entre les deux mondes afin de faciliter la réinsertion». Les peines dans cet établissement sont d’ailleurs très souvent de courte durée.

La responsable d’atelier aime particulièrement son métier, mais rappelle le besoin de couper avec le travail, de prendre des pauses pour se reposer ou des vraies vacances. À la fin de la journée par exemple, elle se change et enfile des vêtements civils avant de prendre sa voiture. En dehors, elle aime dévoiler tous les aspects de son métier lorsque des personnes s’en étonnent ou pourraient la juger.

Quant au fait d’être une femme, cela permet d’éviter un «rapport de force où la virilité entre en jeu. Mais parfois, l’autorité féminine peut être moins acceptée.» Wanda tient à assurer qu’elle «n’abuse pas de son autorité. Quand les règles sont respectées, nous sommes vraiment d’égal à égal.»

Les exécutions de peine à Orbe

Notre dernière visite se déroule à la prison d’Orbe, au pénitencier de Bochuz, où 142 personnes exécutent leur peine. Nous rencontrons Jennifer, agente de détention en devenir qui travaille depuis un an et demi dans cette prison. «J’ai toujours été attirée par les métiers liés à la justice», témoigne-t-elle.

Avant cette reconversion, elle avait «mis sa carrière de côté» et entrepris un apprentissage dans l’intendance au sein d’une unité psychogériatrique. Elle y avait notamment apprécié «le contact humain». Puis, une annonce l’incite à se lancer comme agente de détention. Ainsi commence son cursus. Après une formation à l’interne, elle commencera bientôt son brevet fédéral.

«Travailler ici s’est révélé au-delà de mes attentes, tout s’est très vite bien passé et je me sens à ma place», dit-elle avec une assurance de plomb. Pour elle, la mauvaise image qui peut coller à son métier provient «de ce que l’on peut voir dans les médias, les films, les séries ou encore les reportages à la télé. Ils ont tendance à montrer uniquement les aspects négatifs, durs, alors qu’en réalité, on est loin de ça.»

Jennifer, agente de détention en formation à la prison d'Orbe. © CAROLINE RAEMY

La jeune agente de détention souligne la diversité des tâches et des différentes prises en charge opérées avec les personnes incarcérées. Un contact qui demande «de ne pas avoir de préjugés». Elle précise avoir choisi de travailler avec des hommes et se sentir à l’aise ainsi. Valoriser le fait que ce métier est «aussi masculin que féminin est important», clame-t-elle.

Jennifer apprécie l’encadrement qui lui est proposé et qui lui permet de parler en tout temps à quelqu’un «si quelque chose nous touche trop». Elle parle également du besoin de «garder une certaine barrière» avec les détenus, et apprécie de passer beaucoup de temps à l’extérieur, de faire du sport, de profiter de sa famille, ce qui lui permet facilement «de se vider la tête». Elle ne regrette absolument pas cette reconversion: «C’était la meilleure chose que je pouvais faire!»

Prochaines séances d’information du SPEN: mardi 7 janvier 2025 à la salle communale d’Orzens (sur inscription uniquement) et mardi 8 avril (lieu pas encore connu). Plus d'informations


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