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Lucienne Skopek: une vie en transit

Lucienne Skopek nous attend dans le café d’un de ces hôtels sans âme qui peuplent les alentours de Cointrin. Non que l’endroit lui plaise particulièrement, mais les lieux lui sont familiers: cela fait des années que la septuagénaire fait l’aller-retour entre la Suisse et les Etats-Unis, se partageant entre un pied-à-terre à Genève et la maison près de Washington où elle vit avec son mari. Si la perspective de traverser l’Atlantique ne la perturbe plus, elle a beaucoup craint l’avion. Au point de fonder, il y a trente ans, le cours pour phobiques qui se tient toujours à Genève.

«J’aimerais arrêter ce va-et-vient. Les départs sont pour moi une torture, comme si je n’allais jamais revenir. C’est resté gravé en moi», glisse-t-elle. Errances, le titre de son autobiographie, en dit long sur une vie ballottée par les aléas de l’Histoire, et qui a commencé à Lviv, en Pologne à l’époque, aujourd’hui sur territoire ukrainien. Son père décède peu après sa naissance. Sa mère, Cesia, se remarie lorsque la petite a 4 ans. La famille, qui va bientôt s’agrandir avec l’arrivée d’un garçon, déménage pour Paris.

Cesia, juive orthodoxe «au regard un peu triste» et à «l’intelligence intuitive», est un personnage-clé. À la fois pilier de stabilité – «elle était la seule sur qui je pouvais compter. Tout le reste changeait tout le temps» – et pleine de la mélancolie de l’exilée. Le récit de Lucienne Skopek montre combien elle a été marquée par cette mère exigeante, exaspérante et, malgré tout, si aimante.

De la Suisse à l’Amérique

Mais c’est la guerre, le départ de Paris. Et, une nuit d’octobre 1942, la traversée de la frontière depuis Thonon, l’exode en Suisse pour fuir les Nazis. Lucienne et son frère sont envoyés dans un camp pour enfants réfugiés outre-Sarine, avant que la famille ne s’installe à Genève. Elle a 13 ans lorsque, en camp de vacances sioniste, sa route croise celle du beau Jean. Elle en tombe éperdument amoureuse. Quelques années plus tard, après le service militaire en Israël, Jean, enfin, lui fait part de ses propres sentiments. Mariage, retour en Suisse. Lucienne est enceinte de quelques mois lorsque son mari doit subir un traitement pour un problème à la jambe. Leur fille Danièle naît, le bonheur de Lucienne est à son comble. Il sera de courte durée: atteint d’un cancer, Jean meurt cinq ans plus tard.

Lorsque nous lui demandons pourquoi elle est restée si attachée à Genève, elle sourit. «J’y ai mes amis. Et puis, c’est la ville de mon grand amour.» De cet époux mort si jeune, elle garde un souvenir ébloui. Un peu plus tard, elle choisira de suivre aux Etats-Unis son nouveau mari, Henry. «Je ne ressentais rien, sinon le désir de fuir», écrit-elle. Le récit est clairement marqué par un avant et un après. «La mort de Jean a brisé des choses en moi», dit-elle aujourd’hui.

La vie outre-Atlantique n’est pas simple. «Profondément européenne», Lucienne souffre du mal du pays, s’étonne de voir sa fille devenir une vraie petite Américaine. Mais elle fait preuve de ténacité, reprend ses études, noue de nouvelles amitiés. «C’est de ma mère, aussi, que me vient ma force, je crois.» Une mère dont elle se sent coupable de s’être éloignée. Parce qu’elle a besoin de maîtriser les choses après tant d’incertitudes, elle développe une phobie de l’avion. Il faudra qu’elle apprenne par téléphone le malaise cardiaque de sa mère pour rejoindre un groupe d’aérophobes à New York. Avant de fonder, quelques années plus tard, un groupe similaire à Genève. «On s’aide en aidant les autres», sourit-elle.

Du journal intime au livre

Elle qui a transmis le flambeau il y a plusieurs années a récemment eu les honneurs d’un dîner avec d’anciens participants. Pourquoi avoir décidé de coucher sur le papier son parcours? «J’avais simplement commencé à écrire un journal, cela m’aide à voir les choses plus clairement. Et puis, c’est devenu un livre.» Elle continue d’écrire. Sur sa mère, aujourd’hui décédée. «L’influence qu’elle a eue sur moi, nos trajectoires.»

L’année prochaine, cela fera cinquante ans qu’elle a épousé Henry. Il apparaît, bien sûr, dans Errances. Mais de manière fugace, comme sa fille Danièle. «C’est difficile de parler des vivants, que ce soit en bien comme en mal. Je ne voulais surtout pas les blesser. Avec Danièle, cela n’a pas toujours été simple. Mais je crois pouvoir dire que cela va mieux.» De son mari, elle dit qu’il y a entre eux «une immense tolérance et la certitude d’être là l’un pour l’autre». Par e-mail, lui nous avoue «ne pas avoir tout lu. Mais Lucienne a toujours parlé ouvertement de son passé, alors rien de ce que j’ai pu lire ne m’a surpris». C’est à Henry et Danièle que le livre est dédié.

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