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Comment Instagram a bousculé notre manière de voyager (et de quelle façon y remédier)

Comment Instagram a bousculé notre manière de voyager (et de quelle façon y remédier)

1/3 des voyageurs sélectionne leur destination de vacances en prenant en compte le potentiel instagrammable du lieu.

© Clem Onojeghuo

Juliette a toujours le même réflexe lorsqu’un voyage approche: elle se connecte à Instagram pour repérer cafés, expos, hôtels et autres bons plans à ne pas manquer. «C’est super facile de découvrir ainsi de nouvelles adresses, explique la jeune étudiante, de retour de Copenhague. Et je sais en temps réel si un musée est fermé ou un resto trop bondé. Franchement, j’aurais de la peine à m’en passer.» Pourtant, une ombre se profile dans le tableau de cette voyageuse connectée, la surmédiatisation de certains lieux, autrefois tenus secrets, dont les mêmes photos se retrouvent désormais démultipliées à l’infini sur le réseau social.

Lorsque le rêve tourne au cauchemar...

«Les touristes ont une sorte de «Bucket list» dans la tête avant même d’arriver à destination, observe Roland Schegg, professeur à l’Institut de tourisme de la HES-SO, à Sierre (VS). Par exemple, à Genève, il faut absolument se mettre en scène avec le jet d’eau. Certaines attractions, à l’instar de l’Alimentarium, à Vevey (VD), jouent de ce levier marketing et incitent à partager leurs photos avec un hashtag dédié.» D’autres lieux, souvent naturels, ne choisissent pas d’être ainsi surexposés après la visite d’un influenceur et se voient alors propulsés sur le devant de la scène touristique sans y être préparés.

En mars 2017, Kashlee et Trevor Kucheran décident de vendre leur maison et de partir voyager. Ils gèrent depuis le blog Travel Off Path. Bien que présente sur Instagram, Kashlee porte un regard sévère sur le réseau social. «L’industrie touristique a atteint un point de non-retour à cause d’Instagram, explique-t-elle. Depuis que les plus belles destinations du monde ont été ainsi découvertes et promues, elles sont totalement débordées. L’augmentation du nombre de touristes due à Instagram a fait bien plus de mal que de bien.»

Les innombrables photos de plages et de paysages à couper le souffle sont devenues une source de motivation capitale pour inciter les gens à parcourir le monde. La preuve, selon un sondage mené par le site de voyages Expedia, un tiers des personnes interrogées reconnaissent s’inspirer des publications pour choisir leur future destination.


Par ailleurs, selon le site de réservation Booking, 32% des voyageurs sélectionnent leur hôtel en prenant en compte le potentiel instagramable du lieu.

Certains influenceurs sont pointés du doigt pour leur comportement, parfois jugé irrespectueux. «Le tourisme de masse induit par Instagram détruit la faune et la flore, déplore ainsi Nicole Hunziker, photographe bernoise spécialisée dans les paysages de montagne. Beaucoup de gens ne visitent une région ou une ville que pour réaliser la photo qu’ils ont aperçue sur le réseau social. Ils recherchent le point de vue et se fichent de ce qu’il y a autour, certains n’hésitent pas à laisser leurs déchets dans la nature.»

La géolocalisation fait partie des pratiques les plus décriées. Le WWF a lancé une campagne le 16 juillet 2019 pour contrer la fonction «ajouter un lieu» car, via les tags, des milliers d’espaces autrefois tenus secrets voient aujourd’hui défiler d’innombrables voyageurs armés de leurs smartphones. La jolie rue Crémieux, à Paris, et ses façades colorées, certains fjords norvégiens, l’auberge de montagne Äscher, en Appenzell, une plage thaïlandaise qui a dû être fermée pour permettre aux coraux de se reconstituer… la liste est sans fin. Le WWF propose ainsi d’indiquer «I Protect Nature» comme localisation afin de «sensibiliser les Instagrameurs à la protection des sites naturels et, à travers eux, le plus large public possible», détaille l’ONG.

Ennemi n°1 ou bouc émissaire?

Pollution, atteinte à la biodiversité, emballages plastiques délaissés… Pour Saskia Cousin, anthropologue et maîtresse de conférences à l’Université de Paris-Descartes, Instagram est devenu le bouc émissaire du tourisme de masse. «Ce que révèlent les articles du type «10 destinations ruinées par Instagram», c’est l’angoisse du voyageur cultivé devant l’appropriation des lieux et la répétition ad nauseam des esthétiques», explique-t-elle au journal «Le Monde». Une peur qui existerait depuis... le XIXe siècle! Par ailleurs, dès 1930, les gens se sont plaints de l’invasion des plages…

Une cinéaste qui préfère garder l’anonymat s’est d’ailleurs donnée pour mission de pointer du doigt les clichés de vacances standardisés désormais publiés. «Les comptes qui prônent une vie créative, riche en aventures, et qui étiquettent leurs photos avec des mots-clés du type «liveauthentic» ou «exploretocreate» sont tellement ironiques», a confié la créatrice d’Insta_Repeat à Photoshelter, un site réunissant les professionnels de la photographie.

La double face du réseau

«Comme avec chaque outil, il y a des abus et des choses très bien, analyse Roland Schegg. Instagram permet notamment d’être autonome pour préparer son voyage, de trouver des informations en temps réel.» Le spécialiste du tourisme utilise beaucoup le réseau social. Il se souvient d’avoir notamment contourné la foule à Dubrovnik ou découvert la Fondation Jan Michalski, à Montricher (VD) grâce à un Instagrameur. «Mais il est vrai que certains offices du tourisme ont un travail à faire pour dévier les flux de voyageurs hors des sites surexploités, poursuit l’expert. Cela demande de mettre en place certaines stratégies, avec ou sans influenceurs.»

Sylvia Michel, Instagrameuse suisse et photographe professionnelle, a sa propre tactique pour visiter les lieux qui lui font de l’œil: «Honnêtement, si on voyage hors-saison ou qu’on s’y rend durant les heures creuses, on est souvent seul au monde, même sur les «Instaspots». A mon avis, le potentiel touristique est loin d’être épuisé sur Instagram. Dans certains cas, il en est même à ses balbutiements. Pour moi, il reste l’instrument à privilégier, car il montre les émotions et les expériences de personnes réelles.» Depuis son avènement, terminées les soirées diapos, aux oubliettes les livres de photo: on préfère scroller en live pour découvrir les dernières aventures de celles et ceux que l’on suit.

Charlotte Grandperret, 22 ans, en est bien consciente. Après avoir travaillé durant 3 ans dans une fiduciaire, elle s’apprête à partir faire le tour du monde. «Evidemment, Instagram a contribué à me donner envie d’aller visiter tel ou tel lieu, explique-t-elle, mais une fois sur place, j’ai vraiment l’intention de ne pas montrer uniquement les beaux spots qu’on voit partout. Les sites pollués ou les plages noires de touristes doivent également faire partie du paysage et auront leur place sur mon feed.»

Et pas question pour la jeune Française originaire du Valais de «passer des heures à monter des vidéos alors que je me trouve à l’autre bout du monde. Je vais vraiment déconnecter, nouer des contacts avec des locaux, vivre cette expérience à 100%.»

Lorsqu’elle a débuté, Kashlee Kucheran est justement tombée dans ce piège. Obnubilée par son nombre d’abonnés, l’Australienne passait des heures à poser, retoucher ses photos, perfectionner sa stratégie digitale. «Aujourd’hui encore, je voyagerais différemment si Instagram n’existait pas, confie-t-elle. Je serais davantage présente, moins tentée de regarder tout ce que je vois à travers l’écran de mon smartphone. Instragram me pousse à passer beaucoup de temps pour créer du contenu sur mon compte, à la place de simplement profiter de mon séjour.»

3 comptes inspirants à suivre

Marissa, pour découvrir Cuba

Ce qui intéresse Marissa, ce ne sont pas les filtres ni les « citations de vie inutiles », comme elle aime le rappeler. La jeune créatrice de contenu souhaite partager la réalité de la vie à Cuba, loin des clichés. Et avec bien plus d’authenticité.

Black Girls Travel Too, pour toutes les femmes qui voyagent

Conseils pratiques, expériences, témoignages… ce compte regorge d’informations à mettre entre les mains de TOUTES les voyageuses. BGTT souhaite aussi promouvoir un tourisme plus responsable qui respecte l’environnement et les cultures autochtones.

Unlikely Hikers, pour plus de diversité en randonnée

Souvent exclus des grandes attractions touristiques, les personnes LGBTQUIA, handicapées ou malades sont ici représentées. «Nous avons tous une histoire, si vous vous considérez vous aussi comme un «randonneur improbable», vous êtes ici le bienvenu», annonce le site internet de la communauté.

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