culture
Musique: Rencontre avec la jeune étoile Zaho de Sagazan
Zaho de Sagazan, c’est d’abord un nom avec plein de Z, on ne sait pas où les ranger. Elle se produisait à Festi’neuch, le 13 juin 2024, nous en avons profité pour lui poser quelques questions. Nous avions vingt minutes juste avant son concert. Pas grave, parce qu’avec elle, le temps compte double. Elle parle si vite qu’il est impossible de prendre des notes, on prie pour que l’enregistrement fonctionne. Ce jour-là, elle portait un truc vert, de la couleur de ses yeux, se tenait tout au bord de sa chaise, prête à s’envoler.
Nous, on essayait de la retenir, et ça donne quelque chose de ce genre-là: «Il y a une année, vous étiez à la Case à Chocs devant 500 personnes, maintenant vous vous produisez devant des milliers de gens, vous aimez le public autant qu’il vous aime?» L’artiste donne trois informations en une phrase. Primo, elle revendique les émotions, confessant être une ultrasensible, deuzio, elle adore être sur scène, tertio, et ça tombe bien, elle adore partager les émotions sur scène, les siennes et celles de son public.
Elle aussi s’est mise à verser quelques larmes à un concert, elle a vu sa sœur jumelle dans la foule, elle en était toute retournée.
Les ciels de Saint-Nazaire
Sa famille, justement. Zaho naît à Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique. Cela évoque les plages interminables, les ciels gris, les chantiers navals, la gauche. En 1955, à la suite d’une grande castagne, le corps ouvrier a obtenu 22% d’augmentation de salaire. En 2024, la liste de Raphaël Glucksmann (24%) est sortie devant celle de Jordan Bardella (22%). «Je suis assez fière parce que Saint-Nazaire est une des seules villes où ce n’est pas le Rassemblement national qui est en premier plan», rappelle la jeune femme. Mais pour le reste, la séquence démocratique française l’inquiète.
«C’est la réponse d’un peuple désespéré. Je ne suis pas là pour juger les gens qui ont voté RN. Je pense que ça fait très longtemps qu’il y a toute une partie de la France qui n’est pas écoutée, qui n’est pas considérée.»
Même si en Suisse, le taux d’abstention est identique, elle adore venir s’y produire. Elle a donc déjà joué à Neuchâtel, est venue à Paléo, elle en a gardé des souvenirs merveilleux, a hâte d’y retourner le 24 juillet 2024; le 21 novembre, elle sera à la Salle Métropole à Lausanne (les deux dates sont complètes). «On se fait accueillir comme des rois», dit-elle.
L’amitié plus forte que l’amour
Des rois? Et les reines alors? Zaho de Sagazan ne trouve aucune raison de se plaindre.
«Je décide de tout ce que je fais. La question du genre n’est même pas une question. Mais plutôt: est-ce que tu es intelligente? Est-ce que tu es généreuse? Et puis c’est tout.»
Dans le ciel de Zaho, il y a de la joie, des fous rires, de la complicité. Pas d’amour par contre. À 24 ans, elle n’a jamais aimé, et n’en fait pas tout un plat, juste le thème de plusieurs de ses chansons. Ha bon? Vraiment? Pas de crush à l’horizon? Et comme elle nous parle comme à une amie de vingt ans, on lui demande si ce ne serait pas l’amitié qui compterait encore plus que cette idée du prince charmant. «Je ne l’ai jamais rencontré, même ne serait-ce qu’un prince même pas charmant. Je n’ai jamais vécu l’amour et je m’en porte très bien.» On insiste un peu, voulant savoir si elle a fait une croix sur le fait de rencontrer une personne à aimer.
«L’amitié est complètement sous-cotée. Les ami-e-s, c’est de l’amour aussi d’ailleurs. Moi qui ne supporte pas la solitude, je ne sais pas ce que je ferais sans mes ami-e-s.»
Chanter Bowie en chaussettes blanches
À ce propos, on a vu Zaho de Sagazan embrasser Greta Gerwig, la réalisatrice de Barbie. À l’ouverture du Festival de Cannes, la chanteuse a interprété Modern Love de David Bowie. Comment est-elle arrivée dans cette splendide galère? Et en chaussettes en plus? «Trois semaines avant le Festival de Cannes, on m’appelle: est-ce que ça vous dirait de faire l’ouverture de Cannes? Par contre, vous devez faire Modern Love. Je me dis: Merde, reprendre Bowie, ce n’était vraiment pas ce que je comptais faire. Déjà, c’est en anglais, c’est un monstre de la musique. Bref, je me disais: Qu'est-ce que je vais foutre à chanter Modern Love à Cannes? Et finalement, je ne pouvais pas refuser.»
Et puis, il y a Greta. Ce n’est pas rien, cette réalisatrice qui a fait exploser les compteurs avec Barbie, qui est aussi actrice et qui, dans le film Frances Ha, court sur la chanson de Bowie. «J’ai vu cette scène, j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui transperçait l’écran, et qui a à voir avec la liberté. Une femme qui ne se regarde pas, qui ne regarde pas les autres, qui profite de sa joie et qui la renvoie au monde. J’ai alors eu l’idée de fendre le public.»
La reprise de Bowie ne fait pas partie du répertoire de ses tournées, en tout cas pour l’instant. Elle a encore plus d’une trentaine de dates, on sent qu’elle ne s’en lasse pas. Un nouveau disque ce sera pour plus tard, elle fait les choses à son rythme, joyeuse de ce qui lui arrive, et pas si étonnée. Normal, elle fait naître les éclairs.