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Ombre et lumière

Mélanie Thierry: «J’ai mis du temps à me faire confiance»

WEB 09 FF Melanie photo Sabine Villiard

«J’ai mis du temps à me faire confiance. Il a fallu que je me nourrisse de ce que la vie me donnait pour être une meilleure actrice», raconte Mélanie Thierry.

© Sabine Villiard

On a prévu un rendez-vous téléphonique un vendredi à 17 heures. Mélanie Thierry a accepté une interview sur sa semaine de vacances, qu’elle passe en Bretagne. Sa voix semble venir de loin, on entend des grésillements qui ressemblent à des rafales de vent, comme si l’Atlantique s’invitait dans la conversation.

On a trente minutes à disposition, pile la durée d’un épisode de la série événement dont elle est l’un des personnages les plus bouleversants, En thérapie. Mélanie Thierry y joue Ariane, une chirurgienne tout en bottes, en larmes et en colère qui avoue l’amour qu’elle porte à son thérapeute. Ariane, dans la mythologie grecque, guide Thésée dans le labyrinthe du palais du Minotaure avant d’échouer, abandonnée, sur une île. Dans la fiction, elle entortille les fils de sa vie et de celle de son psy sur un canapé.

La série triomphe, chaque épisode diffusé sur Arte étant suivi par près de deux millions de personnes. Mélanie Thierry s’attendait-elle à un tel accueil? «On avait l’espoir de rencontrer le succès, répond-elle. L’adaptation de ce feuilleton israélien est un vrai tube à l’étranger, on se demandait l’écho qu’il aurait ici, on imaginait que ça pourrait intéresser le public.»

Echo à l'enfance

Au fil des épisodes, cinq personnages s’allongent sur un divan et racontent leurs tourments. Le récit se situe quatre jours après la tuerie du Bataclan, les traumatismes individuels qui s’exposent dans le cabinet du psy font écho à ceux que la France a traversés. La thérapie serait-elle de portée nationale?

«La série arrive à un moment où les gens ont besoin d’écoute, d’attention. Les salles de cinéma sont fermées, la télévision devient le lieu où virtuellement on se rencontre. La série est intelligente, elle fait écho à l’enfance, à la réminiscence. Elle donne envie de faire un travail sur soi, de se remettre en question.

Mais oui, bien sûr que les événements du Bataclan nous lient tous. Ce chapitre appartient désormais à notre histoire commune, nous sommes encore remplis de deuil, de chagrin. A ma connaissance, c’est la première fois que nous en parlons dans une œuvre de fiction.»

Sur une actrice aussi lumineuse, les ombres ont mis du temps à s’installer. Ses yeux rivalisent avec le ciel, sa peau nargue le soleil. Mélanie Thierry possède une telle présence physique que sur une image rien d’autre ou presque ne peut cohabiter. Depuis quelques années, l’amplitude de son jeu s’impose. Elle joue Marguerite Duras dans La douleur (2017), explose dans No man’s land, une autre série de grande qualité disponible sur Arte. En thérapie consacre sa virtuosité. Dans ses récents rôles, elle incarne des femmes fortes qui ne craignent pas de montrer leur vulnérabilité. Son visage et ses émotions sont à nu, mais on devine que s’y cache une part secrète, farouche. Ses cernes contredisent son sourire, et inversement. Faut-il attendre 40 ans pour avoir des rôles à la mesure de son talent?

«J’ai la sensation qu’il m’a fallu du temps pour me faire confiance. Il a fallu que je me nourrisse de ce que la vie me donnait pour être une meilleure actrice.

J’ai moins peur, maintenant je sais ce que je veux être et ce que je veux faire. Je suis plus en accord avec moi-même. Avant, l’exhibitionnisme qu’implique le travail d’actrice me donnait le vertige. Maintenant, je sais faire la part des choses.»

Et les personnages qu’elle est amenée à jouer? Y voit-elle là aussi un changement? «C’est vrai qu’on me propose des personnages plus complexes. Ça signifie sans doute que je me suis améliorée, que j’ai progressé. A un moment donné, il y avait quelque chose en moi qui se refusait et qui aujourd’hui sort du bois. Peut-être que je suis lente à la détente…

Je suis contente de voir qu’à 40 ans, c’est le moment où je me libère!»

Mélanie Thierry et le Jura

A ce stade de l’entretien, Mélanie Thierry allume une cigarette, on l’entend à sa respiration, on imagine qu’elle est installée sur un canapé justement, les jambes repliées sous elle, à regarder la mer. Elle connaît aussi la Suisse, elle y a joué un film en 2018, Le vent tourne.

L’histoire se passe dans le canton du Jura, elle incarne une femme qui défie son besoin de liberté sous les ailes bruyantes d’une éolienne, «un personnage qui renonce à beaucoup de choses, qui abîme les autres, y compris les personnes qu’elle aime.»

A-t-elle aimé la région? Le Jura? Le pays était magnifique, dit-elle. Elle y a séjourné quelque temps pendant le tournage, dans une ferme bio, située sur un lieu-dit, aux Enfers. De l’évoquer, elle rit. Vivre à la ferme, au milieu des vaches, l’a ramenée à son enfance. «On était très entourés, on veillait à ce que la vérité existe. J’ai aimé faire ce film qui parlait de la terre.» La réalisatrice, Bettina Oberli, est nominée aujourd’hui pour le Prix du cinéma suisse. Est-ce que Mélanie voit une différence à être dirigée par une femme plutôt que par un homme?

«C’est presque plus conflictuel avec une femme, raconte-t-elle. Le cinéma est un univers traditionnellement masculin, il y règne une certaine brusquerie. Une réalisatrice a besoin d’asseoir son autorité pour s’imposer. Ce n’était pas le cas de Bettina. Elle est aimante, sensible, attachante.»

Nouveaux projets, nouvel enchantement

On parle un peu des revendications féministes qui traversent le monde du cinéma. Elle les observe avec une attention tenace, constatant les changements réels, sachant aussi qu’il y a beaucoup de chemin à parcourir. Elle ne se prend pas la tête pour autant. Comme d’ailleurs avec cette nouvelle ultra-popularité.

«Vous savez, dit-elle, pour l’instant, avec le Covid, rien n’a changé, ma vie n’a pas changé. On se promène dans la rue avec un masque, les restaurants sont fermés. La série dure trois semaines, sur une vie ce n’est pas si long. J’ai juste monté une marche supplémentaire.

J’essaie de faire un cinéma qui me correspond, d’embellir un peu le monde.

Là, je viens de terminer des films avec des grammaires magnifiques, entre autres avec les frères Larrieu, c’était un enchantement.»

On revient à la série. Au divan du psy. Peut-être parce qu’ici, comme en Bretagne, le jour commence à tomber. Comment exprimer autant d’émotions le corps enfoncé dans un canapé? «Bertrand Tavernier disait de moi que j’étais une actrice de plein air. Pas tant que ça, finalement. Je n’ai pas pensé à la position de mon corps. J’ai dû travailler pour avoir ce rôle, passer des auditions, m’investir complètement dans le personnage, me l’accaparer, apprendre 350 pages de texte. C’est par les mots que le personnage est venu à moi.» On aurait envie de l’écouter encore, de continuer à se laisser guider par le fil de sa voix. Mélanie Thierry est notre Ariane.

Quand je serai grande...

«J’ai commencé à faire des photos à 12-13 ans. Je réalisais que ce monde était fascinant, à côté de ma banlieue. Je ne rêvais que d’une chose, pouvoir y appartenir.»

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