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Maryse Choisy, la reporter la plus casse-cou des Années folles

Maryse choisy la reporter la plus casse cou des annees folles VICTORIA DUCRUET

Afin que sa silhouette ne détonne pas trop parmi les moines, la jeune femme de 25 ans est allée jusqu’à s’infliger une opération à la mode chez les garçonnes de ces Années folles sur le déclin: l’ablation des seins.

© VICTORIA DUCRUET

C’est comme être enfermée vivante dans un cercueil, mais en plus étouffant. Maryse est cachée, immobile, à l’intérieur d’un matelas. La lumière du jour diffuse qui lui parvient est son seul lien tangible avec le monde extérieur. Elle a insisté elle-même pour que ça se passe comme ça, se faufiler entièrement dans un matelas qu’elle a préalablement évidé, puis laisser son complice recoudre le trou par lequel elle est entrée. Claustrophobie maximale.

Et puis ça bouge beaucoup, n’importe comment. La nausée l’accompagne durant de longues minutes. Mais le plan fonctionne. Les mouvements stoppent. Son compère découpe le tissu, elle se libère. Elle se redresse au milieu d’une pièce pleine de pénombre, se remplit les poumons d’un air sec et vicié dont il lui faut plusieurs bouffées pour retrouver son souffle. C’est fait: elle est la première femme à fouler le sol du monastère orthodoxe du mont Athos, en Grèce, l’un des lieux les plus mystérieux du monde.

Et pour cause. Tout ce qui possède un vagin y est strictement interdit, les rares hommes admis sont priés d’uriner devant témoin pour prouver la présence d’un pénis en bonne et due forme.

Maryse a tout prévu pour passer ces contrôles anatomiques impromptus. Elle s’est confectionné un faux zizi à partir d’un petit robinet souple, qu’elle a recouvert d’une gaze couleur chair. Si besoin, elle peut se soulager debout, avec tout le réalisme masculin requis.

Spécialiste de l'immersion

Surtout, afin que sa silhouette ne détonne pas trop parmi les moines, la jeune femme de 25 ans est allée jusqu’à s’infliger une opération à la mode chez les garçonnes de ces Années folles sur le déclin: l’ablation des seins. Elle prétend avoir choisi le meilleur chirurgien parisien pour cette intervention radicale. Son but? Documenter en mode sous-marin le fonctionnement et les mœurs du monastère vivant dans une sorte de dimension parallèle.

Elle espère renouveler l’exploit et l’originalité de son dernier travail, lorsqu’elle a passé un mois chez les prostituées parisiennes pour raconter leur quotidien et leurs conditions de travail. Son ouvrage consacré aux filles de prétendue petite vertu débordait d’humanité autant que d’anecdotes sulfureuses. 450 000 exemplaires s’étaient arrachés.

La journaliste spécialiste des reportages en immersion ne le sait pas encore, mais elle va bientôt également tirer un livre de cette expérience hors du commun au mont Athos: Un mois parmi les hommes, qu’elle fait paraître en 1929, récit hybride entre le documentaire et l’étude ethnographique.

Intello passionnée par l’autre

Dès sa sortie en librairie, on admire son audace, mais de nombreux scribouillards mâles ne peuvent s’empêcher de douter de la véracité de sa mastectomie. «Je vois la cicatrice à la naissance de la gorge», témoignera pourtant un journaliste bordelais qui l’interviewe en 1930. Maryse Choisy, pas capable de se couper les seins façon amazone? C’était mal connaître le personnage.

Voilà une décennie qu’elle multiplie les reportages chocs dans les angles morts de la société, explorant les professions féminines marginalisées, celles qu’on ne veut pas voir. Elle devient vendangeuse au milieu des années 20, puis réitère l’expérience en se faisant embaucher comme infirmière, mannequin, chauffeuse de taxi et… dompteuse de fauves.

Modèle maternel marquant

Après ses études à Cambridge puis sa thèse en philosophie sur les sagesses orientales, elle avait trouvé dans le reportage une façon de mêler ses passions, l’écriture et l’observation du monde. Et puis elle a le féminisme dans la peau, constatant que les filles de l’époque courent «à l’émancipation comme un païen déçu vers un nouveau Dieu, comme un dilettante blasé vers une volupté inédite, comme un enfant vers un jouet inconnu», écrit-elle en 1927.

Cet amour de la liberté teinté d’une sensation d’intense sororité, elle le doit à son enfance particulière, elle l’orpheline qui n’a jamais connu ses parents. Elle s’était souvent identifiée à sa tante, la comtesse de Brémont, qui fréquentait la fine fleur des intellectuels de la Belle Époque, et qui l’avait élevée. Elle avait toujours soupçonné que cette personnalité forte et indépendante était sa véritable génitrice et qu’on lui avait maquillé la vérité, ce que confirmera plus tard son biographe.

Dans les années 30, elle donne naissance à une fille, qu’elle nomme Colette, en hommage à son amie, la grande écrivaine. Femme affirmée de mère en fille et d’amie en amie, à l’écoute des autres femmes. Avec Maryse Choisy, le féminisme était irrémédiablement en marche.

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