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Femmes pionnières: Christine de Pizan, la liberté au bout de la plume

Naila Maiorana

Christine de Pizan, qui a posé les bases lointaines d'un féminisme à venir, a passé des années très dures avant de trouver sa place dans ce monde de la plume dominé par les hommes.

© Naila Maiorana

On ignore ce qu’aurait pensé Christine de Pizan du mouvement #MeToo. Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’en s’imposant comme première écrivaine de langue francophone et en refusant de souscrire à certaines opinions courantes au Moyen Age, cette gente dame hors normes a porté haut le débat sur la place de la femme dans la société et, à sa manière très personnelle, posé les bases lointaines d'un féminisme à venir.


Christine de Pizan dans son étude. © Wikimedia-commons

Tout commence dans l’enfance quand la petite Christine, née en 1364 dans une bonne famille, se met à manifester une appétence de savoir peu commune, pour le plus grand bonheur de son père, astrologue du roi Charles V, qui, pour le coup, se fait un devoir de la nourrir. Professeur de français médiéval à l’UNIL et auteur de plusieurs ouvrages consacrés à Christine de Pizan, Jean-Claude Mühlethaler confirme:

«Thomas de Pizan, qui était un être exceptionnel, a en effet veillé à ce que sa fille soit formée au mieux.»

Même si elle déplorera plus tard de ne pas en avoir appris plus, cette insatiable étudiante grandit donc tranquillement, entre livres à dévorer et composition de petites ballades. A 15 ans, initiée à la musique et à la poésie, elle parle italien, français et maîtrise assez de latin pour pouvoir se régaler d’ouvrages de philosophie, d’histoire ou de religion. Elle va maintenant pouvoir passer à l’étape suivante: le mariage.

En l’occurrence, conformément à la coutume, elle épouse l’homme que son père a choisi pour elle: Etienne de Castel. Peu fortuné mais bien né, le jouvenceau de 24 ans est exactement ce dont elle a besoin. Ce d’autant que les tourtereaux s’aiment d’amour tendre.

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La vie passe, toute en douceur(s). Mais voilà que soudain, le destin frappe: quelques mois après la mort du roi, qui les protégeait, son père puis son mari décèdent tour à tour. Nous sommes en 1389, elle a 25 ans.

Le choix de l’indépendance

Abattue, elle se trouve brutalement confrontée à de grosses difficultés juridiques et financières, son père et son cher Etienne ne s’étant pas montrés prévoyants. Vaille que vaille, elle décide pourtant de prendre sa vie en main et de ne pas faire ce qui est conforme aux mœurs de l’époque: entrer au couvent ou se remarier. A ce propos, elle écrit d'ailleurs dans son recueil Les Cent ballades:

«Seulete suy et seulete veuil estre.
Seulete m’a mon doulz ami laissiée.
Seulete suy, sans compaignon ne maistre!»

Son choix de solitude et d’indépendance n’est pas simple à assumer. D’abord en raison des pressions de la bonne société qui voit cette décision d’un très mauvais œil. Ensuite, à cause de sa condition financière.

«Veuve sans ressources, elle se retrouve face à des créanciers qui la harcèlent et sait qu’elle va devoir trouver un moyen de gagner de l’argent pour entretenir sa famille – soit ses trois enfants, sa mère et différents parents», note Jean-Claude Mühlethaler. Il souligne: «Elle prend alors une décision d’un courage extraordinaire: vivre de sa plume.» Du jamais-vu jusque-là.

«Tout en continuant à étudier passionnément l’histoire, les poètes anciens, les sciences morales et politiques, elle écrit de la poésie courtoise, commente le professeur. D’une part parce que c’est ce qu’on attend d’elle, d’autre part parce que c’est ce qui se vend le mieux. Parallèlement, autre geste particulièrement remarquable pour une femme seule en cette période, elle ouvre un atelier de copistes et d’enlumineurs (pour mémoire, l’imprimerie n’a pas encore été inventée et les livres sont manuscrits). Il n’empêche qu’elle passera des années très dures avant de trouver sa place dans ce monde de la plume dominé par les hommes.»


Christine de Pizan vue par une Youtubuseuse.

Des appuis haut placés

«Sa grande chance a été de rencontrer l’humaniste et recteur de l’Université de Paris Jean Gerson et de se lier d’amitié avec lui, poursuit Jean-Claude Mühlethaler. Il va en effet lui apporter son soutien et l’aider à s’insérer dans ce monde de clercs… jusqu’à ce qu’elle puisse devenir ce qu’elle appelle elle-même une clergesse.»

Le professeur reprend: «Vers 1400, elle prend un virage radical. Délaissant la poésie courtoise, elle se tourne vers une écriture qu’on peut qualifier d’engagée. Ainsi ses fameuses Epîtres sur le roman de la rose. En dénonçant et en fustigeant les propos misogynes de l’auteur Jean de Meung, elle suscite des polémiques folles entre pro et anti-de Meung. Loin de la desservir, ces débats lui valent de commencer à être prise au sérieux dans les milieux lettrés! Par ailleurs, dans le registre sérieux, on doit aussi signaler La cité des dames, véritable manifeste de défense des femmes, ou Le chemin de longue étude, où elle décrit comment elle est arrivée à la sagesse et est parvenue à devenir pratiquement une conseillère des princes.» Car oui, au fil des ans et de ses œuvres alternativement mystiques, philosophiques, moralistes et politiques, sa réputation a grandi. Au point que des membres de la famille royale, dont Charles VI ou la reine Isabeau de Bavière, séduits par son talent, sa religiosité et sa haute moralité, lui commandent des textes.


L'un des textes commandés à Chistine de Pizan dans son étude. © DR

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Malheureusement, en 1418, le destin la frappe à nouveau. Tandis que la guerre de Cent Ans fait rage, Paris est pris par les Bourguignons. Christine de Pizan doit s’enfuir. Elle trouve refuge «en une abbaye close» et ne fait plus parler d’elle. Neuf ans plus tard, elle sort de son silence et compose Le ditié de Jeanne d’Arc. Véritable ode à la Pucelle, «en qui elle peut se reconnaître», la clergesse y fait part de son admiration pour la bergère-guerrière et de son espoir quant à la réussite de son entreprise. Elle ne saura rien du fiasco de l’épopée arcesque puisqu’elle s’éteint en 1429.

Malgré son œuvre foisonnante, elle tombe petit à petit dans l’oubli. Elle restera sous le boisseau jusqu’aux années 1960, lorsque les mouvements féministes américains la redécouvrent, rendant à la première plume francophone de l’histoire son statut de femme d’exception.

Murasaki Shikibu, premier roman


Murasaki Shikibu, auteure du premier roman de l'histoire au sens contemporain du terme. ©Wikimedia-commons

Genre littéraire le plus répandu aujourd’hui, le roman a une généalogie un brin obscure. Si plusieurs textes rédigés durant l’Antiquité peuvent être qualifiés de tel (en particulier le Satyricon, de Pétrone), on estime que le premier roman au sens contemporain du terme a été écrit au XIe siècle par une femme, au Japon.

Déjà poète renommée à son époque, Murasaki Shikibu (973-1020 environ) composa une œuvre de fiction de 2000 pages et 54 chapitres, appelée Le dit du Genji, qui suit le parcours d’un prince impérial.

La dimension psychologique, étonnement riche pour l’époque, ainsi que le style fluide et épuré de l’auteure, participent à la modernité stupéfiante du livre. Shikibu a d’ailleurs une place de premier ordre dans le cœur des Japonais. Elle inspire artistes et poètes, faisant notamment l’objet d’une vaste iconographie.

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