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Dessinatrices de BD suisses: elles cartonnent!

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Léonie Bischoff (auteure du dessin ci-dessus et du superbe roman graphique Anaïs Nin: sur la mer des mensonges), Amélie Strobino, Vamille, Léandre Ackermann ou Maou... la Suisse romande déborde de talent!

© Léonie Bischoff / Casterman

Le 31 décembre 2020, Bernadette Després, créatrice des incontournables Tom-Tom et Nana, recevait titre français de Chevalier de la Légion d'honneur, pour les 56 ans de sa scintillante carrière. Quelques semaines plus tard, lors du fameux Festival d'Angoulême 2021, le prix de l'audace revenait à Gabrielle Piquet pour La Mécanique du sage. De son côté, l'artiste genevoise Léonie Bischoff se voyait décerner le prix du public, pour son magnifique roman graphique Anaïs Nin: sur la mer des mensonges. De ces récompenses bien méritées, on retient deux constats: les femmes BDistes ont consolidé leur place au soleil et les Suissesses ne font pas exception, atteignant un rayonnement international.

Il ne s'agit pas vraiment d'une surprise, en 2021, alors que les mentalités évoluent vers l'égalité. Rappelons toutefois que les créatrices de bandes dessinées ont longtemps dû se battre dans un univers historiquement dominé par les hommes. En 2016, aucune artiste féminine n'avait été nommée pour le Grand prix du festival d'Angoulême, qui s'était évidemment attiré les foudres des créatrices. En réponse à ces inégalités sont nés des collectifs destinés à souligner leur travail, tels que le fanzine suisse La Bûche, ou encore le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, fondé en 2015. L'actuelle visibilité n'était donc pas gagnée d'avance, ainsi qu'en témoigne l'histoire du neuvième art:

«Grâce au travail d’archives de l'historienne Jessica Kohn, on s’est rendu compte qu’à l’après-guerre, certaines femmes avaient travaillé sur de petits illustrés destinés aux jeunes filles, mais que ces créations n’avaient pas été sauvegardées, puisqu’elles étaient considérées comme moins intéressantes, relève Maëlys Tirehote Corbin, doctorante en sciences sociales à l'UNIL.

A la même époque, des femmes travaillaient aussi sur les illustrés pour garçons, très souvent pour leurs maris dessinateurs, et ne signaient pas les bandes dessinées de leur nom, alors qu’il leur arrivait de réaliser la majorité des dessins.»

Une totale injustice qu'on décèle malheureusement dans le passé de nombreux arts. D'ailleurs, aujourd'hui encore, certains stéréotypes subsistent: «On observe qu’une grande partie des autrices de bandes dessinées qui sont publiées le sont dans la catégorie jeunesse, poursuit notre experte, qui prépare actuellement une recherche au sujet des femmes dans la BD. Cela les renvoie à des compétences et des goûts qui seraient innés, automatiquement associés au genre féminin.»

Le progrès se dessine

Heureusement, les choses bougent, ainsi que le perçoit la dessinatrice Léonie Bischoff, qui applaudit notamment le nombre grandissant de créatrices, éditrices et jurys féminins dans le domaine de la bande dessinée - et pas seulement dans la catégorie jeunesse! «Je pense néanmoins que le plus gros obstacle, aujourd’hui, se situe au niveau de la représentation du travail des dessinatrices, déclare-t-elle. J'ai notamment vécu des mésaventures de sexisme ordinaire dans le cadre des festivals: on part du principe que je suis juste la compagne d’un dessinateur ou la coloriste… ça peut décourager certaines femmes de se rendre dans les festivals.

Personnellement, je m’assure toujours qu’il y aura au moins 30% d’auteures féminines présentes à un événement avant d’accepter d’y participer.»

Fanny Vaucher, illustratrice et co-créatrice du fanzine La Bûche, constate également une évolution positive, bien qu'il reste encore un bout de chemin à parcourir: «Depuis notre création, nous avons vu les choses avancer, à tel point que nous avons dû adapter notre petit texte descriptif, qui partait d’un constat plus négatif, pour mieux rendre compte des évolutions en marche, raconte-t-elle. Les acteurs hommes de ce milieu sont allés de l’avant avec nous et les différentes mobilisations de femmes leur ont fait prendre conscience de certains problèmes. Il n’empêche que certaines revendications doivent encore être beaucoup répétées et longuement expliquées avant d’entrer pour de bon dans les consciences, sans parler de les appliquer...» A noter que ce fanzine très apprécié, créé pour visibiliser les créatrices suisses, est devenu un important réseau et un espace de partage, rassemblant près d'une centaine d'artistes.

© Vamille - Dessin réalisé par l'illustratrice suisse Vamille, collaboratrice du fanzine La Bûche

Le délicat cliché du «style féminin»

Une fois que les femmes ne furent plus perçues comme étant uniquement des assistantes ou des coloristes, on s'est mis à stigmatiser leur coup de crayon: «Il existe une vision essentialiste selon laquelle les femmes possèderaient un style de bande dessinée typiquement féminin, explique Maëlys Tirehote Corbin. On a notamment parlé de BD girly. Ce style les cantonne à un genre moins prestigieux et sous-entendrait qu’elles ne seraient pas capables de réaliser une BD en dehors de ce genre.» Il s'agit évidemment d'un pur cliché:

«On ne peut pas homogénéiser les dessinatrices qui sont loin de se cantonner à un dessin au trait rond et aux tons pastel comme pourrait le faire penser l’appellation "BD féminine"», souligne la sociologue.

Même son de cloche pour Patrick Fuchs, doyen du Centre de formation professionnelle des Arts (CPF Arts) et de l'Ecole supérieure de bande dessinée et d'illustration Genève: «Quand on observe les travaux de nos étudiants, on ne constate, au niveau du style, quasiment aucune différence entre les dessins réalisés par les étudiantes et les étudiants, note-t-il. La nouvelle génération me semble affranchie de ce genre de clivage. D’ailleurs, je vois de plus en plus de bandes dessinées réalisées par des hommes qui auraient pu correspondre aux stéréotypes de la BD féminine, avec des dessins délicats, subtils et fins.»

D'ailleurs, l'Ecole supérieure de bande dessinée et d'illustration a toujours joui d’une belle parité, avec parfois une majorité de filles, dans certaines volées: «En 2021, la classe de première année compte 9 filles sur un total de 14 étudiants, précise Patrick Fuchs. Il en va de même pour l'équipe pédagogique: l'atelier bande dessinée se compose actuellement de deux femmes et d’un homme.»

© Léonie Bischoff, auteure d'Anaïs Nin: sur la mer des mensonges (Casterman)

À propos de ce fameux style féminin, Léonie Bischoff a beaucoup réfléchi, notamment en étudiant la vie d'Anaïs Nin, à laquelle on reprochait souvent d'être trop floue ou trop poétique - trop féminine, en somme: «On me demande encore parfois si j’écris comme une femme, explique la dessinatrice. Mon écriture est la mienne: elle reflète aussi la société dans laquelle j’ai été élevée, qui percevait encore des distinctions entre les hommes et les femmes. Mais je trouve cela de moins en moins naturel.

Oui, dans un premier temps il fallait que les artistes femmes se distinguent de la norme et se rebellent, mais ensuite, il faut parvenir à une notion plus universelle, qui ne fait plus cette distinction et qui analyse chaque voix non pas d'après son genre, mais pour sa singularité.»

Tout est dit. Les femmes sont là, mais elles ne veulent pas incarner uniquement de quotas. Lorsqu'on évoque les dessinatrices de bandes dessinées, on parlera de leur trait, de leur voix, de leur singularité, de leur humour, de leur univers, de tout ce qui les rend uniques et extraordinaires en tant qu'artistes.

4 illustratrices romandes et leurs univers

Vamille, 29 ans

«Mon style évolue tout le temps en fonction de mes envies, de mes inspirations...»

© Vamille


Installée à Fribourg, la jeune artiste dessine «depuis toute petite». Enfant, sans vraiment s'en rendre compte, elle créait déjà des histoires au crayon de papier, mais effaçait constamment les scènes dessinées, avant de créer la suivante. Visant plutôt le métier d'illustratrice, c'est tout naturellement que Vamille s'est dirigée vers la HEAD, à Genève, où elle a redécouvert l'envie de raconter des histoires en dessin, sous forme de BD. Aujourd'hui, ses créations colorées esquissent un univers enchanteur, très varié, peuplé de personnages attachants. Le propre de son style, c'est qu'il change tout le temps, selon ses coups de cœur, ses lectures, les techniques qu'elle souhaite tester. «Mes personnages et mes scénarios viennent souvent d’une toute petite chose, une phrase entendue quelque part, un documentaire ou de la musique», explique-t-elle.

Son message Girl Power: «Je pense qu’il faudrait arrêter de ranger les femmes dans une catégorie. A côté de ma pratique, je travaille dans une librairie spécialisée en BD et en ayant accès à un nombre incalculable d’ouvrages, je me rends compte de leur diversité. Le milieu de la BD est entraîné par ce qu’on appelle des grosses locomotives, des auteurs très connus, souvent des hommes, qui tendent à faire de l’ombre au reste. Bien souvent, quand on connaît peu ce milieu, on s’arrête là, ce qui est dommage. Alors que le reste est à portée de main, il suffit juste de poser la question à son/sa libraire!»

A lire: Bonjour / Bonsoir, Ed. La Joie de Lire, 2019

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Amélie Strobino, 28 ans

«La bande dessinée est une forme de langage essentiel pour moi, qui me permet d’entrer en relation avec les autres.»

Son style est audacieux, empreint de liberté, infusé de couleurs qui donnent envie de voyager et rappellent les fresques orangées et roses du crépuscule. Née à Genève et diplômée de la HEAD, Amélie Strobino est portée par une forte envie de raconter des histoires, de faire émerger les images de sa tête pour les mettre sur papier. Elle puise ses idées dans ses expériences de vie et sa fascination pour la nature: «Mon style peut varier d’univers très colorés à relativement sombres, de même que mes récits peuvent être plus ou moins ancrés dans le réel, décrit-elle. J’aime varier les outils et les techniques, principalement traditionnelles, car je suis très attachée à l’action de gribouiller sur le papier.»

Son message Girl Power: «J’ai parfois eu l’impression de ne pas avoir été retenue pour réaliser certains projets, considérés à tort comme étant des choses d’hommes, parce que j’étais une autrice. Je rencontre aussi parfois des personnes peu familières avec le monde de la bande
dessinée et qui s’étonnent encore que les autrices ne racontent pas que des histoires pour enfants. Mais j’ai l’impression qu’il y a récemment eu une prise de conscience dans la société, qui mène à de nettes améliorations dans ce domaine, par exemple le début d’une meilleure visibilisation des autrices.»

A lire: Son prochain album de bande dessinée en petit format, Serpents Diamants, à paraître chez Les Siffleurs en 2021

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© Les Siffleurs / Planche extraite du prochain album d'Amélie Strobino, publié chez Les Siffleurs en 2021

Léandre Ackermann, 32 ans

«Je me réjouis que les sujets féministes soient enfin abordés, tant sous la forme de bande dessinée que dans son milieu»

© Léandre Ackermann, Graphite, 2019

Née dans le Jura, cette talentueuse illustratrice est membre du collectif La Bûche, ainsi que du Collectif des créatrices de bandes dessinées contre le sexisme. L'envie de créer des BD l'accompagne depuis toujours, depuis qu'elle en a ouvert une pour la première fois. Encouragée par ses parents à se lancer «à fond» dans ce qui lui plait, elle signe sa première bande dessinée en 2015. De ses créations, on retient la virtuosité et la fluidité du trait, la variété des techniques, le réalisme des silhouettes. Si Léandre Ackermann se dit «incapable de définir son style», elle souligne une attention particulière aux attitudes des personnages, qui lui vient d'un sens de l'observation aiguisé. «Pour des histoires courtes, j'ai tendance à choisir une forme de narration avant de choisir mon sujet, ajoute-t-elle. J'aime les jeux narratifs et les contraintes inspirées de l'OuBaPo.»

Son message Girl Power: «Je me réjouis que les sujets féministes soient enfin abordés tant sous la forme de bande dessinée que dans son milieu. Le nombre de publications à ce sujet vient combler un manque. Cependant, je regretterais que les autrices ne soient une nouvelle fois cantonnées à ces sujets-là, qu'on ne les invite que pour parler de féminisme ou de la place des femmes dans la bande dessinée, par exemple... qu'on ne lise leur œuvres que sous cet angle et qu'on oublie toutes les autres caractéristiques de leur travail, tous les autres sujets qu'elles peuvent aborder ou même tous les autres aspects de leur identité. Toutefois, j'ai bon espoir, tout me semble aller dans la bonne direction.»

A lire: La première bande dessinée de Léandre Ackermann, L’Odyssée du microscopique, Ed. de La Boîte à Bulles, 2015

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Maou, 31 ans

«J'aime que mes dessins et mes personnages fassent rire les gens»

© Maou

Ses personnages sont, la plupart du temps des animaux; ils semblent vouloir s'échapper de la planche, tant leurs expressions et leurs mouvements sont dynamiques, inspirants. Et nous, on aimerait pouvoir plonger dans les dessins de Maou pour rencontrer ses protagonistes et rire, danser avec eux. Il est difficile de croire que la jeune artiste lausannoise soit tombée dans la BD presque par hasard, lorsqu'une amie l'a encouragée à participer au concours de dessin BDFIL. C'était le premier chapitre d'une très belle histoire. «Je m’inspire de ma vie quotidienne, des histoires que je vis et que j’ai envie de raconter. J'aime que mes dessins fassent rire les autres aussi.» La prochaine création de l'illustratrice? Une adaptation en BD du roman La Faute aux Loups, nouvelle manière d'exprimer sa créativité et de mettre en scène ses personnages.

Son message Girl Power: «J’ai eu la chance de commencer à faire de la BD lorsque La Bûche a été créée. Je pense que ça m'a permis de subir moins d'inégalités, car le fanzine est devenu un projet de très grande ampleur, qui a réellement contribué à rendre les autrices plus visibles, à leur ouvrir les portes de plus d'événements. J'ai entendu beaucoup d'histoires sexistes de la part d'autres illustratrices, mais je n'en ai pas ressenti personnellement. Aujourd'hui, je pense que les choses ont évolué.»

A lire: Le fanzine L'Expédition, Ed Piquée dans le pli, entièrement illustré et écrit par Maou, en 2018.

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