culture
Adèle Exarchopoulos: Ses confidences sur «L'amour ouf»
Depuis son inoubliable interprétation dans La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche en 2014, l’actrice attire tous les regards. Et pour cause, son jeu instinctif est terriblement envoûtant. Dans le film de Gilles Lellouche, elle est Jackie, une jeune femme dont la perte de sa maman lorsqu’elle était enfant a développé chez elle un sixième sens redoutable. Nous l’avons interviewée quelques jours avant la sortie du film, en salles depuis le 16 octobre 2024.
FEMINA Qu'est-ce qui vous a séduite dans le personnage de Jackie?
Adèle Exarchopoulos Je suis séduite par son habileté de voir des choses chez les gens qu’eux-mêmes ne voient pas, peut-être parce qu’elle a perdu sa maman très jeune. J’aime aussi cette relation fusionnelle avec son papa (ndlr. incarné par Alain Chabat), qui tente par tous les moyens de remplir tous les rôles et de lui apporter toute sa tendresse. Jackie est une personne à la fois extrêmement lucide et romantique. Cet absolu dépasse le personnage en lui-même: il s’agit d’une histoire d’amour assez forte pour bouleverser deux vies et deux personnes.
De quoi ou quelle situation vous êtes-vous inspirée pour ce rôle très complexe?
Tout vient de l’écriture, vraiment. En fait, pour moi, l’histoire de Jackie commence au moment où elle perd sa maman et cet instant précis durant sa scolarité où elle rencontre son premier amour qui va la déterminer. Je pense qu'on a tous un premier amour qui nous détermine dans le bon, comme dans le mauvais. Le premier amour est une croyance, dans le sens où l’on y croit selon la manière dont il nous est apporté.
Comment la définissez-vous, justement, l’écriture de Gilles Lellouche?
Elle se trame sur le fond des années 80. C’est un film collectif dans lequel tout a son importance: la musique, les costumes, les cabines téléphoniques. Son écriture est romantique, il parle de l’absence d’une mère, d’un père extrêmement présent, puis Clotaire qui vient bouleverser la vie de Jackie. Un jour pendant le tournage, nous courions sur le quai pour nous rendre à Lille. En chemin, j’ai compris qu’on allait tourner une scène que je n’avais pas apprise, je m’apprêtais à la lire dans le train. François Civil (ndlr. Clotaire dans le film) m’a dit: «Ne t’inquiète pas, tout ce qu’il te suffit, c’est d’aimer Clotaire». J’ai trouvé sa réaction brillante car il est vrai que ce qui détermine Jackie à ce moment de sa vie, c’est de s’inquiéter pour lui, c’est son amour pour lui et son désir qu’il fasse les bons choix.
Peut-on insuffler de la poésie dans la banalité du quotidien, même quand celui-ci est dur?
Oui, je pense au papa de Jackie qui souhaite à tout prix combler le vide immense dans son cœur et celui de sa fille dans leur nouvelle maison. C’est dans ces moments-là que l’excellence de l’écriture de Gilles Lellouche résonne dans toute sa puissance. Il y a cette scène où il renonce à cuisiner un super plat à sa fille, car il voit que ce qui lui ferait vraiment plaisir, c’est une pizza congelée. L’infinie tendresse de ces instants résultent de l’interprétation et de l’écriture magiques d’Alain Chabat et du réalisateur.
Alain Chabat campe en effet un papa incroyable…
Un papa exceptionnel, oui. À tel point que j’aurais voulu qu’il m'adopte!
Qu’est-ce qui selon vous, relie tous les personnages du film?
Je pense que c’est leur dignité. La maman de Clotaire (ndlr. interprété par Élodie Bouchez) a cet amour inconditionnel en elle, elle essaie d'apporter de la douceur dans un foyer complètement dysfonctionnel, fracturé d’une part par la précarité et la délinquance de ses enfants et, d’autre part, par l'essoufflement et l'épuisement physique de son mari (ndlr. Karim Leklou), C’est un taiseux qui a perdu sa douceur, abîmé par la vie.
Rien pourtant ne semble réunir Jackie et Clotaire au départ…
Tous deux viennent d'une classe sociale extrêmement différente, cela m’a beaucoup plu. Le personnage de Clotaire est enfermé dans une forme de déterminisme et tente d'en sortir à travers cet amour-là.
On les voit s’aimer, puis s’éloigner…
Ils vivent un amour à la fois viscéral et destructeur. On voit Clotaire prendre la mauvaise route, s’entourer des mauvaises personnes. En somme, la vie tout entière est une histoire de choix. Savoir saisir sa chance est aussi une chance, que tout le monde n’est pas prêt à s’offrir.
Avez-vous vécu des expériences similaires lorsque vous étiez adolescente?
Je me suis forcément inspirée de mes premiers ressentis. Il y a quelque chose de fatal dans un premier amour, on a l'impression que ça va durer toute la vie et qu'on ne sera jamais déçu. Quand il s'arrête, on a l'impression qu'il ne sera jamais remplaçable et que l’on va mourir de chagrin.
Hormis le personnage que vous incarnez, qu’avez-vous aimé dans cette histoire?
Quoi de mieux que l’amour pour créer un lien entre les gens?
Vous êtes née en 1993, que représentent les années 80 à vos yeux?
J’ai vécu cette décennie par le biais de la musique qu’écoutaient mes parents. Au-delà des années 80, l’histoire relate cette phase d'insouciance de l’enfance et de l’adolescence. Ce besoin de sécher les cours sans en avoir rien à foutre de savoir qu’on sera punie plus tard. L’aventure à cet âge-là, elle se passe loin de l’école. Il me semble qu’on communiquait plus dans les années 80. Actuellement, on consomme tout tellement vite, les sentiments, l'amour, le sexe. À l’époque, j’ai l’impression qu’il y avait encore des rendez-vous, des mots. Et un romantisme dû au fait qu’on était obligé d’être patient.
On zappait moins?
Avant les applications, peut-être qu'on avait moins le choix de trier très vite. On consommait différemment.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous êtes maman?
Avoir un enfant fait perdre une forme d'insouciance et d'innocence. En devenant responsable, on se met à côtoyer la peur. En même temps, contempler le monde dans les yeux de mon enfant a fait ressurgir une grande part d'innocence à travers nos discussions et ses questions.
Quel lien entretenez-vous avec l'enfant que vous étiez?
Là aussi, je pense que c’est l'innocence, puis l'insouciance. Cette envie de vivre les choses sans avoir conscience de la fin. Je n'aime pas les fins. Après une belle fête, j'ai un peu l'angoisse du soleil qui se lève. J’ai aussi gardé l’effet de groupe de mon enfance. Je tiens à mes amitiés depuis que je suis petite, c'est quelque chose qui compte énormément pour moi.
Vous les entretenez beaucoup?
Oui, sincèrement, mes amis c’est mon repère.
Qu'est-ce vous a donné l’envie de devenir actrice quand vous étiez jeune?
J’ai été repérée par une directrice de casting à un cours d’improvisation auquel je m’étais inscrite adolescente. Ce qui m’a amenée à réussir un casting pour un court métrage. Je me rappelle du coup de fil surexcité à mon père pour lui dire: il y a des gens pour qui jouer est un métier! J’adorais voir des films, mais je n’y pensais pas pour moi jusqu’au moment où j’ai frôlé ce pur plaisir du jeu. Ensuite, j’ai croisé Abdellatif Kechiche (ndlr. le réalisateur de La Vie d’Adèle), qui a bouleversé ce désir de jouer chez moi. Une porte s’est ouverte à ce moment précis de ma vie.
Comment choisissez-vous vos rôles?
Avec le cœur. J'ai tenté la stratégie et le calcul, ça n'a jamais fonctionné pour moi.
Quel est le film dont vous êtes le plus fière?
J'ai la chance d'en avoir quelques-uns, alors que c'est rare les chances d’avoir plusieurs grands rôles. Je dirais Rien à foutre (2021) d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, Je verrai toujours vos visages (2023) de Jeanne Herry et L’amour ouf.
Qu'est-ce qui vous rend particulièrement fière de L’amour ouf?
De faire un film d'amour quand le monde en manque cruellement. Aussi, je suis fière de me retrouver dans un casting d’une telle qualité.
Élodie Bouchez (la maman de Clotaire dans le film) est bouleversante dans ce film. Il y a cette scène incroyable où vous vous rencontrez.
On lui doit cette scène, sincèrement. Elle est arrivée sur le plateau et a mis tout le monde en larmes en une seule prise. Tout le monde l’a applaudie. Elle a cette manière qui n’appartient qu’à elle, quand je lui demande comment va son fils, de répondre «je ne sais pas», avec un sourire et les larmes aux yeux. Élodie Bouchez a une dignité naturelle assez impressionnante.
Y a-t-il un film que vous rêveriez de faire?
C'est une bonne question... En fait, il y en a plein. Je suis attirée par ce que je ne connais pas encore, tout ce qui est inconnu, J’ai envie de naviguer entre les genres et j'aime autant la comédie que le drame.
Où se trouve le César du meilleur espoir que vous avez eu pour votre rôle dans La vie d’Adèle en 2014?
Il est là où tout a commencé. Chez mes parents, je ne sais même pas exactement où. C'est toujours agréable de savoir que mes parents sont fiers de moi, même si j'espère qu'ils le sont plus dans la vie qu'au cinéma. Ce dont je ne doute pas.
Comment est reçu le film depuis sa sortie?
Je reçois de très beaux messages depuis les avant-premières, comme «j'ai envie de tomber amoureux», «j'ai eu envie de rappeler mon ex», «j'ai envie de voir ma maman». Ce type de messages, c'est le plus beau des cadeaux.
L’amour ouf, de Gilles Lellouche, en salles, avec Adèle Exarchopoulos, François Civil, Malik Frikah, Mallory Wanecque, Alain Chabat, Élodie Bouchez, Vincent Lacoste...
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