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Fashion Crise

S’habiller au temps du Covid: lorsque la crise bouleverse nos habitudes

S’habiller au temps du Covid: lorsque la crise bouleverse nos habitudes

Le principe d’un dressing minimaliste? Miser sur 20 à 30 vêtements que l’on mixe les uns aux autres.

© Stocksy / MartiSans

«Je n’avais pas réalisé que j’avais autant de vêtements, confie Sophie, 29 ans, abasourdie. J’ai profité de passer plus de temps chez moi pour tout trier. Je n’en revenais pas, j’ai même trouvé des fringues qui avaient encore l’étiquette, je ne les avais jamais portées! Je ne me souvenais même pas de les avoir achetées. Ça m’a vaccinée pour un moment, je ne suis pas prête à repasser une commande sur Zalando…» Comme la jeune habitante du Jura bernois, nous sommes nombreux à avoir repensé notre consommation de vêtements durant le semi-confinement. «Cette situation nous a permis de reconsidérer ce dont nous avions besoin, constate Katia Vladimirova, collaboratrice scientifique à l’Université de Genève et spécialiste des questions de mode et de développement durable. Ce mouvement était déjà en marche avant, mais nos récentes recherches démontrent qu’il a pris davantage d’ampleur avec la crise du Covid-19.»

«Cela s’inscrit dans une mouvance minimaliste, slow fashion, voire zéro déchet.»

Aux Etats-Unis, le géant de l’e-shopping de luxe Net-A-Porter a ainsi vu émerger une nouvelle tendance en analysant ses ventes durant le confinement. «Les consommateurs se tournent vers des pièces iconiques qui durent dans le temps, ils achètent aujourd’hui pour les porter toute la vie», a expliqué Libby Page, Fashion Market Editor, au magazine Harper’s Bazaar. Feu de paille ou véritable changement de paradigme? Pour Katia Vladimirova, le futur de la mode prend les couleurs de tenues plus durables, plus intemporelles, qui s’affranchissent des nouvelles collections et des saisons. «Les gens se tourneront de plus en plus vers des vêtements de meilleure qualité qu’ils paient plus cher, oui, mais qu’ils porteront bien plus longtemps, décrypte la spécialiste. Ils favoriseront les pièces qui se combinent les unes avec les autres, à l’image d’une garde-robe «capsule».»

Les jeunes ouvrent la voie

Le principe d’un dressing minimaliste? Miser sur 20 à 30 vêtements que l’on mixe les uns aux autres. Aline Mettan, créatrice du site internet Be Chic Be Ethic, a mis en place un programme en ligne permettant à chacun d’y parvenir et d’obtenir une garde-robe plus éthique. «Pour autant, je ne conseille pas de tout jeter et de se tenir uniquement à un nombre aussi restreint, tempère-t-elle. L’idée, c’est plutôt de trier ses vêtements, puis de se poser plusieurs questions avant d’en acheter de nouveaux: cette chemise correspond-elle vraiment à une envie? Va-t-elle me faire plaisir sur le long terme? Correspond-elle à mes valeurs?» Avec ce système, le placard de la Fribourgeoise de 33 ans s’est drastiquement restreint. «Changer sa façon de se procurer des vêtements, c’est pareil qu’avec la nourriture: on se tourne vers des aliments qui ont du goût, des nutriments. Là on choisit des pulls et des chaussures qui nous nourrissent, qui nous font du bien émotionnellement et dans lesquels on se sent à l’aise. Les vêtements, ça n’est pas si futile que ça: ils nous accompagnent toute la journée. Cela a un impact sur notre moral, notre bien-être», poursuit la jeune femme qui détient un master en management de la mode.

Une tendance d’autant plus dans l’air du temps qu’il est devenu totalement dépassé de considérer le shopping comme un hobby, une façon d’occuper son samedi après-midi. «Il y a eu une période où le fait de pouvoir s’acheter beaucoup de choses, d’avoir les dernières fringues à la mode était une façon de montrer son statut, analyse Aline Mettan. Mais désormais, c’est être minimaliste et penser à la planète qui est tendance. Et les jeunes nous ouvrent la voie: ils se posent énormément de questions, beaucoup plus que moi à leur âge.» Toutefois, résister à l’appel de cette petite jupe plissée pastel ou ce top à volants n’est pas évident. «La mode est une industrie du désir, rappelle Sophie Odic, responsable du bureau de style français O-di-C. Le consommateur est sans cesse tiraillé entre ce besoin d’avoir quelque chose de nouveau et cette nécessité de se tourner vers des produits plus écologiques et durables. L’industrie dans son ensemble doit se réinventer, la crise n’a fait qu’accentuer ce que l’on pressentait déjà depuis un certain temps. Le système est intenable, et il nous met tous en péril.»

Penser au Bangladesh

La fashion revolution devra passer par les grands groupes, car ces derniers ont une responsabilité énorme dans la situation actuelle. «Les marques se sont très vite lancées dans une véritable guerre des rabais en ligne puis dans les magasins, sur un ton souvent jubilatoire, observe Géraldine Viret, responsable médias de l’organisation Public Eye. Elles ont des stocks à écouler. Cette attitude est extrêmement cynique étant donné la crise que nous traversons. Car en Inde comme au Bangladesh, énormément de gens qui travaillaient dans l’industrie textile se demandent s’ils vont avoir à manger aujourd’hui.» Dès le début de la crise sanitaire et des premiers magasins fermés en Occident, les marques ont annulé très rapidement des commandes auprès de leurs fournisseurs.

«On parle de plusieurs milliards en quelques semaines, poursuit l’experte. Sur place, les usines travaillent avec des marges extrêmement faibles, elles n’ont pas les reins assez solides pour faire face. Annuler ces commandes, rééchelonner les paiements et refuser d’avoir du stock: les grands groupes ont agi de manière totalement irresponsable, plongeant des millions de travailleuses dans une misère très forte.»

La solution serait-elle de consommer davantage de vêtements, d’acheter encore plus de fast fashion pour soutenir ces ouvrières? «Au contraire: la surconsommation ne nourrit pas le Bangladesh, martèle Géraldine Viret. Ce n’est pas parce que l’on achète davantage que les travailleuses gagnent mieux leur vie, c’est une promesse mensongère. Il faut qu’il y ait une remise en question complète du modèle d’affaires de l’industrie textile. Les prix d’achat auprès des fournisseurs sont beaucoup trop bas, ils ne prennent pas du tout en compte le coût social et environnemental du travail.» Amancio Ortega, le patron d’Inditex (groupe qui détient notamment Zara) est à la tête d’une fortune de 67 milliards de dollars. Pendant des années, il a été considéré comme l’homme le plus riche du monde. «S’il redistribuait ne serait-ce qu’une infime partie de sa fortune pour améliorer la santé et la sécurité de celles qui fabriquent ses vêtements, vous imaginez la différence que cela pourrait faire?» interroge Katia Vladimirova.

«La fast fashion est un système qui a été érigé pour qu’une poignée de propriétaires et d’actionnaires amassent un maximum d’argent, au détriment de millions de travailleuses.»

Katia Vladimirova

Collaboratrice scientifique à l’Université de Genève

Malgré tous leurs défauts, H&M, Pull & Bear et consorts permettent aux petits budgets de se vêtir convenablement, sans devoir économiser des mois avant de pouvoir s’offrir un nouveau jeans. Démocratiser les styles? Pari tenu pour la mode jetable. «Grâce à elle, les classes populaires ont pu s’acheter des vêtements magnifiques, souligne Katia Vladimirova. Lorsque l’on sait l’importance que revêt le fait de se présenter à un entretien d’embauche avec un costard ou un tailleur, cela ne peut pas être considéré à la légère. La transition vers une mode durable aura des répercussions sociales importantes.» Pour autant, des solutions «budgets serrés» ne cessent de se développer. «Les consommateurs s’orientent toujours davantage vers le seconde main et la location de vêtements», constate Sophie Odic.

«Ces solutions nous permettent d’assouvir nos envies de nouveauté, de renouvellement tout en freinant la production de nouvelles pièces. Ce sont d’excellentes alternatives qui ne génèrent pas d’impact négatif sur notre écosystème.»

Le designer tessinois Rafael Kouto a préféré tracer une troisième voie: l’upcycling. Celui qui a raflé le Prix suisse de design (catégorie design de mode et textile) en 2018 et 2019 crée de nouvelles pièces à partir de vêtements qui existent déjà. Durant la pandémie, le créateur a mis en place des formations online pour aider chacune et chacun à redonner vie à un blazer fatigué ou une jupe dont l’imprimé ne nous convenait plus. «Je perçois les vêtements comme des objets vivants qui grandissent et changent dans le temps», confie cet adepte de slow fashion. Inspiré par la culture africaine, son atelier zurichois est ouvert aux curieux, car Rafael Kouto aime travailler dans une transparence absolue: «Assister à toutes les étapes de production redonne de la valeur aux vêtements.» Durant la crise, il a constaté un regain d’intérêt pour ses créations de la part de sa clientèle suisse. «Passer davantage de temps dans son pays a eu des bons côtés: cela nous a donné l’occasion de connaître les artisans qui sont actifs près de chez nous. J’espère que l’on assistera à un boum de la production locale!»

Le basique n’est pas triste

Pour permettre de consommer davantage «made in Switerland», un soutien des politiques demeure essentiel pour Katia Vladimirova. «Les choses bougent malheureusement très lentement dans ce domaine, déplore la spécialiste en mode durable. Mais l’un des leviers les plus simples à actionner serait de créer de meilleures conditions de travail pour les designers locaux et pour les ateliers de couture et de réparation. Pour l’heure, leurs prix ne sont pas compétitifs: si cela coûte 30 fr. de faire recoudre l’ourlet de sa chemise, le consommateur préférera simplement en acheter une nouvelle pour le même prix.» Avec succès, la Suède a mis en place un système d'aide: le gouvernement a levé toutes les taxes pesant sur les indépendants du secteur. «Cela est ainsi devenu très bon marché de faire appel à une couturière, observe Katia Vladimirova. Et pour les artisans, leur travail est plus rémunérateur, ils peuvent désormais obtenir un salaire correct.»

Reste une question: avec la mode «à la Greta» qui privilégie les basiques et les vêtements qui durent, tuera-t-on l’inventivité? Sera-t-on tous habillés pareil? «Non, je ne pense pas, tranche Rafael Kouto. Cela va donner envie aux gens de se personnaliser davantage, de chercher des pièces qui refléteront au mieux leur identité.» Même son de dé à coudre du côté d’Aline Mettan: «Basique ne rime pas avec tristesse! Et si quelque chose d’original nous plaît vraiment, autant l’acheter. On va peut-être le garder 20 ans et le porter très régulièrement, même s’il s’agit d’un blazer jaune ou d’une minijupe multicolore.»

«La promesse de la fast fashion, c’était de pouvoir nous rendre chacun unique, note Katia Vladimirova. Il y a certes d’innombrables options, mais elles sont toutes plus ou moins les mêmes. Dans les années 60, 70, 80, les gens faisaient preuve de bien plus d’inventivité pour se vêtir.» Se tourner vers une mode durable, ce n’est pas porter uniquement des tops noirs ou blancs.

«Il y a énormément de possibilités totalement tendance, sexy et locales disponibles aujourd’hui», s’enthousiasme l’experte.

Mode online et durable: 3 questions à Nicholas Hänny

CEO et fondateur de l’entreprise suisse écoresponsable Nikin

FEMINA Les gens ont-ils continué de passer commande sur votre site durant le confinement?
Nicholas Hänny Oui, certains s’y sont même mis pour la première fois. Et cela est parti pour durer: le commerce en ligne prendra le pas sur l’achat de vêtements en boutique à l’avenir, selon moi. Les commandes ont baissé après l’annonce de la «situation exceptionnelle», puis elles ont repris. Mais rien de comparable à ce que vivent Digitec et compagnie, qui ont connu des pics semblables à la période de Noël.

Les consommateurs sont-ils de plus en plus sensibles à la mode durable?
Absolument! Les gens sont désormais mieux informés, ils posent des questions sur les matériaux, achètent de façon plus consciente. Lorsque nous avons commencé l’aventure, en 2016, il n’était pas facile de convaincre les fournisseurs de travailler avec des matériaux plus durables tels que le coton bio. Désormais, le mouvement a également atteint les fabricants. En 2019, alors que nous étions présents à l’ISPO de Munich (salon international de l’industrie du sport), nous avons constaté qu’un stand sur deux était estampillé «durable», «recyclé» ou «bio».

Le mouvement «acheter moins mais mieux» est-il perceptible en Suisse?
La tendance n’est pas encore tout à fait présente. Mais celle-ci est mondiale, elle finira par s’implanter dans notre pays aussi. Du moins nous l’espérons! C’est encourageant de constater que des marques durables, comme Nudie Jeans (firme suédoise travaillant avec des toiles de denim bio), gagnent en popularité. De notre côté, nous cherchons toujours à fabriquer des vêtements les plus qualitatifs possible afin que les consommateurs puissent les conserver très longtemps. Mais nous voulons aller encore plus loin, nous planchons actuellement sur un projet de réparations gratuites.

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