Tendance
Pourquoi les femmes optent pour des grandes lunettes
La chose ne vous a probablement pas échappé: au travail, dans le train, dans les boutiques, un je-ne-sais-quoi vous donne l’impression d’avoir voyagé dans le temps. Dans les années 60, par exemple. Un peu comme si vous croisiez des Jane Birkin et des Jacqueline Bisset partout. Ça y est, vous y êtes: les lunettes! Comme ces illustres actrices en leur temps, de plus en plus de femmes font aujourd’hui le choix de montures et d’optiques oversize pour des lunettes de vue du quotidien.
Rectangulaires, carrées ou rondes, en 2024, les bésicles féminines se la jouent en mode XXL. La tendance est si spectaculaire que le New York Times y consacrait récemment un papier. Et le phénomène est d’autant plus étonnant que ces grands verres ont, pendant des décennies, déserté les visages. C’est en effet durant les années 60 que les grandes lunettes se sont invitées en force. De Jacqueline Onassis à Maria Callas, en passant par Janis Joplin ou Brigitte Bardot, les montures oversize ont émergé durant une décennie synonyme de révolution culturelle, manière de faire éclater l’étroitesse des normes et des conventions.
De Beyoncé à Jennifer Coolidge
«Cette tendance s’inscrivait au départ dans un esprit collectif cultivant la joie et la critique de la bourgeoisie, c’était une évidente contestation du formalisme», analyse Elizabeth Fischer, professeure et responsable du département Design mode, bijou et accessoires à la Haute école d’arts et de design (HEAD) de Genève. La mode a perduré durant les années 70, avant de connaître un certain déclin avec l’arrivée de la décennie 80 et ses montures métalliques moins enclines à l’exubérance.
Pourtant, dès les années 2010, un regain d’intérêt pour les grosses lunettes s’est manifesté sur les tapis rouges. Beyoncé, Anne Hathaway, Mia Goth ou encore Jennifer Coolidge se sont réapproprié l’imposante coolitude des verres grand format. Comment expliquer cette résurrection opticienne? Au-delà d’un véritable engouement pour tout ce qui est rétro, on cherche aussi à faire passer un message.
Je vois tout, donc je suis
Au cinéma comme dans les séries, les lorgnons ont en effet longtemps servi à caractériser les personnages féminins censés être coincés, ennuyeux, ringards ou carrément moches, à l’image d’Ugly Betty, pour qui la véritable naissance sociale ne peut intervenir qu’en remisant leurs gros verres au placard. Le revival des imposantes montures a sans doute, comme dans les années 60 et 70, quelque chose de l’ordre de la prise de pouvoir dans un monde aux relents toujours un peu patriarcaux, et dans une atmosphère de réaffirmation des valeurs masculines traditionnelles.
Car si elles furent souvent associées à la timidité, les lunettes accompagnent également le cliché de l’intello, de la personne brillante et concentrée sur ce qui l’entoure. De grands verres invitent à prendre leur propriétaire au sérieux, dont les yeux bénéficient d’un vaste champ de vision. Dans un podcast datant de 2021, Paris Hilton confiait que porter d’imposants binocles l’avait aidée à prendre davantage confiance en elle.
«Dans la mode féminine récente, on voit qu’on ose davantage casser le côté délicat, fin, souvent associé au féminin, en allant vers de grands accessoires. De grosses sneakers, de grosses bagues, de grosses lunettes… Il y a là une certaine logique.» Une forme de microféminisme, les verres géants? Visiblement.