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Pourquoi aime-t-on de moins en moins la lingerie coquine?

Pourquoi aime t on moins lingerie coquine

Les femmes plébiscitent actuellement la culotte (qui au passage fêtait ses 100 ans en 2018), le shorty, les matières élastiques ou lisses comme le coton, et, côté couleurs, plutôt le rose dragée, le bleu arctique et le nude. C’est plus organique, mieux adapté aux différentes morphologies, beaucoup plus confortable aussi.

© Analise Benevides / Unsplash

Le porte-jarretelles façon pin-up de calendrier? Bientôt une pièce de musée. Le string dentelle rouge passion? Une relique de fond de tiroir. Le Wonderbra explosif censé aimanter le regard des mâles? Un slogan qui fait mal aux oreilles. Depuis plusieurs mois, le phénomène est indéniable: la lingerie féminine ultrasexy n’a plus la cote, les empires iconiques du frou-frou sont en déroute, les ventes s’essoufflent, les consommateurs grimacent.

Preuve que le marché des dessous affriolants ne tient plus qu’à un fil, Victoria’s Secret, l’une des locomotives du marché, a connu son annus horribilis en 2018. Après des années d’euphorie financière, de files indiennes de top-modèles à plumes se pavanant sur les catwalks et de shows planétaires mégalos, les fameux anges ont pris du plomb dans l’aile: sérieux recul des ventes depuis mai dernier, démission de la PDG Jan Singer cet automne après un dérapage sexiste autour de la notion de fantasme…

Du frisson à la nausée

Jusqu’à cette enquête réalisée par la banque américaine Wells Fargo montrant que 68% des gens apprécient moins la marque que par le passé.

Deux égéries stars, Alessandra Ambrosio et Adriana Lima, ont d’ailleurs poliment quitté le navire, flairant peut-être que l’entreprise n’était plus complètement raccord avec le mood actuel. Même déconfiture pour sa filiale Pink, dont la mission était pourtant de séduire les plus jeunes. Un autre géant, Van de Velde, fédérant plusieurs enseignes de la lingerie traditionnelle, a vu son bénéfice net chuter de quelque 25% en 2018.

Autant dire qu’il s’agit d’un brutal retour d’élastique pour ces maisons qui prospéraient encore au milieu de la décennie.

«Les marques qui ont surfé durant des années sur le sexy, le glamour, voire l’érotique, sont celles qui sont aujourd’hui au plus mal, constate Cécile Vivier, directrice marketing du Salon international de la lingerie, à Paris. Ce rejet d’une imagerie très sexualisée a commencé chez les millennials avant de toucher toutes les générations.»

Mais pourquoi ce virage en épingle? «Le scandale Weinstein, puis les mouvements #MeToo ou #BalanceTonPorc ont clairement modifié notre sensibilité face à de telles représentations des femmes, note Elizabeth Fischer, professeure à la HEAD, la Haute Ecole d’art et de design de Genève, et responsable du Département design, mode et accessoires. Pour de nombreuses personnes, la lingerie occidentale classique est une marque de la soumission féminine.» Toutefois, tout le monde n’en est apparemment pas encore conscient.

Fantasme à ciel ouvert

En décembre dernier, Aubade, célèbre pour ses très sensuelles campagnes et ses mannequins dépersonnalisés, souvent réduits à une anatomie sans tête, plaquait une affiche géante en plein Paris: une paire de fesses féminines de 10 mètres sur 10 dominait les grands boulevards depuis la façade des Galeries Lafayette. Rapidement, le malaise est palpable.

La polémique enfle dans les médias comme sur les réseaux sociaux et Aubade finit par cacher ce popotin en dentelle que l’époque ne saurait voir. Car ce type d’iconographie, déjà controversé dans le passé, fait désormais figure d’erreur de communication, selon Cécile Vivier. «Ce genre de lingerie très sexy inspire de plus en plus une certaine gêne dans l’opinion publique.»

Au point que la légendaire Chantal Thomass a également décidé d’arrêter ses activités dans la lingerie fin 2018, pour se tourner vers le design. Au-delà d’une possible lassitude après des décennies à œuvrer dans ce secteur, il y a peut-être aussi la prise en compte, lucide, d’un changement dans la société, avance Elizabeth Fischer: «Elle était positionnée dans un registre très spécifique, qui a eu du succès, mais qui est peut-être moins apprécié par les nouvelles générations.»

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La chasse au «mâle gaze»

Reste que l’ère #MeToo n’a pas inventé la roue. «Elle a plutôt accéléré et amplifié des mouvements qui existaient depuis quelques années sur la Toile, ceux du body positive et de la lutte contre le sexisme, fait remarquer Arnaud Dufour, professeur de marketing digital à la HEIG-VD. Réseaux sociaux, médias en ligne et forums offrent un lieu d’échange vecteur de militantisme, qui devient un puissant moyen de pression sur les marques.»

Parmi les premières cibles attaquées, le male gaze, le conditionnement par le regard masculin, qui tend à vouloir hypersexualiser tout ce qui tourne autour d’un corps de femme. La lingerie, jusqu’ici majoritairement vouée à émoustiller Monsieur, fait figure de bastion historique de l’objectivation sexuelle pour le seul plaisir de l’œil et de l’imaginaire collectif mâle.

Des goûts et des clichés

En 2014, une enquête du site 1001dessous.com mettait ainsi en lumière les préférences très glamour – et un tantinet stéréotypées – des hommes en matière de lingerie féminine: de la dentelle, du rouge, du noir, du string, du tanga et aussi du push-up (pour accentuer le volume de la poitrine). Soit la panoplie estampillée coquine par excellence.

Problème, les femmes, elles, ont des goûts assez éloignés, voire aux antipodes, plébiscitant actuellement la culotte (qui au passage fêtait ses 100 ans en 2018), le shorty, les matières élastiques ou lisses comme le coton, et, côté couleurs, plutôt le rose dragée, le bleu arctique et le nude. C’est plus organique, mieux adapté aux différentes morphologies, beaucoup plus confortable aussi. L’influence du sportswear, ou athleisure, qui irradie dans la mode depuis quelques années, se fait clairement sentir. Les marques un peu attentives ont fini par le comprendre.

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Depuis fin 2017, c’est en effet une autre philosophie qui prévaut dans l’univers de la lingerie en vogue: le sexy inclusif. Ou comment chouchouter l’estime de soi chez toutes les femmes sans les estampiller objet sexuel sur pattes, ni chercher à les faire entrer de force dans un moule façon Barbie des podiums Victoria’s Secret, auxquelles seules 0.001% environ de la population féminine peut s’identifier. Un female gaze bienvenu qui renouvelle le secteur. «Cette ère du nouveau féminisme numérique a fait éclore quelque chose de neuf», observe ainsi Cécile Vivier.

Désirable mais pas objet

Se revendiquant fashion victim et adepte de la lingerie, Coline de Senarclens, écrivaine et experte en questions de genre, se réjouit de cette tendance de fond: «L’une des grosses ficelles de la domination masculine consiste à jouer sur le manque de confiance en elles des femmes. Ces accessoires, flatteurs pour davantage de physiques, peuvent aider à se sentir bien face à son miroir et à apprivoiser son corps. Mais surtout la lingerie, c’est un plaisir, ça ne doit pas devenir une injonction.»

© Savage x Fenty

À l’opposé des ténors classiques de la lingerie, Savage x Fenty, la récente marque de Rihanna, conçue pour toutes les morphologies et carnations, a notamment connu un grand succès en 2018. La recette? Des dessous qui visent à sublimer le corps féminin sans le faire culpabiliser. Bien d’autres griffes, plus confidentielles, se font également une place de choix dans le cœur des consommatrices, tandis que, comme le signalait un article du New York Times, la culotte de grand-mère ferait son grand retour.

S’affirmer sans entraves

«Même les marques classiques rénovent leur image, souligne Cécile Vivier. Chantelle et Simone Pérèle ont par exemple opéré un virage à 180 degrés en privilégiant désormais une esthétique et des tailles plus inclusives, utilisent de nouvelles matières, plus soft, jouant elles-mêmes le rôle de maintien. Elles s’adressent en priorité aux femmes, pas au regard masculin».

Des campagnes publicitaires, plus subtiles, moins élitistes, mais toujours soucieuses de rendre la marque désirable, véhiculent ce nouvel état d’esprit.

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Nombre de femmes vont même plus loin dans l’acte de briser les carcans, optant pour le no bra, ce refus de porter un soutien-gorge. Une mode inspirée par plusieurs people (Kim Kardashian, Cate Blanchett…) adeptes de cette liberté corporelle.

«Personnellement je trouve cela bien plus confortable, explique Coline de Senarclens. Et c’est meilleur pour la poitrine, qui est plus stimulée. Enfin je trouve ça très joli, plus organique, mais il ne faudrait pas que le no bra devienne une pression pour celles qui se sentent moins à l’aise ou moins belles ainsi.»

Des pièces de tissu subversives

Par ailleurs, le geste a encore une dimension militante, rappelant les féministes du XXe siècle brandissant leur soutien-gorge en signe d’insoumission. Eh oui, qui a dit que la vogue des nouveaux dessous était une envie de ne plus être sexy ni remarquée? Évidemment, des villages gaulois résistent encore et toujours. Plusieurs marques continuent sur leur lancée et s’en sortent plutôt bien: Etam en particulier.

Peut-être parce que deux lectures restent possibles, éclaire Elizabeth Fischer:

«La lingerie sensuelle peut aussi être considérée comme un instrument de domination pour certaines femmes. C’est un jeu avec les codes et les symboles, qui varie selon le moment, la situation. Le sens qu’on lui donne est d’abord dans l’œil du spectateur.»

La pub se rhabille

Changement de goût et de sensibilité oblige, la lingerie réinvente son langage. Une évolution qui s’observe dans l’esthétique des campagnes de publicité. À l’ère post #MeToo, on s’étonne tout à coup de la mise en scène ultrasexualisée des images de la marque Victoria’s Secret, avec ses poses très porno chic et autres tenues de soubrette.

© Aubade

Des corps, armes de séduction massive à destination du public masculin qui, chez Aubade, s’offrent au regard du spectateur dans leur dimension purement plastique. Le cadrage s’arrête au niveau du cou. D’une affiche à une autre, ce sentiment de copié collé de femmes-objets génériques contraste avec les nouveaux codes de la lingerie depuis 2017.

Chez Simone Pérèle, on sépare visuellement le produit et l’égérie, celle-ci n’étant plus un mannequin nu mais une femme inspirante présentée dans une activité de son quotidien. Quant aux femmes de Savage x Fenty (en haut à droite), elles célèbrent la sensualité et le désir via toute une palette de silhouettes, de couleurs de peau, de visages, loin du canon Barbie étriqué de jadis.

© Simone Pérèle



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