Style
Mode et IA: Rencontre avec la créatrice romande Sarah Bounab
Avant même de les voir, on entend l’arrivée des créations de Sarah Bounab grâce aux cliquetis métalliques, tels des scintillements sonores, qui accompagnent les pas de celles qui les portent. Le cuir et le métal sont sa signature. Ces matières brutes, difficiles à dompter, donnent forme à ses créations empreintes d’une poésie singulière. Sa passion pour la mode remonte à son enfance, influencée par son grand-père, tailleur de profession. «Il m’a transmis l’amour de son travail. Toujours passionné, son travail était toute sa vie. Il m’a appris à rêver, à dessiner, à rire. Durant l’été, je l’accompagnais en Espagne où bricolages, et jeux rythmaient nos journées, sans jamais s’ennuyer.» Malgré son envie de démarrer une formation dans la mode, elle entame le gymnase en philosophie et psychologie, sous la pression d’intégrer une filière avec de meilleurs débouchés. Mais c’est suite à son travail de diplôme, une collection pour Barbie, pour lequel elle a obtenu la meilleure note, qu’elle a eu le déclic et décide d’intégrer la HEAD de Genève, son école de prédilection. Elle en sort avec un bachelor et un master.
Déterminée et accro au travail, la créatrice romande déborde d’énergie. En 2020, sa collection de fin de master «All They Could See Was My Digital Queen» centrée sur la cyberculture et les identités numériques, remporte deux prix, le Master Firmenich ainsi que le HEAD x Who’s Next, à l’issue du défilé de l’école. De quoi lui donner l’élan nécessaire pour lancer sa marque éponyme. Lors de la dernière édition de Mode Suisse à Zurich en septembre, l’événement mode incontournable en Suisse, les silhouettes de Sarah ont défilé pour la troisième fois. Une collection audacieuse et saluée par le public confirme son talent.
Elle confie, «jusqu’à présent, mes collections semblaient ne transmettre que des intentions. Là, tout est très clair, j’ai défini les grands axes de mon travail: me concentrer sur le vestiaire de soirée en le modernisant et rendant plus tech, tout en valorisant les matériaux recyclés.» En observant de près ses créations, on perçoit le travail minutieux derrière chaque pièce. Le cuir, des chutes de l’industrie de la maroquinerie, récupéré en Suisse et en France, est retravaillé et assemblé morceau par morceau pour créer un volume, tout comme les pièces d’aluminium. Elle se décrit elle-même comme «dingue de patronage».
L’IA en guise d’assistante
Au-delà de son travail artisanal méticuleux de la matière, son processus de création se distingue. Inspirée par la cyberculture, en partant d’une histoire ou d’une image aléatoire, elle exploite des bugs informatiques, des sortes d’accidents qui vont l’aider à générer des designs.
J’échange sur la collection, crée des associations d’idées, sort des mots-clés, fais des visuels, que je transforme en collage et ainsi de suite. C’est l’idée du cadavre exquis. D’une certaine façon, c’est comme si je dialoguais avec moi-même.» Ces avancées technologiques l’enthousiasment, tel un fantasme devenu réalité. «L’intelligence artificielle, bien utilisée, accompagne la création sans la remplacer. Elle peut même aider à trouver des solutions, par exemple en simulant un vêtement en mouvement, et ainsi consacrer plus de temps à l’essentiel.» Elle travaille d’ailleurs avec des programmateurs pour créer un algorithme dédié à sa marque.
Bosseuse et ambitieuse
Depuis son atelier, au sein d’une manufacture collaborative à Genève, Sarah concentre sa marque de vêtements et de bijoux, tout en s’activant sur plusieurs projets. Elle travaille ponctuellement comme styliste pour le magazine hors série Bilan Luxe, dirige le costume pour un moyen-métrage et multiplie les mandats. Pour enrichir son e-shop, elle développe une gamme de prêt-à-porter, plus accessible et plus grand public, car «on n’a pas forcément envie de porter du cuir tous les jours.» À la fin de l’année, elle lancera une ligne de vêtements en crochet et des pièces d’aluminium ainsi que des accessoires. Au printemps prochain, une collaboration de lunettes de soleil avec la marque Viu sera lancée. Sans oublier son parfum Sarah Bounab, élaboré avec les équipes de Firmenich, dans le cadre de son prix, un de ses best-sellers. «Développer un parfum dès mes débuts a été une chance, contrairement à d’autres marques qui n’y parviennent qu’une fois établies.»
À 34 ans, c’est un emploi du temps bien rempli qui attend la créatrice. «C’est maintenant que je dois m’investir à fond si je veux réussir. Mon objectif est de m’implanter à l’international et de vendre mes collections dans au moins 27 pays! Un clin d’œil à mon grand-père qui créait des systèmes de patronages à travers le monde, précisément dans 26 pays.» C’est tout ce qu’on lui souhaite.