décryptage
Mode: Comment le marché de la seconde main s'est imposé
Pour sa quatrième saison, la série Emily in Paris fait une collaboration inédite avec Vestiaire Collective. La plateforme seconde main de luxe figure dans le casting du feuilleton le plus mode de Netflix. Soudain, le marché de l’occasion intègre l’univers du glamour et du style. Signes d’une époque qui change, nos vêtements et accessoires connaissent une deuxième vie tout en prenant du galon. Quitte à affranchir les enseignes consacrées à ces types de produits de leur image poussiéreuse aux odeurs de naphtaline.
Friperie, magasins de seconde main (luxe ou moyen de gamme), échoppes vintage, notre paysage romand voit ces espaces commerciaux pousser comme des champignons. Le phénomène est également amplifié par internet, où e-shops et vente entre particulières et particuliers via les réseaux sociaux intensifient cette nouvelle façon de consommer.
Dans le secteur du haut de gamme, les magasins Bongénie de Bâle et de Genève disposent d’un coin seconde main nommé Reawake. Ce concept originaire de Zurich s’aligne sur ce que font les grands magasins tels que le Printemps à Paris ou Selfridges à Londres.
Du côté des petits prix, des enseignes engagées comme Ateapic constatent, elles aussi, un engouement de la part de la clientèle. «En juillet 2024, nous avons doublé nos ventes par rapport à l’année passée. Nous sommes en perpétuelle progression et attirons tous types de clients, désireux de dénicher des pépites à prix accessible», constate Carole Henny, chargée de communication chez Démarche, coopérative dont fait partie Ateapic.
En quête du graal mode
L’inflation, la baisse du pouvoir d’achat et la prise de conscience des enjeux environnementaux ne font que justifier l’intérêt des client-e-s pour le marché de l’occasion. Si le luxe fait rêver, le public cherche à se l’offrir sans avoir à passer par les cases leasing ou surendettement. Et en Europe, les griffes de références sont Louis Vuitton, Gucci, Prada, Dior et Chanel. Elles sont les plus recherchées et ne bougent pas du top 5 des meilleures ventes.
Le marché de la seconde main séduit un public féru de marques issues du haut de gamme, mais aussi du moyen de gamme. En mettant la main sur des trésors uniques, ce public voit la possibilité de singulariser son style et plus encore. En avril 2024, la journaliste Tinka Kemptner a écrit le Guide des pépites vintage. Publié par les éditions Eyrolles, l’ouvrage dresse la liste de maisons françaises de prêt-à-porter, des années 1960 à 1980. Cacharel, Saint-James, Agnès B, ce manuel fait office d’histoire du costume et distille des conseils pour se constituer une garde-robe de qualité à petits prix. Trouver des pièces de bonne facture est un des premiers arguments justifiant l’achat en seconde main.
Qu’il s’agisse de luxe ou de moyen de gamme, la chasse au trésor vestimentaire d’occasion vient combler les consommatrices et consommateurs lassé-e-s par les travers de l’industrie du prêt-à-porter. L’offre, pourtant prolifique, de ce marché de première main contraint sa clientèle à une forme d’uniformisation des looks. Acheter une tenue dans une enseigne de mass market, c’est aussi le risque que redoute tout amoureux et amoureuse de la mode: celui de tomber nez à nez sur le clone de son look. Une expérience qui peut s’avérer frustrante, voire gênante. «Il n’y a rien de pire que la «zaraïsation» de la mode […], on veut être original et en fin de compte on est manipulé-e par le système», observe Vincent Grégoire.
L’alter-consommation
Certain-e-s contournent ce système d’une manière plus consciente. Au-delà des questions d’éthique et d’écologie, la clientèle de la seconde main porte une attention toute particulière à l’origine d’un produit. Les principales actrices et les principaux acteurs de ce nouvel art de vivre sont les millennials et les jeunes de la génération Z.
Plus éduqué-e-s sur l’histoire du costume, sur les matières et sur les finitions, ces fin-e-s connaisseurs et connaisseuses jouent même le jeu des boursicoteur-rice-s. Pour celles et ceux qui entrent dans la vie active, s’acquérir un sac Celine de l’époque Phoebe Philo, avec l’accent aigu sur le E, est un gage de rareté qui pourra être revendu plus tard à prix d’or. «Ce sont de nouveaux entrepreneur-euse-s, mais ce qu’ils et elles cherchent dans la seconde main, c’est aussi à mieux connaître l’histoire de la marque, l’histoire du créateur. Ils et elles investissent du temps où ils et elles essayent d’amener une valeur plus pédagogique, culturelle et du storytelling» poursuit Vincent Grégoire.
Dans certains magasins, les vendeur-euse-s jouent aussi les historiennes et historiens. «C’est ce qu’on aime beaucoup faire avec Alberto, mon associé: expliquer aux gens l’origine du vêtement qu’ils portent. Quand une cliente achète un vieux jeans velours côtelé à pattes d’éléphant, c’est intéressant qu’elle sache qu’elle porte un modèle Levi’s de 1973, neuf de stock, avec encore l’ancien grand E sur l’étiquette», remarque David Lalande, copropriétaire de la boutique Finest Vintage à Lausanne. Ainsi, le pedigree d’un vêtement ou d’un accessoire de deuxième main est aussi valable qu’une AOC.
Vers la fin du prêt-à-porter?
Avec le boom du marché de la seconde main et des nouvelles façons de consommer la mode, on peut s’interroger sur l’avenir du prêt-à-porter. D’autant plus qu’il a été démontré que le marché de la première main pourrait à terme ne plus avoir suffisamment de ressources. Or, ces deux secteurs travaillent main dans la main, surtout lorsqu’il est question de marques de luxe, de slow fashion. Idem pour la consommatrice et le consommateur, qui selon David Lalande, saura faire la balance entre première et seconde mains: «Les gens ont compris que la bonne solution, c’était un équilibre entre les deux. Ils vont privilégier une consommation raisonnable de neuf, en allant soit vers de la slow fashion, soit vers des marques plus responsables, parce que ça ne manque pas aujourd’hui.» Enfin, les produits de haute qualité qui sont créés aujourd’hui pourront être ce que l’on chinera d’ici quinze ou vingt ans.
Petit lexique du second hand
Vintage Ce terme est employé en œnologie pour désigner des cépages ou des cuvées de référence. Le mot a été repris par la mode afin de représenter une époque, un-e créateur-rice lié à un style. L’habit est considéré comme vintage à partir de partir de 15 à 20 ans d’âge. Enfin, on doit le trouver dans son état d’origine, soit quasi neuf.
Fripes De l’ancien français «frepe», qui veut dire vieux vêtement. Au Moyen Âge, les masses populaires, qui n’avaient pas les moyens de s’acheter des habits neufs, allaient chez le fripier. Il proposait des articles provenant de donations, de nobles ou de défunts. Le fripier avait pour rôle de rapiécer l’habit usagé et le revendre ensuite.
Seconde main Englobe tout ce qui a déjà été porté par quelqu’un d’autre, qu’il s’agisse de friperie ou de vintage.
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