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quel pied!

La longue (et passionnante) marche des chaussures

La longue (et passionnante) marche des chaussures

Le musée des Arts décoratifs de Paris retrace la longue histoire de la chaussure.

© Imaxtree

Sneakers ou escarpins, rangers ou cuissardes sexy, ballerines tout terrain ou sandales à talons aiguille, on a toutes notre style, nos préférences. Et l’on s’y tient, sans se poser trop de questions. Pourtant, comme l’explique l’historien Olivier Gabet, trouver chaussure à son pied n’a rien d’anodin. Directeur du musée des Arts décoratifs de Paris, où se tient actuellement la formidable exposition «Marche et démarche» (à voir jusqu'au 23 février), il précise:

«Peu d’objets de mode ont autant d’importance dans l’histoire!»

Car si, depuis la nuit des temps et partout dans le monde, les souliers sont d’abord indispensables pour protéger les pieds «des menaces du sol et du climat», ils en disent beaucoup des sociétés dans lesquelles ils sont portés: distinction et appartenance sociale, façon de marcher, culture, mœurs… survol en quelques points.

Les premières traces

Selon des historiens ayant étudié et analysé les déformations d’ossements plantaires humains retrouvés en Chine, l’histoire de la chaussure remonte à au moins 40 000 ans. De quoi étaient-elles faites? Pour l’heure, le mystère n’est pas résolu. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que dès 15 000 ans avant notre ère, les hommes portaient des bottes en peau d’animal, en fourrure, en écorces d’armoise ou d’autres essences locales. Au fil du temps, les techniques s’améliorant, les souliers se sont perfectionnés.

Une reconstitution de la chaussure d'Ötzi
Une reconstitution de la chaussure d'Ötzi © Wikimedia


En témoigne la momie d’Ötzi, datée de -5000 ans, chaussée de «mocassins» fourrés, fermés par un lacet et pourvus d’une semelle crantée, avec une tige et une semelle extérieure composées de cuirs différents.

L’Antiquité

Si le nord doit se chauffer les petons, le sud, lui, doit se protéger de la chaleur des sols. Pour le coup, les hommes portent des sandales - soit des semelles qui tiennent via des lanières croisées autour des chevilles ou des jambes. Elles sont en toile de papyrus, comme en témoignent des vestiges datés de -3000 découverts en Egypte, ou en cuir chez les Grecs, lesquels inspirent évidemment les Romains.

Les siècles passant, ces derniers élaborent différents types de chaussures et en font un clair marqueur social: sabots en bois pour les plébéiens; pieds nus recouverts de plâtre ou de craie pour les esclaves et semelles en argent ou en or massif pour les riches patriciens, qui protégeaient leurs précieuses chausses «de la saleté des rues en utilisant des patins ou des socques», précise l’historien et conservateur des Arts Déco Denis Bruna.

Démarquages discrets...

Dès le VIIe siècle (au Moyen Âge, donc), tandis que la paysannerie reste fidèle aux sabots, aux escafignons (sortes de chaussons), aux galoches et aux chausses de facture grossière essentiellement pratiques, les nantis commencent à porter des chaussures cousues plus élaborées: en cuir, elles «prennent» le pied dans une empeigne et retiennent le talon par un quartier à «oreilles» serré avec un cordon.

Trois à quatre cents ans durant, rien n’évolue vraiment, les différences sociales étant surtout marquées par les matériaux utilisés. Les gens du peuple se contentent de bois et de cuir quasi bruts tandis que les hautes sphères se mettent à préférer la soie ou le velours bien serrés autour du pied.

L’apparence avant le confort

Puis, au début du XIe siècle, tout change, du moins dans les classes privilégiées où l’apparence prend de plus en plus le pas sur la fonction première de la chaussure.

Apparaissent alors successivement les pigaces pointues, les poulaines supra-serrées dont on bourre la pointe de mousse végétale ou de chanvre pour les allonger un maximum (leur longueur indique le rang social!), les houseaux (sortes de bottes en cuir), les souliers à lacets et à boucles, alternativement à bouts carrés et arrondis. Ainsi que les talons et semelles à plateaux qui débarquent d’Espagne au XVIe siècle et «deviennent un signe aristocratique», note Denis Bruna.

Chaussure à poulaine - XVe siècle
Chaussure à poulaine - XVe siècle © Wikimedia

Point commun entre toutes ces nouveautés, aucune ne tient compte de la morphologie des pieds. Elles sont donc peu ou absolument pas confortables et rendent la déambulation un chouïa compliquée. Comme le résume l’historienne de la mode Saga Esedín Rojo dans le catalogue de «Marche et démarche»:

«Les formes des chaussures touchent trois points principaux: le bout, l’épaisseur des semelles et le talon. En règle générale, la fantaisie se concentre sur les bouts dans le cas des hommes, tandis que, dans celui des femmes, elle est plutôt une question de hauteur et implique alors un défi constant de l’équilibre.»

En gros, dans les hautes sphères sociales, tandis que ces messieurs ont tout de même droit aux bottes lorsqu’ils sortent se balader, chassent ou guerroient, les femmes subissent une mode qui entrave de plus en plus leur démarche, «comme si une trop grande mobilité n’était pas convenable... du moins jusqu’à une époque récente!» relève la spécialiste.

Le culte du mini-peton

Cette forme de contrainte atteint son paroxysme au XVIIIe siècle. Non seulement les talons sont si haut qu’une canne est quasi indispensable pour ne pas tomber mais, en plus, la haute-société voue un véritable culte au «petit peton» à la Cendrillon. Tout comme en Chine, où on bande les pieds des fillettes pour en bloquer la croissance, les nobles françaises endurent donc mille souffrances (orteils recourbés, chaussures clairement trop petites, etc.) pour coller à cet impératif.

En témoignent par exemple les chaussures de Marie-Antoinette, datées de 1792, qu’on voit à Paris. Avec 21 cm de long et 5 cm de large, elles correspondent à un 33, soit une taille enfant. Or, à cette époque, la reine bientôt déchue a 37 ans et n’est pas si petite que ça, rappelle Denis Bruna…

Une chaussure de Marie-Antoinette, 1792 Paris, Musée des Arts Décoratifs © MAD Paris / Christophe Dellière
Une chaussure de Marie-Antoinette, 1792 Paris, Musée des Arts Décoratifs © MAD Paris / Christophe Dellière

Une révolution

Au début du XIXe siècle, les différences sociales sont toujours marquées: du rustique pratique pour les couches populaires, du fin classe pour la bourgeoisie, laquelle se pâme devant des

«chaussures élégantes de cuir aux talons vertigineux et des bottes lacées très haut qui évoquent le fantasme, notamment de la part de clients de maisons closes, pour la contrainte des pieds et la démarche entravée», explique l’historien Denis Bruna.

Toutefois, l’industrialisation est en marche. Dès 1830, grâce aux innovations technologiques, dont l’invention de la machine à coudre, on lance la production en série de chaussures. En d’autres termes, pour la première fois de l’histoire, elles sont rendues financièrement accessibles à tout un chacun. Une révolution! Ce d’autant qu’on commence (enfin!) à tenir compte de la morphologie. Auparavant, les chaussures étaient fabriquées de façon identique (sans pieds droit et gauche) et, question taille, c’était aux petons de s’adapter en longueur et en largeur aux souliers au fur et à mesure qu’on les portait!

Parallèlement à cette revisite morphologique, les industriels se mettent à penser aux besoins de la population in globo: ouvriers, bourgeois, sportifs, mondains, fétichistes… tout le monde y trouve son compte. Ce qui a permis à la pompe de devenir l'accessoire de mode et de délire artistique incontournable qu’on connaît aujourd’hui...

Les fameuses Horseshoes d'Iris Schieferstein (2006). Hughes Dubois, © MAD Paris
Les fameuses Horseshoes d'Iris Schieferstein (2006). Hughes Dubois, © MAD Paris

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