décryptage
Histoire d'une tendance indémodable: L’allure gypset
Cet été encore, la tendance bohème s’est installée dans les boutiques avant de se retrouver dans nos dressings, un retour annoncé dans les défilés printemps-été 2020. Le couturier Elie Saab a trouvé son inspiration en Afrique. Coiffées d’afros ou et de turbans, ses mannequins ont défilé vêtus de caftans amples. Comme un clin d’œil à la collection Afrique d’Yves Saint Laurent (1967), les maisons Dolce & Gabbana, Oscar de la Renta et Dior ont misé sur des silhouettes et des accessoires en raphia. La styliste Ulla Johnson s’est entichée des tissus imprimés wax, qu’elle a associés à des motifs empruntés à l’artisanat des Balkans.
Isabel Marant et Erdem ont quant à eux fait honneur à l’Amérique du Sud avec des tuniques dont les motifs rappellent la rayure artisanale Esquipulas. Chez Etro, le style gypset fait partie de l’ADN de la marque. Agrémentés d’une touche ethnique, les looks de la maison italienne nous font voyager entre les Baléares, l’Inde et la Californie: robes aux imprimés cachemire, bottes plissées, sacs à franges et foulards noués sur la tête… la collection semble tout entière dédiée aux festivalières de Woodstock.
Trois époques
Bohème, ethnique ou encore hippie chic caractérisent tous cette esthétique indémodable mais, depuis quelques années, c’est le terme gypset qui rassemble ces styles très proches. Contraction de gipsy (pour gitan) et de jet-set, ce néologisme a été inventé par Julia Chaplin. Après avoir travaillé pour le New York Times, Elle ou Vogue, la journaliste américaine se lasse de sa vie mondaine. Entre 2009 et 2019, elle publie la trilogie Gypset Style, Gypset Travel, Gypset Living, puis l’ouvrage Tulum. Ces best-sellers, qui prônent un art de vivre nomade lié à la sophistication de la jet-set, hissent Julia Chaplin au rang de gourou du genre.
De la bohème aux hippies
Pourtant, le style bohème n’avait rien de glamour lorsqu’il est apparu, en France, au XIXe siècle. Privés de mécènes, intellectuels, écrivains et artistes rejettent la domination bourgeoise et vivent dans la pauvreté. Leur look, fait de vêtements usagés ou démodés, constitue l’uniforme de l’artiste vivant dans l’insouciance. L’orientalisme irrigue tout le siècle et le créateur Paul Poiret s’inspire de ses voyages pour créer des vêtements marqués par l’Orient, la Russie, l’Afrique du Nord.
En Autriche, la designer avant-gardiste Emilie Louise Flöge devient une personnalité de la bohème viennoise aisée. Celle qui fut la muse et la compagne de Gustav Klimt crée des modèles confortables, dépourvus de corsets (tout comme Paul Poiret). Elle s’habille de caftans ou de robes amples, dont les motifs géométriques évoquent un artisanat exotique. Toutefois, en 1938, l’Autriche est annexée par l’Allemagne nazie. La créatrice perd ses principaux clients et doit fermer sa boutique, nommée Schwestern Flöge. Vingt-deux ans plus tard, l’Amérique voit déferler le mouvement hippie. Initié par une jeunesse en quête de liberté, le courant se répand dans le monde entier. Les valeurs des générations précédentes sont rejetées par cette jeunesse qui s’ouvre à d’autres cultures. Sur le plan vestimentaire, la tendance est aux pièces ethniques, aux motifs tie & dye (inspirés du shibori, une technique de teinture japonaise), qu’on associe à des jeans patte d’éph. En témoignent les looks du mannequin, styliste et actrice Anita Pallenberg, véritable it-girl de l’époque. Aujourd’hui intemporel, son style influencera de nombreux créateurs, de Vivienne Westwood à Marc Jacobs.
Les icônes masculines aussi
Comment porter le style gypset aujourd’hui?
L’avantage de ce trend? Il s’accorde avec tout et le total look n’est pas obligatoire. Si la paire de bottines est attendue sous une longue robe imprimée, pourquoi ne pas tenter l’association avec une paire de baskets? Côté accessoire, point trop n’en faut: un sac en raphia ou des boucles d’oreilles sauront ensoleiller une simple silhouette en jeans et t-shirt blanc. A vous de jouer.