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La beauté de la femme noire selon Angélique Mukendi

La beaute de la femme noire selon angelique mukendi1

Le premier ouvrage de l'étudiante en droit Angélique Mukendi est disponible depuis septembre 2024.

© Christina Mukendi

Dans son premier livre, La beauté de la femme noire moderne - Les leçons de l’histoire (Éd. du Pantheon), Angélique Mukendi, étudiante en droit, aborde un sujet aussi complexe qu’important: les racines des stéréotypes liés à la beauté noire. Elle s’attaque ainsi aux blessures invisibles héritées de l’esclavage et de la colonisation, tout en célébrant la richesse et la diversité de l’identité afro-descendante. La Suissesse d’origine congolaise nous entraîne dans une réflexion profonde sur l’acceptation de soi et la nécessité de redonner aux femmes noires leur place et leur fierté dans un monde souvent régi par des normes esthétiques aliénantes.


FEMINA Qu'est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre ?
Angélique Mukendi Ce livre est né d’une blessure inconsciente et d’une réflexion intérieure sur mon identité. En tant que Suissesse d’origine congolaise, j’ai grandi entre deux cultures: celle de la société occidentale et celle de mes racines africaines. Dès mon enfance, j’ai ressenti un décalage entre ces deux mondes, surtout face aux critères de beauté occidentaux. J’ai remarqué, notamment dans mon environnement familial, des pratiques comme le blanchiment de la peau et le défrisage, qui semblaient être des tentatives d’adaptation à ces standards. Ces méthodes sont non seulement douloureuses, mais aussi dangereuses pour la santé, causant parfois des problèmes graves comme le cancer de la peau et l’alopécie. En grandissant, j’ai voulu comprendre pourquoi ces pratiques étaient si répandues et pourquoi, en tant que femme noire, il fallait souffrir pour correspondre à une certaine norme de beauté blanche. Mon livre explore ces questions et les traumatismes historiques qui en sont la source.

Quels sont les facteurs sociaux et historiques qui perpétuent ces normes de beauté?
En menant mes recherches, j’ai compris que les stigmates de l’esclavage perdurent aujourd’hui. Bien qu’il soit aboli et que nous jouissions désormais de droits en tant que femmes noires, les normes de beauté qui valorisent la peau claire et les cheveux lisses trouvent leur origine dans cette époque. Durant la colonisation, les critères de beauté occidentaux se sont imposés aux populations africaines, renforçant l’idée que s’approcher de ces standards assurait un meilleur statut. Cette hiérarchie, transmise de génération en génération, a nourri le colorisme, un phénomène où les personnes plus claires - souvent issues de métissages - étaient mieux traitées, créant un désir persistant de correspondre à ces critères, même après la fin officielle de l’esclavage.

Les standards de beauté occidentaux ont encore cours aujourd’hui?
Oui, ces injonctions sont toujours présentes. Même si un retour aux attributs naturels des femmes noires a émergé dans les années 2010, il a fallu attendre un boom médiatique vers 2018 pour commencer à voir quelques changements et encore… La pression pour avoir les cheveux lisses, par exemple, persiste. Cela touche non seulement les femmes noires, mais aussi celles d’autres origines, comme les Nord-Africaines ou même les personnes blanches aux cheveux frisés. Ces standards sont encore synonymes de professionnalisme et d’acceptation sociale. J’espère que mon livre contribuera à changer ces perceptions et à redonner confiance aux femmes dans leur beauté naturelle.

Qu’en est-il des femmes noires qui aiment se lisser les cheveux, par exemple? Est-ce un problème?
Ce livre ne vise pas à critiquer celles qui choisissent de se lisser les cheveux. Au contraire, il célèbre la polyvalence du cheveu afro et la liberté de choisir sa coiffure. Les problèmes surviennent lorsque le lissage devient une contrainte imposée par des normes de beauté qui valorisent la texture lisse au détriment du naturel. La clé est l’acceptation de soi: si une femme noire choisit de porter des cheveux raides en connaissance de cause et par préférence personnelle, cela ne pose pas de problème. En revanche, le recours systématique aux défrisants pour correspondre à un idéal de beauté extérieur peut refléter un rejet inconscient de sa texture naturelle, ce qui souligne l’importance de déconstruire ces normes.

Pour revenir sur les injonctions favorisant les peaux claires, vous soulignez aussi l’influence néfaste de la publicité, notamment autour des produits comme les savons. Pouvez-vous nous en dire plus?
J’ai été frappée par ces stéréotypes, même en Suisse, où les campagnes publicitaires ont joué un rôle dans la propagation d’images négatives des personnes noires. Ces campagnes, datant de l’époque coloniale et même après, associaient la peau noire à la saleté et favorisaient l’idée que le blanchiment était synonyme de pureté. J’ai découvert des publicités choquantes où des personnes noires semblaient littéralement «lavées» jusqu’à devenir blanches, comme si leur peau foncée était une impureté à éliminer. Cette symbolique raciste a perduré, comme en témoigne encore récemment une publicité de Dove où l’application du produit transformait une femme noire en femme blanche. Ces représentations sont non seulement offensantes, mais elles illustrent aussi la manière insidieuse dont la discrimination a été normalisée à travers le marketing.

Quand vous écriviez ce livre, avez-vous ressenti de la tristesse, de la colère, de la frustration?
Oui, j’ai beaucoup pleuré. J’étais surtout outrée. Dans les années 90, ces attitudes pouvaient encore être attribuées à un héritage colonial, mais voir des pratiques similaires en 2008, 2009, 2010, et même être médiatisées, m’a profondément choquée. Je me suis demandé comment on pouvait encore penser qu’utiliser la peau noire comme symbole de saleté pour promouvoir un produit était acceptable. Le fait que des marques aient imaginé de tels concepts marketing est incompréhensible, tout comme les tentatives de blanchiment extrême, comme avec Beyoncé dans la campagne Féria Hair Color de L'Oréal en 2008.

Votre livre évoque également le rôle des médias dans la perpétuation de ces standards de beauté toxiques. Est-ce encore d’actualité?
Absolument. Les médias continuent de promouvoir, parfois inconsciemment, des standards de beauté qui nuisent aux femmes non blanches. Ces standards, souvent inaccessibles, sont utilisés pour stimuler la consommation. En vendant l’idée que la peau noire doit être modifiée pour être acceptée, on encourage l’achat de produits cosmétiques. J’ai été moi-même influencée, surtout par rapport aux cheveux. Les publicités présentaient le défrisage comme une solution facile aux contraintes supposées des cheveux afro.

Les magazines et les médias semblent manquer de diversité. Quelle est votre opinion?
Effectivement, la faible représentation des femmes noires dans les médias alimente un sentiment de malaise et même un traumatisme. Quand on grandit en voyant ces images, cela influence notre perception de soi. L’industrie cosmétique et médiatique reste avant tout motivée par le profit, et ces représentations biaisées en sont une triste conséquence.

Votre livre mentionne plusieurs personnalités influentes, comme Oprah Winfrey, Iman Bowie, et Beyoncé…
Ces figures ont joué un rôle essentiel, mais le combat n’est pas le même partout. Aux États-Unis, le colorisme est profondément ancré. Cela crée des standards exclusifs, où les femmes plus foncées peinent à obtenir la même reconnaissance que des métisses, même si elles sont artistiquement plus talentueuses. Beyoncé elle-même a traversé cette réalité, mais sa carrière établie lui a permis de revendiquer ses origines, notamment avec des titres comme «Brown Skin Girl». Sa propre évolution, influencée par ses enfants, montre qu’elle a pu assumer sa couleur de peau de manière plus affirmée.

Que dire des Caucasiennes qui arborent des mises en beauté propres aux afro-descendantes?
Dans mon livre, je traite de l’adoption croissante des traits physiques traditionnellement associés aux femmes afro-descendantes par des femmes blanches, un phénomène que je qualifie de «retournement culturel». Bien que cette valorisation semble positive, elle ne provient généralement pas des efforts de la communauté noire, mais d’une tendance érigée par la majorité caucasienne… Mon dilemme est le suivant: dois-je dénoncer cette réappropriation opportuniste ou l’utiliser pour revaloriser notre culture? J’ai opté pour la seconde option. Je préfère reconnaître cette lumière imparfaite tout en cherchant à raconter notre propre histoire. Cependant, je suis troublée lorsque des pratiques culturelles noires, comme les tresses, sont revendiquées par des personnalités blanches sans comprendre leur origine. Lorsque j’entends parler de «tresses à la Kim Kardashian», leur signification historique disparaît. Bien que je sois heureuse de leur popularité, il ne faut pas oublier qu’elles ont longtemps été marginalisées. J’aimerais voir un réel effort pour s’informer sur ces pratiques et leur histoire, car adopter des coiffures afro sans en connaître la richesse revient à ignorer un aspect fondamental de notre héritage.

Kim Kardashian a souvent été accusée d’appropriation culturelle. ©GETTY MAGES/STEVE GRANITZ

Enfin, comment peut-on accompagner les femmes noires dans la revendication de leur beauté?
Pour encourager les afro-descendantes à se réapproprier leurs traits naturels, il est essentiel de transmettre un message de compassion. Historiquement, les médias ont entretenu un stéréotype de la femme noire, forte et agressive, et cela a contribué à la fatigue et à la souffrance qu’elle ressent aujourd’hui. Il est crucial de la soutenir en l’aidant à embrasser sa féminité. Cela passe par la validation de sa beauté par son entourage, y compris par les hommes, qui doivent affirmer publiquement que les femmes noires sont belles au naturel. Celles qui ont choisi de s’approcher des standards caucasiens ne doivent pas être jugées mais accompagnées pour sortir de cet engrenage. Il découle d’un traumatisme profondément ancré et nécessite du temps et du soutien pour être surmonté.

Vous avez suivi vous-même ce cheminement?
Personnellement, il m’a fallu cinq ans pour déconstruire mon rapport négatif à mes cheveux et pour comprendre leur beauté. Ainsi, il est vital d’accompagner celles qui entament leur transition avec patience et bienveillance, en répétant des messages positifs jusqu’à ce qu’elles finissent par les intégrer. Heureusement, de nombreuses femmes prennent conscience de ces enjeux. Elles affirment par exemple ne pas souhaiter que leurs filles soient défrisées ou qu’elles aient recours aux produits éclaircissants. Observer les jeunes générations porter fièrement leurs cheveux crépus est extrêmement encourageant et témoigne d’une évolution positive vers une célébration de leur beauté authentique. 

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