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En Suisse, la cosmétique artisanale passe en mode pro

En Suisse, la cosmétique artisanale passe en mode pro

Dès avril 2021, chaque formule cosmétique vendue en Suisse, mais aussi chaque ingrédient entrant dans la composition, devra avoir un dossier d'informations certifiant l'innocuité, la traçabilité et le dosage. Un investissement conséquent pour de nombreuses PME.

© Hemme/ Getty Images

La cosmétique industrielle fait de moins en moins rêver. L’impact sur l’environnement de nos modes de consommation ne peut plus être ignoré et cette prise de conscience donne envie à beaucoup de gens de modifier leurs habitudes. Le zéro déchet n’est certes pas facile à atteindre, mais on peut faire quelques efforts. Privilégier les producteurs locaux et les circuits courts par exemple. Dans l’alimentation, on parle de farm-to-table (de la ferme à la table) ce qui, transposé à la beauté devient farm-to-face! Les savonneries artisanales se sont multipliées en Suisse romande, ainsi que les petites marques de baumes et élixirs naturels.

Magali Freze-Bianchin a formé près de 200 de ces micro-entrepreneuses dans les locaux de son enseigne Louve Papillon, à Henniez (VD). Elle accompagne ces PME dans la création de leurs formules, les règles d’hygiène lors de la fabrication ainsi que pour toute la partie légale qui s’avère costaude. En décembre 2017, la Suisse a modifié sa réglementation concernant les cosmétiques pour s’aligner sur ses voisins européens, avec un délai à fin avril 2021 pour s’y conformer. Elle s’applique à toute personne qui veut vendre sa marchandise en boutiques ou sur Internet (y échappent les artisanes qui écoulent une petite production sur les marchés). Pour chacune de ses formules, une marque doit pouvoir fournir un dossier d’information produit (DIP) complexe qui permet de contrôler la composition et garantir l’innocuité, validée par un toxicologue. Et ceci a un coût: on parle d’environ 1000 fr. par dossier. Un investissement conséquent pour des gammes qui comportent en général une vingtaine de références. Et pourtant, la majorité des marques sont en train de le faire, petit à petit, avec leurs moyens, réduisant parfois leur offre en se concentrant sur les meilleures ventes.

Magali Freze-Bianchin a en outre créé un réseau informel pour pouvoir valider collectivement les formules et diviser les coûts: «Nous devons trouver des solutions car ces normes sont trop contraignantes et non adaptées à des petites structures comme les nôtres. Elles mettent en danger notre économie locale et profitent aux grossistes étrangers pour certaines matières premières.» C’est le cas par exemple de l’huile de tournesol ou du miel, denrées alimentaires à la base qui, si elles sont utilisées dans un cosmétique, doivent avoir ces documents réglementaires spécifiques. Le producteur suisse renoncera souvent à monter un dossier, ce qui incite les clientes à se fournir ailleurs.

Malgré la paperasse et l’énergie nécessaires, toutes reconnaissent que cette mesure augmente leur crédibilité, avec des cosmétiques propres et sûrs. L’étiquetage doit ainsi être précis quant aux ingrédients, avertissements et instructions d’utilisation. Co-fondatrice avec son mari Dennis de la marque M&O Naturel, Charlotte Julien se réjouit de cet aspect sécuritaire car trop souvent, le consommateur ne sait pas ce qu’il s’applique sur le visage:

«Actuellement, certains produits naturels vendus sont pires au niveau bactériologique que ce que l’on voudrait justement éviter de se mettre sur la peau! Les cosmétiques qui contiennent de l’eau doivent avoir un conservateur qu’il faut savoir doser. Des moisissures peuvent se développer. La présence d’huiles essentielles doit aussi être maîtrisée car elles ne sont pas inoffensives. Naturel ne veut pas dire sans risque.»

M&O Naturel à Marly (FR)

Dès ses débuts, M&O Naturel a choisi une structure professionnelle. L’histoire débute par la quête d’une solution aux problèmes d’eczéma de leur fils. Charlotte et son mari concoctent un baume apaisant au karité et huiles essentielles. Bluffés par les résultats, ils décident de se former à la cosmétique naturelle et lancent leur entreprise en 2014, la baptisant des initiales de leurs enfants, Molly et Oliver. Ils arrivent à en vivre, et emploient deux collaboratrices. Leur créneau: les peaux «capricieuses», comme les appelle Charlotte. «Nous ne faisons pas de crèmes, c’est-à-dire d’émulsions qui contiennent de l’eau, mais des mélanges d’huiles végétales et des sérums ciblés: rougeurs, acné, taches, relâchement. J’aime bien le mot anglais skincare, qui marque bien la différence avec la cosmétique. En français, on dit dermo-cosmétiques, entre beauté et dermatologie.»

La marque a investi dans son propre labo et dans une boutique où le conseil est roi. Tous les besoins sont couverts grâce à des marques de clean beauty complémentaires, notamment du maquillage. Très au point sur les démarches administratives, M&O est en passe d’obtenir la certification bio. Elle se lancera dès l’an prochain outre-Sarine, puis à l’étranger.

Belle Luce dans le val de Bagnes (VS)

Mildred est diplômée de la HEAD à Genève. Elle a quitté son job de designer en décembre dernier pour se consacrer à plein temps à sa marque Belle Luce, car «c’est compliqué d’y mettre assez d’énergie en n’y travaillant que le soir ou dans les moments de libre». Elle s’est formée en cosmétologie naturelle à Paris et auprès d’herboristes. Son concept: des baumes, huiles, sels de bain et tisanes à base d’ingrédients locaux et bios, dont des plantes médicinales qu’elle cultive en famille dans le val de Bagnes, à 900 m d’altitude. Arnica, lavande, millepertuis, verveine, calendula, etc, ainsi que de l’edelweiss aux vertus anti-âge reconnues.

«La nature est bien faite et les végétaux qui nous entourent correspondent à nos besoins. L’huile de coco sera parfaite pour la peau et les cheveux antillais mais pas forcément pour nous.»

Elle travaille avec des producteurs locaux pour les matières premières qu’elle ne fabrique pas elle-même. Elle a ainsi un partenaire à Martigny pour le chanvre, dont elle utilise l’huile (issue des graines). Mais aussi un extrait de CBD, au cœur d’un baume musculaire, en cours d’homologation. Avec une vingtaine de références, elle avance petit à petit dans ce processus de régulation et espère pouvoir bientôt exporter ses produits.

OriginOil à Veyrier (GE)

Macérat de lys, extrait de brède mafane et de bulbine jaune, Anne Lassus a choisi des actifs rares de plantes et de fleurs pour sa ligne OriginOil. Des associations d’huiles végétales mais pas d’huiles essentielles, qui suscitent trop de questionnements. Chercheuse dans l’industrie pharmaceutique, cette chimiste de formation a eu envie de changer de domaine. Pour compléter ses connaissances, elle a suivi des cours sur la fabrication de cosmétiques en 2018 et lancé sa marque l’année suivante. Pour le moment, elle conserve un job alimentaire et trouve un équilibre dans cette double activité:

«Cela me permet d’être moins stressée dans le développement de ma marque, je serais davantage sous pression si je ne faisais que ça.»

Le succès a été moins rapide que prévu. «Je pensais que la vente en ligne marcherait mieux et que je trouverais plus de points de vente. A côté de cela, j’étais agréablement surprise par le potentiel de vente et de distribution locale. Enfin, la maîtrise du marketing digital et de ses outils est aussi primordiale et je sollicite de l’aide dans ce domaine que je ne maîtrise pas.» Avec des produits visage, corps, hommes, bébés, OriginOil offre une trentaine de références dont seules les plus populaires seront homologuées pour répondre à la nouvelle loi – question de coût.

Forêt Bleue à Genève

Emmanuelle Engeli a grandi au-dessus de l’institut de beauté de sa maman esthéticienne et s’est passionnée depuis toute petite pour les cosmétiques, leur odeur, leur texture. Elle a commencé à fabriquer ses propres crèmes par souci de limiter son empreinte carbone et s’assurer de la qualité des ingrédients utilisés. Forêt Bleue est née à Genève en 2017, clin d’œil à son dessert préféré, la forêt noire, et la couleur bleue pour le ciel, l’eau, des éléments naturels. Les valeurs fondamentales de la marque sont donc la naturalité, la proximité et une dimension sociale. Ses fournisseurs sont suisses, les savons et shampooings solides fabriqués avec un partenaire vaudois et les autres produits concoctés à Genève dans un atelier qui emploie des personnes habituellement exclues du marché du travail.

Sérum au bambou, crème visage au safran, masque au lotus, la marque compte pour l’instant 11 références qui sont en train de passer les tests obligatoires en vue de la fameuse réglementation. Elle ne freinera pas, au contraire, les envies d’expansion d’Emmanuelle, en Suisse et au-delà. La marque est déjà présente dans plus d’une vingtaine de magasins en Suisse romande, dont le supermarché Fooby de la Coop à Lausanne.

Sélène Cosmétique à Genève

Lucienne Campelo a commencé l’aventure Sélène Cosmétique il y a 10 ans déjà à Genève. Une petite production, à la main, pour une gamme assez large de soins visage et corps basée sur une haute concentration d’actifs naturels et bios si possible, l’eau étant remplacée par des hydrolats floraux, sans pétrochimie bien sûr. La mise aux normes de ses formules lui a pris beaucoup d’énergie, ne serait-ce que pour trouver les informations, puis une formation pour être au point. Cela a freiné son expansion, car le coût qui en découle est «surréaliste pour une micro-entreprise», avec 25 formules à faire valider.

Malgré cela, son enthousiasme est intact, le bilan de cette décennie positif, avec l’envie d’apprendre davantage sur les plantes et l’aromathérapie et de formuler des produits adaptés aux besoins de la clientèle féminine et masculine du monde d’aujourd’hui. Les packagings représentent également un défi, airless pour limiter les conservateurs, en plastique recyclable, sans pièce de métal et légers pour minimiser l’impact du transport sur l’environnement. Toujours en quête de nouvelles idées, elle réfléchit à des produits orientés zéro déchet.

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