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«Je suis infirmière et malentendante»

01 Vecu Tanya Corinne Sporrer

Déjà depuis toute petite, je savais que je voulais faire infirmière, c’était mon rêve! J’ai toujours aimé prendre soin des autres. J’ai donc écouté mon intuition.

© Corinne Sporrer

Petite, mes parents ont remarqué que je ne réagissais pas aux bruits. Ils ont donc suspecté qu’il se passait quelque chose, j’avais alors environ 1 an. Ils m’ont emmenée chez le médecin, qui m’a fait un scanner cérébral. Je suis porteuse d’une maladie génétique rare, le syndrome waarden-burg. Je suis donc née sourde profonde bilatérale.

J’ai commencé par apprendre la langue des signes dans une école spécialisée avant d’être implantée, à l’âge de 3 ans et demi. J’allais trois fois par semaine chez une logopédiste pour apprendre à parler. Durant l’enfance, j’ai vécu entre deux mondes: celui des entendants et celui des sourds. J’ai été intégrée dans une classe ordinaire, dans laquelle le professeur portait un micro, relié par un câble à mon implant pour amplifier les sons. En dehors de ces cours d’intégration, je fréquentais les élèves sourds, car il y avait une classe pour malentendants dans la même école.

Arrivée au cycle d’orientation, j’ai eu pour la première fois la présence d’un interprète en langue des signes à presque tous les cours. Durant le cycle, – j’étais dans ma phase adolescente – je me sentais clairement plus à l’aise entourée de jeunes sourds, parce que la langue des signes est ma langue naturelle, je n’ai aucun effort à faire pour la comprendre. Quand les jeunes entendants se regroupaient pour discuter, je me sentais souvent exclue.

Mais voilà, à l’école de culture générale, j’étais la seule sourde, donc je n’avais pas trop le choix, je devais faire un effort, participer, me faire des amis. C’était un peu difficile, car je me sentais toujours différente, et je sentais surtout qu’ils me voyaient comme différente.

Un petit mensonge par omission

Déjà depuis toute petite, je savais que je voulais faire infirmière, c’était mon rêve! J’ai toujours aimé prendre soin des autres. J’ai donc écouté mon intuition.

Mais voilà, de peur que ma candidature à la formation ne soit pas retenue à cause de ma surdité, j’ai dû mentir lors de l’admission, et j’ai dit que je n’avais pas besoin d’interprète pour suivre les cours. J’avais peur qu’ils pensent que je ne parlais pas bien ou que je n’entendais vraiment pas.

Du coup, la rentrée s’est un peu mal passée, quand certains enseignants ont été surpris de voir la présence d’un interprète. Mais je n’ai pas abandonné. Lorsque j’ai effectué mon tout premier stage en tant qu’étudiante, au bout d’une semaine, une infirmière qui m’encadrait m’a dit clairement qu’elle ne validerait pas mon stage parce que je n’étais pas du tout autonome. Alors j’ai fait appel. L’école a organisé une réunion et a rappelé la base: il faut séparer le handicap et les compétences. On évalue les compétences comme tous les autres étudiants, et pour le handicap, on s’adapte.

Une place de rêve

Après avoir décroché mon diplôme, j’ai eu une terrible peur de ne pas trouver de travail, peur de subir du harcèlement, d’être discriminée… Et le temps m’a donné tort! J’ai été engagée dans un EMS à Lancy 3 mois après le diplôme et je suis tombée sur une équipe extraordinaire, une excellente cheffe, un excellent directeur. Quel soulagement. Ils m’acceptent tous telle que je suis. Je m’adapte à eux bien sûr, mais ils s’adaptent aussi à moi! Cela fait bientôt 6 ans que je travaille pour cet établissement.

Pour que tout se passe bien, quand je ne comprenais pas, je demandais toujours de répéter, je reformulais les phrases pour être sûre d’avoir bien compris. Et mes collègues ont pris l’habitude de parler chacun leur tour lors de nos colloques.

C’est vrai que la journée au travail me fatigue beaucoup, parce que je dois énormément me concentrer pour suivre les conversations le plus possible, car j’entends les bruits de façon métallique et pas naturelle. Donc lorsque je sors du boulot, j’éteins systématiquement mon implant pour retrouver ma bulle de silence, ça me fait tellement de bien. Etre dans le monde des entendants presque tous les jours, c’est fatigant. Ça me fait un bien fou de voir mes amis sourds, de signer avec eux. Je retrouve à ces moments-là un vrai confort, une langue naturelle et sans efforts, qui m’appartient.

Aujourd’hui, Je suis mariée et je suis maman d’une petite fille de 2 ans, entendante, mais bilingue français et langue des signes. Une vraie fierté pour moi de la voir signer avec ses petites mains, c’est tellement mignon!

Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, ou presque, jusqu’au jour où le COVID-19 a décidé de nous frapper de plein fouet. Voilà que tout le monde porte un masque. Jamais je n’aurais imaginé ce jour arriver! Du coup, c’est bien pire qu’avant, encore plus fatigant pour moi. Je ne comprends rien, mais absolument rien quand les gens parlent à travers le masque. Pour comprendre, j’ai besoin d’entendre la personne parler et de lire sur les lèvres en même temps. Pour moi, les deux sont complémentaires. Je ne peux pas entendre sans lire les lèvres, et j’ai de la peine à lire sur les lèvres sans entendre.

Je dois toujours demander à mes collègues et aux personnes que je rencontre ailleurs de baisser leur masque pour me parler, tout en respectant la distance sociale bien sûr. Je n’ai pas le choix. Il y a plein de personnes qui ont ce réflexe de baisser le masque à chaque fois qu’ils veulent me parler, d’autres pas. ça fait partie de cette nouvelle réalité de tous les jours.

D’ailleurs, comme je parle très bien, les gens oublient parfois que je suis malentendante, et oublient de faire un effort, je dois souvent leur rappeler de parler lentement, de répéter…

Parfois je craque, je dois l’avouer, mais je n’ai pas trop le choix, je tiens bon. De manière générale, notre société a un peu tendance à minimiser les difficultés auxquelles font face les personnes malentendantes, c’est dur. Et il suffit qu’une vendeuse baisse son masque spontanément pour me parler quand je lui dis que je suis sourde pour que je retrouve le sourire.

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