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«Mon travail est de soigner les arbres»

Vecu Florim corine sporrer

«Avant l’accident, j’étais déjà assez sensible au fait de faire attention à soi, de prendre du temps pour soi, de faire de la méditation… ça m’a vraiment aidé.»

© Corine Sporrer

Quand j’étais ado, j’allais avec ma mère dans le sud de la France où son frère bûcheron m’apprenait à utiliser sa tronçonneuse. C’est un travail original dans lequel tu es obligé de t’impliquer pleinement. Une semaine avant le gymnase, une entreprise m’a appelé, elle me prenait pour un CFC. Mes copains étaient aux études et moi j’étais bûcheron. J’ai fait mes 3 ans, puis en tout 9 ans, en forêt. J’avais aussi envie de travailler en hauteur, du coup j’ai commencé à effectuer des travaux sur cordes pour un ami. On bossait dans des silos, sur des immeubles de vingt étages ou encore à la pose de paravalanches.

J’ai un immense respect de la hauteur. Elle fait peur, mais cette peur aide à bosser, dans les bâtiments autant que dans les arbres.

Un jour, je parle de mon métier à un certain Patrick (devenu un ami, depuis) et il me dit que son cousin, aux Etats-Unis, fait le même job. Dans ma tête, les Etats-Unis, c’était un truc qu’on voyait à la télé, moi je coupais du bois. Partir à l’autre bout du monde, ça ne faisait pas partie de mon champ des possibles, mais c’était une sale période pour le monde forestier et j’avais besoin de changement. Patrick a appelé Greg, son cousin, et il lui a dit qu’il m’attendait… le lundi suivant. Je ne parlais même pas anglais. J’ai finalement passé 3 ans aux Etats-Unis, guidé par Greg. Un jour, il m’a dit: «Je t’emmène aux championnats du monde de grimpe aux arbres.» On est partis à Minneapolis, en 2006, puis à Hawaï l’année suivante. Les championnats, ce sont cinq disciplines où tout est hyper-aérien et élégant, on dirait que les grimpeurs flottent.

On croit que c’est de la force, mais c’est beaucoup de souplesse et d’agilité. Le gros bourrin, c’est pas possible!

Chaque nation ramène ses expériences chez elle. Les techniques évoluent vite grâce à ces échanges. Là-bas, j’ai rencontré Mark, meilleur grimpeur suisse de l’époque.

S’attacher à un être vivant

En rentrant, Mark m’a proposé de venir une semaine chez lui, à Bâle, dans son entreprise. J’y suis resté 5 ans! C’est un métier passion et c’est comme ça que j’ai eu le déclic. On fait le seul job au monde dans lequel on s’attache à un être vivant! Toutes les décisions prises sont liées à cet organisme. Est-ce que cette branche tient, ou pas? On en revient toujours à la notion du respect, tout en sachant que l’arbre évolue.

A Bâle, j’ai dû apprendre l’allemand. Ça tombait bien, puisque le brevet fédéral de spécialiste de soins aux arbres n’existait qu’en allemand. Je l’ai passé sur les conseils de mon ami Mark. Par la suite, j’ai participé à la création du brevet fédéral en Suisse romande. C’était beaucoup de travail, mais c’était super de rendre cette formation accessible aux autres. C’est dans cette logique qu’en 2009, avec des collègues suisses allemands, nous avons créé Arborcamp pour permettre au grand public de grimper dans les arbres. On créait des tyroliennes, d’immenses balançoires… rien à voir avec l’accrobranche, toutefois, le but était de sensibiliser les gens à notre métier. On a même installé un café dans les arbres. Je me suis impliqué dans beaucoup d’associations de ce type et j’étais à chaque fois le seul Romand dans le comité.

Le métier a évolué. Avant, on mutilait les arbres. S’il y avait une moisissure, on la fraisait et on la comblait, comme un dentiste. Mais la différence entre les animaux et les plantes, c’est que les premiers se régénèrent, tandis que les plantes ne font que générer. Si on coupe une branche, on crée une blessure que l’arbre va refermer. Ça s’appelle du bois de recouvrement. Depuis qu’on a découvert ça, c’est très différent. Il faut avoir une vision à long terme, l’arbre a la capacité de vivre plus longtemps que nous, on devrait davantage en tenir compte.

Pour moi, le soin aux arbres, ce n’est pas juste un job, c’est une philosophie de vie.

Un bel arbre, c’est un arbre qui a un vécu, qui me touche où il s’est passé quelque chose. Il amène une plus-value à l’environnement, qu’elle soit écologique, esthétique ou émotionnelle.

Le 5 janvier 2018

Avant mon accident, j’étais très impliqué dans tout ce que je faisais. Les arbres, la grimpe, la sécurité au travail. Ce fameux jour, j’ai eu un coup de fil pour un arbre qui était à moitié déraciné. Il fallait agir vite. Comme d’habitude, tout était bien organisé, mais il y a eu un accident et j’ai perdu la main gauche. J’ai fait un mois d’hôpital et je suis très reconnaissant du travail de tout le monde, des infirmiers aux physios et, surtout, de celui des petites mains. Il faut apprendre à vivre avec un membre en moins, quoi. Quand on m’a demandé quelle prothèse je voulais, je ne savais pas… je n’avais jamais été amputé! Plus tard, on m’a donné la possibilité de partager cette expérience dans des ateliers. Avant l’accident, j’étais déjà assez sensible au fait de faire attention à soi, de prendre du temps pour soi, de faire de la méditation… ça m’a vraiment aidé. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont permis à faire un travail sur moi et à continuer. J’ai perdu une main, oui, mais je suis encore en vie. Dans mon malheur, c’est peut-être bizarre de dire ça, mais j’ai eu de la chance.

Aujourd’hui, les gens me disent: «Ah! ça fait que deux ans et demi?» et je réponds: «Oui, je suis un bébé amputé!»

Je n’aime pas parler d’apprentissage de vie, mais c’est un peu ça. J’étais droitier et je suis toujours droitier, ça va. Le corps s’habitue à tout. Depuis, j’ai dû mettre en stand-by des projets, mais j’en ai d’autres. J’ai notamment tourné des documentaires et d’autres projets vont arriver. Je vais aussi commencer une formation d’ingénieur en gestion nature environnement, grâce à l’AI, après une année de mise à niveau en maths!

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